Alors que les Assises de l'eau sont au centre des problématiques gouvernementales, et que les débats sont en cours, considérez-vous que votre voix est entendue ?
Nous sommes en effet parvenus à faire remonter l'eau dans l'agenda politique. A la fin de l'été 2018, les sujets que nous portons depuis plus de dix ans sont entrés dans les conclusions de la première séquence des Assises [sur les réseaux d'eau potable et d'assainissement, NDLR]. A été ainsi mise en avant l'importance du maintien à niveau de nos infrastructures, de leur amélioration, de la nécessité de les rendre plus communicantes pour collecter de plus en plus de données.
Ce qui passe par davantage d'investissements, notamment publics, sans lesquels nous ne pourrons atteindre les objectifs.
Ces objectifs ont-ils trouvé une traduction concrète dans le 11e programme des agences de l'eau ?
Il faudrait investir 1 Md € de plus par an pour atteindre 1 % de renouvellement annuel des réseaux d'eau potable [contre 0,58 % actuellement, et 0,43 % pour l'assainissement collectif, NDLR]. Le gouvernement a retenu cette hypothèse au terme de la première séquence des Assises. La Banque des territoires s'engage dans le financement, avec le lancement en janvier des Aqua-prêts, 2 Mds € de prêts à long terme et à taux bas.
C'est une bonne surprise. En revanche, du côté des agences, je suis plus circonspect. Je n'ai pas le sentiment qu'elles ont véritablement revu leur copie après les annonces d'Edouard Philippe, à la fin de l'été 2018. Elles n'ont pas obtenu de moyens financiers complémentaires : elles doivent travailler à moyens constants, voire en baisse, en procédant par réallocation et arbitrage pour tenir compte des priorités dictées par l'exécutif.
Les agences semblent pourtant mettre l'accent sur la limitation des fuites et les zones rurales, comme le Premier ministre l'a demandé fin août…
Ses propos ont été quelque peu détournés. En effet, la priorité n'est pas mise sur les zones rurales, mais sur les « zones de revitalisation rurale » (ZRR). Or, une collectivité peut être dans la première catégorie sans être dans la seconde.
Le ministère de la Transition écologique a cependant indiqué que cette notion de ZRR pouvait être interprétée par les agences, afin de pouvoir élargir le périmètre éligible à certaines subventions. Adour-Garonne l'a fait, mais d'autres s'y sont refusées. Nous serons vigilants quant à l'application de la première phase, et demandons même à ce que des comités de suivi soient mis en place pour vérifier le bon fléchage des aides. C'est d'autant plus important que nous craignons un dérapage ou un glissement des moyens pour financer les conclusions de la deuxième séquence des Assises, qui s'est ouverte en février.
A propos de cette deuxième phase, portant sur la qualité et la préservation de la ressource, quelles doivent en être les priorités pour les Canalisateurs ?
Les discussions sont engagées et devraient nous mener jusqu'à l'été. Le comité de pilotage a insisté sur le fait que se donner des ambitions était une chose, mais qu'il fallait d'abord déterminer les moyens. Ensuite, l'une des priorités est la préservation de la ressource : nous devons notamment limiter l'impact des prélèvements abusifs. L'autre est d'ordre sanitaire, liée à la problématique des CVM [le chlorure de vinyle monomère, un produit chimique synthétique, classé cancérogène, qui se diffuserait dans une petite partie du réseau en PVC posé avant 1980, NDLR]. Il existe déjà des accompagnements pour en mesurer la concentration, mais l'identification n'est pas optimale. Par ailleurs, nous parlons assez peu de l'assainissement. Or, l'état global du réseau pose aussi des problèmes, par exemple en termes de pollution diffuse, avec des impacts financiers supérieurs à ceux liés aux réseaux d'eau potable.
Le financement semble être au cœur de vos préoccupations. L'argent est-il le nœud du problème ?
Disons qu'il en représente environ 50 %. L'autre moitié tient à la volonté politique. Il manque souvent une vision de long terme. Nos anciens nous ont laissé un patrimoine fabuleux, et le reconstruire entièrement serait compliqué. Mais il faut nous protéger pour demain, entrer dans une phase de renouvellement plus importante car plus nous tardons, plus les investissements seront lourds. Pour cela, les politiques doivent être volontaristes, au lieu de vouloir baisser le coût du service à tout prix.
Faut-il comprendre que le prix de l'eau n'est pas assez élevé à l'heure actuelle ?
La tarification doit en effet être mise à niveau. Si le gouvernement n'a pas voulu imposer un prix minimum de l'eau, nous remarquons que certaines agences attribueront des aides sous condition d'une tarification minimale. Les prix sont anormalement bas et ne permettent pas aux services d'être autosuffisants et de se doter des moyens pour investir dans nos infrastructures. Nous ne pouvons plus reculer.
Les Assises de l'eau laissent-elles la place à l'innovation ?
Nous aurons peut-être des discussions autour du stockage, de la collecte de la ressource, ou de la recherche d'une économie circulaire. Est-il possible de reprendre l'eau des stations de dépollution pour la réinjecter dans les réseaux ? D'après l'Union nationale des industries et des entreprises de l'eau (UIE), c'est techniquement réalisable. Des circuits fermés existent bien dans les stations spatiales. Mais cela implique des coûts de production, et les infrastructures adéquates.
Après une décennie difficile, durant laquelle vos métiers ont été particulièrement impactés, les Assises peuvent-elles contribuer au redressement de l'activité ?
La confiance en l'avenir de nos entrepreneurs est réelle, bien qu'elle reste modérée. Elle serait plus forte si nous ressentions la mise en application de la première phase des Assises de l'eau. Nous n'y sommes pas encore. A fin 2018, nous estimions que notre chiffre d'affaires avait progressé de 3 % environ, inflation comprise. Il n'y a donc pas de quoi sauter au plafond. Il est clair que nous ne retrouverons pas les seuils d'activité de 2007, qui était une année exceptionnelle. Notre régime de croisière se situerait plutôt autour de 6 ou 7 Mds € de chiffre d'affaires annuel. Pour 2019, les tendances émises par nos entreprises sont stables, voire bonnes. Les carnets de commandes nous donnent une visibilité de 4,2 mois.
Le retour de la confiance coïncide-t-il avec de nouveaux besoins liés à l'emploi et à la formation ?
Nous ressentons les effets de la pyramide des âges et allons devoir beaucoup renouveler nos équipes. Durant la crise, nous avons laissé partir beaucoup de personnes à la retraite sans les remplacer. Nous n'avons pas assez formé non plus pendant ces années, et nous le payons aujourd'hui. Une autre difficulté s'ajoute avec l'aspirateur de main-d'œuvre que représente le Grand Paris. Comme dans les autres métiers des travaux publics, cela génère des tensions sur les compétences et les rémunérations.
Les travaux publics souffrent aussi, dans ce contexte, d'un problème d'image. Est-ce la raison qui vous a poussé à lancer un concours vidéo ?
A travers le récit de nos compagnons, nous voulons montrer qu'il est possible de s'épanouir dans notre profession, qu'elle est ouverte à tous, et notamment aux générations 2.0. Car même si nous restons un métier très manuel, nous pouvons y adjoindre des technologies nouvelles. Dans cette optique, nous lançons une première version de Canomémo, une application d'aide aux compagnons sur les chantiers.
A l'aube des 30 ans de notre organisation professionnelle, nous voulons nous projeter, avoir une vision plus globale. Nous devons entrer pleinement dans la transition entre les métiers traditionnels et digitaux, sans renier les travaux passés qui restent le socle de nos réflexions et des enjeux patrimoniaux.