Décryptage

Tertiaire : le CPE décolle doucement dans le privé

Impératif de sobriété et obligations réglementaires boostent le recours au contrat de performance énergétique.

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Réduire ses consommations d'énergie de 15 ou 20 % avec l'aide d'un prestataire qui garantit l'atteinte de l'objectif, ça fait rêver ? Pas tout le monde, pas encore. Si les acteurs du secteur public ont aujourd'hui intégré le contrat de performance énergétique (CPE) parmi la palette d'outils à leur disposition, ceux du privé en font pour l'instant un usage plus modéré. Mais cela pourrait changer.

Le contexte est porteur. D'un côté, la hausse et la volatilité des prix de l'énergie. De l'autre, un cumul d'obligations, telles celles issues du décret Eco Energie Tertiaire, et celles du décret Bacs imposant la mise en place de GTB dans certains bâtiments. Sans oublier l'impact de la taxonomie, et celui de la directive européenne CSRD sur la communication extra-financière des entreprises, qui impliquent de diminuer son bilan carbone pour préserver son accès aux financements et sa réputation.

A ce paysage réglementaire propice s'ajoute l'appétit du secteur tertiaire pour les certifications environnementales, selon l'Observatoire de l'immobilier durable (OID), qui souligne aussi l'importance de la valeur verte des actifs pour le privé. « Le CPE apparaît alors comme l'un des principaux leviers pour améliorer la performance énergétique des bâtiments, affirme son directeur général, Loïs Moulas. Et si sa mise en place peut être un peu lourde, il amène des gains immédiats dans 100 % des cas. »

Vraie dynamique. « On a vu émerger début 2023 des projets de CPE tertiaires qu'on ne voyait pas auparavant », relate Olivier Ortega, avocat chez LexCity Avocats. L'outil intéresse les professionnels du bureau, de l'hôtellerie, ceux de la santé, de la logistique… Ou encore « de la grande distribution alimentaire », témoigne Mathieu Cecchinel, directeur technique BU tertiaire chez GreenFlex. Cette filiale de TotalEnergies « a accompagné plus de 1 000 sites en CPE, soit en bouquet de travaux, soit sur un usage : l'éclairage, le frigorifique… ». Selon Olivier Perier, directeur commercial collectivités et tertiaire chez Dalkia, « les gros campus d'enseignement supérieur privés s'y mettent aussi, pour attirer des étudiants très sensibles aujourd'hui à la démarche environnementale ».

Une vraie dynamique semble s'enclencher. Ainsi, GreenFlex observe une progression de 10 % par an de son activité en CPE. Chez l'opérateur Idex, relate Tristan Picart, directeur du développement infrastructures énergétiques bâtimentaires, « nous discutons même avec nos clients déjà signataires de CPE pour contractualiser des objectifs plus forts, des durées supérieures ». Du côté des propriétaires, il y a des aficionados. « Nous recourons au CPE depuis des années, avant le , car nous appartenons à un fonds allemand très attentif au verdissement des actifs, rapporte Gabriel Binant, directeur de projets chez Union Investment Real Estate France. Les CPE ont couvert jusqu'à 30 % de notre patrimoine, essentiellement pour des bureaux de plus de 5 000 m2. Nous étudions cette possibilité sur tous nos biens. » Positionnée sur le secteur haut de gamme des bureaux, la foncière SFL a, elle, expérimenté ce contrat en 2019, obtenant 15 % d'économies d'énergie en cinq ans sur un immeuble quasi neuf, #Cloud.Paris, dans le IIe arrondissement. « Nous avons déployé le dispositif sur quatre autres sites depuis, et comptons le faire sur tout notre patrimoine », annonce Stéphane Blanc, directeur ingénierie et exploitation durable. Alex Tran, consultant associé de la société Facilitis qui intervient comme AMO notamment sur des CPE, explique pousser généralement ses clients vers ce « mode de management vertueux, même si l'intérêt économique peut être variable ».

Pour autant, nombre de détenteurs d'actifs tertiaires sont encore rétifs, ou ne ressentent pas le besoin de faire appel au CPE. Thierry Molton, DG de La Française REM pôle grand public, confie ainsi n'en avoir jamais signé. Il utilise cependant « pour quelques bâtiments un système de garantie de charges avec le mainteneur », proche du CPE. « Nous préférons dissocier les prestations autour de l'immeuble, pour prendre le meilleur de tout ! » Les propriétaires « qui sont staffés veulent souvent conserver en interne la maîtrise des optimisations », confirme Alex Tran. Il explique aussi le moindre recours du secteur privé par des réticences à confier aux opérateurs l'achat d'énergie et les travaux, prestations plus volontiers confiées en CPE par les maîtres d'ouvrage publics. Autre frein pour le tertiaire privé, selon Céline Lorrain, directrice des ventes chez Dalkia : « L'échelle de temps, car le marché repose sur de la transaction, et il est parfois difficile de vendre un bien avec les contrats qui lui sont attachés ».

Part massive de CPE services. Ces particularités expliquent aussi la proportion massive de CPE services, c'est-à-dire sans gros travaux, parmi les CPE privés (92 % de l'échantillon étudié par l'OID fin 2022). Eficia par exemple se développe rapidement en faisant réaliser en moyenne 20 % d'économies d'énergie à ses clients - propriétaires ou locataires - avec un simple pilotage à distance des équipements basé sur une intelligence artificielle. Mais « la part de CPE travaux ou globaux devrait augmenter », parie Tristan Picart (Idex). De tels contrats « permettent d'agir de façon cohérente, de ne pas par exemple installer des équipements qui s'avéreront surdimensionnés deux ans après quand on réalisera l'isolation du bâtiment », illustre Olivier Perier (Dalkia).

De plus en plus, un volet photovoltaïque est embarqué dans ou avec le CPE « car la production d'énergie vient en déduction de la consommation dans le », rappelle Olivier Ortega. « Nous participons au montage du projet Life CirculEnergies financé par Bruxelles afin d'accompagner des PME dans de nombreuses zones d'activité en France pour souscrire à des CPE réunissant rénovation énergétique, autoconsommation collective et déploiement de bornes de recharge », témoigne Justine Bain-Thouverez, avocate chez LLC & Associés.

Du carbone, de l'eau… L'offre se diversifie aussi avec des CPEC (C pour « carbone »), aussi appelés CPEE (E pour « environnementale »), qui garantissent des réductions d'émissions chiffrées - en sus des réductions de consommation, qui généralement ont déjà un impact sur le carbone. Par exemple Accenta, spécialisée dans le géostockage, ne propose que des CPEE, et pense qu'il va falloir les multiplier pour démocratiser le bâtiment bas carbone. Le secteur privé pourrait être moteur en la matière, compte tenu de ses obligations de reporting extra-financier.

« Le décret tertiaire est l'occasion d'embarquer le preneur », Me Olivier Ortega, LexCity Avocats

D'autres lettres peuvent encore s'ajouter : SFL a ainsi construit avec Facilitis en AMO son propre cahier des charges de CPECE (le E final pour « eau ») afin d'intégrer tous les fluides.

Autre choix à faire, le mode de financement du CPE. « Certains de nos clients agissent sur leurs fonds propres, d'autres préfèrent ne pas impacter leurs capacités d'investissement. Nous leur proposons alors des solutions en leasing ou en tiers-financement », souligne Me Bain-Thouverez. Il y a de la demande : « Nous avons fait une grosse levée de fonds de 108 M€ en septembre pour pouvoir financer les chaufferies bas carbone de nos clients en CPE », raconte Pierre Trémolières, président d'Accenta.

Le contenu et les modalités de financement du CPE en détermineront la durée (un à cinq ans pour les CPE services, jusqu'à dix, quinze, vingt ans pour les CPE travaux) et le niveau des objectifs de réduction des consommations (plutôt 10, 15 % en services ; 20, 30 ou 40 % en travaux). « Trois ans, c'est la durée la plus facile à faire accepter aux services juridiques des clients », juge Alric Marc, fondateur d'Eficia. Si les baux 3-6-9 peuvent complexifier la mise en œuvre de contrats longs, des clauses de transfert par exemple peuvent anticiper ces difficultés « et la vacance de locataires peut être prise en compte par des possibilités d'ajustement du CPE », selon Vincent Deyme, performance energy manager chez Vinci Energies Building Solutions.

Couple preneur-bailleur. La relation preneur-bailleur est en tout cas centrale dans la mise en œuvre, voire la contractualisation du CPE. « Le est l'occasion d'embarquer le preneur, et l'annexe verte, l'outil idéal », avance Me Ortega. Le CPE peut être tripartite, mais cela engendre une certaine lourdeur : « il faut bien définir les limites de responsabilités », prévient Alex Tran (Facilitis). Les foncières envisagent souvent le CPE comme « un facteur d'attractivité pour les locataires, avec des charges atténuées et un confort assuré » (dixit Gabriel Binant), sans les mettre directement à contribution ni augmenter les loyers mais en les sensibilisant à l'usage du bien.

L'un des avantages du secteur privé est de jouir d'une grande liberté contractuelle - même si d'aucuns regrettent l'absence de contrats type. Le recours à un AMO peut faciliter le montage des opérations. Quelques points d'attention ressortent pour s'assurer un contrat efficace : avoir en amont une connaissance fine de ses actifs et de la situation de référence, penser aux clauses de surperformance, de transfert ou de rachat, et ne pas négliger le suivi du contrat dans la durée ! « Cela reste complexe, ce n'est pas de la magie, il faut apprendre à piloter le pilote de l'immeuble », sourit Eric Oudard, directeur technique et développement de SFL.

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