Décryptage

Travaux publics : les ponts français veulent toucher le fonds

Alors que l'état des ouvrages d'art atteint sa cote d'alerte, élus et entreprises de réparation plaident pour la mise en place d'une enveloppe dédiée.

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Un pont bow-string en cours de réparation à Anduze (Gard).

Lorsque vous parcourez le réseau routier français, vous franchissez tous les 30 km un pont dégradé, s'alarme Lionel Llobet, président du Strres. Pour le patron de l'organisation professionnelle des entreprises spécialisées dans la réparation et le renforcement des structures, membre de la FNTP, un tel constat appelle des décisions fortes.

Eviter les restrictions de circulation, les fermetures de ponts et, plus encore, les accidents, tel serait l'objectif d'une vaste campagne de remise à niveau des ouvrages d'art. L'effondrement du pont Morandi, à Gênes (Italie) en 2018, a favorisé une « prise de conscience », selon le sénateur centriste de l'Eure Hervé Maurey. « Mais les initiatives prises depuis ne sont toujours pas à la hauteur des enjeux », complète celui qui a présidé en 2019 une mission d'information sur l'état des ponts français.

La réparation, simple dépense de fonctionnement. Côté entreprises, la FNTP se chargera de porter la parole des spécialistes de la réparation des ouvrages d'art auprès des pouvoirs publics, dans l'espoir de voir amendé le projet de loi de finances 2024 voté en fin d'année. « Nous voulons que ces interventions soient éligibles au FCTVA [fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée, NDLR]. La construction d'ouvrages d'art neufs l'est aujourd'hui, mais pas leur réparation. Celle-ci est encore considérée comme une dépense de fonctionnement, alors même qu'elle peut allonger la durée de vie d'un pont d'une dizaine d'années », regrette Lionel Llobet. Cette exclusion paraît d'autant plus difficile à justifier que les dépenses d'entretien relatives à la voirie peuvent, elles, bénéficier de ce fonds.

Reste que l'ampleur de la tâche réclame bien plus qu'un coup de pouce fiscal. « Il faut parvenir à dégager une enveloppe de l'ordre d'une centaine de millions par an si l'on veut endiguer le vieillissement de notre patrimoine, estime Hervé Maurey. Nous avons su faire ce type d'effort pour la remise à niveau de nos tunnels, et même si j'entends bien les contraintes budgétaires, il en va ici de la sécurité de nos concitoyens. » Une analyse partagée par le maire (DVD) de Saint-Ay (Loiret) et président de la commission transports, mobilités et voirie de l'Association des maires de France (AMF), Frédéric Cuillerier : « C'est un sujet de dimension nationale qui appelle une réponse nationale avec la création d'un fonds dédié. » Or, sollicité par « Le Moniteur », le ministère des Transports n'a, pour l'heure, pas réagi à cette demande.

Vers une visite périodique obligatoire ? Evidemment, les entreprises sont sur la même ligne et espèrent, par ailleurs, la mise en place de visites périodiques obligatoires. « Les barrages, à partir d'une certaine hauteur, sont soumis à des contrôles réguliers. Les tunnels sont aussi assujettis à ce type de vérification, même les automobiles le sont, alors que rien n'est prévu pour les ponts. Pourtant, la majorité d'entre eux datent de l'après-guerre et s'approchent de leur fin de vie », pointe Lionel Llobet.

S'il soutient la généralisation d'un carnet de santé pour chaque pont, Hervé Maurey n'est, quant à lui, pas favorable à rendre leur contrôle obligatoire, « tant que les collectivités et surtout les petites communes ne disposeront pas des moyens nécessaires à la réalisation de diagnostics et de travaux ».

« Il faut dégager une enveloppe d'une centaine de millions d'euros par an pour endiguer le vieillissement de notre patrimoine. » Hervé Maurey, sénateur, président d'une mission d'information sur l'état des ponts français en 2019.

Même son de cloche du côté de Frédéric Cuillerier qui « déplore le désen gagement de l'Etat dans l'accompagnement des communes, alors même que les maires sont pénalement responsables de leurs ouvrages d'art ».

Une part importante des infrastructures réclamant une remise en état se situe dans de petites communes. « Environ 70 % » selon Lionel Llobet. Or, celles-ci ne disposent pas des moyens pour investir dans des opérations qui, bien souvent, peuvent coûter plusieurs centaines de milliers d'euros. « Bien sûr, il y aurait la possibilité de transférer la compétence voirie aux conseils départementaux, mais les maires n'y sont pas favo-rables », évoque Hervé Maurey. Une position des édiles expliquée par Frédéric Cuillerier : « Cette solution reviendrait à déporter le problème sans apporter la réponse financière nécessaire. » A ce jour, dans le cadre du premier programme national Ponts (2021-2023), 40 M€ ont été investis pour accompagner les communes dans le recensement et l'évaluation. Une goutte d'eau face aux 2,91 Mds € que réclamerait une remise à niveau de notre patrimoine, selon les professionnels.

Déjà salée, cette facture ne manquera pas de s'alourdir faute d'engager les travaux nécessaires, rappelle le président du Strres. Et le sénateur Maurey de conclure : « Nous avons fait des petits pas, mais le chemin reste long à parcourir. »

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Une situation critique

Après le rapport sénatorial de 2019, après la première phase du programme national Ponts sur la période 2021-2023, suivie d'une seconde sur 2023-2025, la vétusté croissante du patrimoine ne peut plus être démentie.

L'Hexagone compte entre 200 000 et 250 000 franchissements. Quelque 24 000 appartiennent à l'Etat (dont 50 % de concédés), et on estime à 100 000 ceux relevant de la responsabilité des conseils départementaux et à 100 000 ceux du ressort des communes. Du côté du Sénat, on évalue aujourd'hui entre 30 000 et 35 000 le nombre de ponts dans un mauvais état structurel, contre 25 000 en 2019.

Un autre chiffre plus inquiétant encore se dégage du programme national Ponts : 1 147, soit le nombre d'ouvrages qui présentent des risques de sécurité immédiats du fait de désordres graves sur la structure.

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