Qu'est-ce qui distingue l'urbanisme transitoire de l'urbanisme traditionnel ?
Vincent Josso : Jusqu'à récemment, la pratique la plus répandue dans les opérations de transformation urbaine reposait sur l'immobilisation du foncier. On laissait le bâti se dégrader pour éviter la formation de squats. Des quartiers entiers se déqualifiaient en attente d'un projet urbain. L'urbanisme transitoire procède de manière inverse : le bâti est investi par des occupations temporaires qui donnent des signes d'une valorisation du quartier. Un site inoccupé n'est plus un poids qu'on traîne et qu'il faut sécuriser, mais un potentiel à exploiter, susceptible d'enrichir le futur projet urbain. A l'échelle de la ville, l'urbanisme transitoire est un outil pragmatique d'une très grande efficacité pour faire émerger des pratiques en les testant dans des modèles qui requièrent un faible investissement économique. Il permet également, avec un droit à l'erreur, de faire vivre un site pendant la période un peu traumatique du chantier et de la réserve foncière - moment non visible du projet urbain mais extrêmement important.
Bien que nouveau, l'urbanisme transitoire est-il déjà en voie d'institutionnalisation ?
Flore Trautmann : On observe un changement de culture chez les professionnels de l'urbanisme, de l'architecture, de l'immobilier et des services techniques des villes, qui veulent sortir de la programmation classique. L'accélération du rythme des évolutions économiques et sociales fait que personne ne peut plus être sûr à l'avance de la pertinence des propositions d'un projet urbain.
Ceci produit une forme positive d'humilité qui tend à laisser davantage de place aux usages, à davantage écouter et fabriquer la ville avec les usagers. Une forme de programmation urbaine prudentielle est en train de naître, hypercontextualisée, qui apparaît comme la plus pertinente. L'urbanisme transitoire répond à cette tendance. Mais il ne faut pas oublier que dès les années 1970, des expériences en ce sens ont été menées : Lucien Kroll, par exemple, a réalisé en Belgique la maison des étudiants de l'université de Louvain ["La Mémé"] selon une démarche qui impliquait la participation étroite des usagers tout au long du projet. Au début des années 2000, lorsque Patrick Bouchain préside à l'élaboration du projet culturel de la Belle de Mai sur le site de l'usine de la Seita à Marseille, il place l'usage au centre du programme. Mais ce qui est nouveau, c'est la rencontre de cette démarche avec le projet urbain. Les "enfants" de Kroll et de Bou-chain [Julien Beller, les collectifs Exyst ou Encore Heureux, par exemple] ont à leur tour fait émerger des lieux du transitoire, comme le 6B à Saint-Denis. Des associations comme Yes We Camp et Plateau Urbain offrent des approches différentes, liées à l'immobilier, à l'animation, au design. Les organismes d'aménagement font désormais appel à eux pour préfigurer et participer à l'élaboration de projets de grande ampleur : Paris Batignolles Aménagement avec les Grands Voisins à Paris, ou l'Epadesa avec l'appel à manifestations d'intérêt "Play Groues, Préfigurer", occupation temporaire sur le territoire des Groues à Nanterre.
A Marseille, Euromed amorce à son tour une réflexion sur le sujet.

