Ça chauffe dans les tranchées à Strasbourg (Bas-Rhin). La métropole alsacienne accumule les travaux de construction de réseaux de chaleur : pour plus de 200 M€ d'investissements, quelque 65 km de canalisations seront créés entre 2023 et 2028, principalement par l'extension du secteur Ouest, confiée par l'Eurométropole (EMS) à Evos, une filiale dédiée d'Engie Solutions, et celle du réseau Centre pilotée par R-CUA (Réseaux de chaleur urbains Alsace) via sa société SCE (Strasbourg Centre Energies). S'y ajoutent les nouvelles ramifications du réseau Eco2Wacken de R-CUA au nord-est de la ville.
Dans cette ville très dense, il faut se faufiler au milieu de la voirie, des autres réseaux et chantiers. « Un défi de coordination », selon Sébastien Marre, directeur général de SCE, qu'il faut relever avec les maîtres d'ouvrage engagés dans leurs propres travaux, comme l'Eurométropole ou la Compagnie des transports strasbourgeois (CTS) pour l'extension du réseau de transport urbain. A l'ouest, une étape de réalisation du Transport en site propre ouest a ainsi été mise à profit l'an dernier pour poser les tuyaux d'une opération clé de liaison entre les quartiers bénéficiaires de Hautepierre et des Poteries. « La création d'une galerie sous la route métropolitaine M351 pour la mise en place de nouvelles conduites a constitué un challenge particulièrement atypique », relève Lise Damien, responsable de projet chez Evos. La localisation des futures canalisations induit des préalables spécifiques comme le fait d'attendre les résultats de fouilles archéologiques de l'Inrap. Des campagnes qui restent pour l'heure sans impact sur le bon déroulement des chantiers.
Le dialogue avec les riverains est aussi renforcé. R-CUA a créé dans ce but un poste de médiatrice des travaux, « confié à une membre de notre équipe experte des travaux en voirie, qui maîtrise donc la technique et peut répondre aux interrogations avec précision », souligne Sébastien Marre.
Deux approches différentes. Evos comme SCE composent avec les contraintes grâce à une organisation décentralisée des chantiers, en six à sept zones simultanément. Leurs approches, cependant, diffèrent. Le premier opérateur, assisté de son maître d'œuvre Artelia, attribue les lots par consultations annuelles et par secteur géographique. Le second, associé à Lollier Ingénierie, a confié un marché principal qui court sur toute la durée des travaux au tandem GNT pour les canalisations (mandataire) et Lingenheld pour les lots de TP. « La traversée de nombreux ouvrages anciens suppose d'anticiper les sondages jusqu'à plusieurs mois à l'avance, et de se montrer très vigilants dans les carottages, au niveau des culées. De plus, la profondeur moyenne de 2 m environ nous fait approcher par endroits de la nappe phréatique », témoigne Stéphane Gartiser, directeur du pôle TP de Lingenheld.
Le caractère urbain de ces opérations présente un avantage : il démultiplie les choix de sources d'énergie, voulues au maximum d'origine renouvelable (à 80 % ou plus) dans un objectif de décarbonation de l'agglomération. Si la biomasse fait partie des solutions, « elle n'a pas vocation à être drainée vers la métropole, de façon à servir d'abord les territoires ruraux, dont elle constitue souvent la seule alternative au fossile », estime Marc Hoffsess, l'élu de l'EMS en charge des réseaux de chaleur.
Chaleur fatale des industriels. Dans ses délégations de service public des nouvelles extensions, l'Eurométropole invite les titulaires à explorer des voies originales : solaire thermique, excédent de chaleur de station d'épuration, calories récupérables de la nappe phréatique… Sur ce dernier point, une étude d'Evos est en cours avec le CHU de Hautepierre. Discréditée par les séismes qui ont accompagné les essais de l'opérateur Fonroche de 2019 à fin 2020, la géothermie profonde n'est pas la priorité, sans que le schéma directeur des énergies de la métropole, révisé cette année, ne l'écarte définitivement.
Mais l'atout maître de l'agglomération de Strasbourg repose sur la chaleur fatale - à savoir les excédents de calories des process - de l'usine d'incinération des ordures ménagères, mais aussi des industriels. Elle concentre de tels gisements principalement dans la zone portuaire, à une dizaine de kilomètres du centre-ville. R-CUA a organisé leur exploitation. Après le papetier Blue Paper, il a signé cette année un accord avec le valorisateur de déchets Trédi portant à 120 GWh annuels la quantité qu'il achemine depuis le port jusqu'à son réseau Eco2Wacken et désormais vers Strasbourg-Centre. « Le potentiel dépasse 200 GWh », relève Sébastien Marre. Ce qui représente une part non négligeable du seuil que l'EMS s'est fixé pour la prochaine décennie, rappelé par Marc Hoffsess : 1 térawattheure de chaleur urbaine « qui alimenterait 80 000 logements », soit près d'un sur trois.


Une production quasi doublée d'ici 2030
L'Eurométropole a généré 485 GWh en 2022 grâce à son réseau de chaleur et elle vise 875 GWh au début des années 2030. Cette production se répartirait entre les réseaux Ouest (225 GWh), Centre (400 GWh), Eco2Wacken (110 GWh) et Nord (110 à 140 GWh) - une consultation de DSP est en cours pour désigner un lauréat mi-2025 pour le réseau Nord. Deux projets sont en préparation : le réseau Sud Agglomération et l'alimentation du réseau Centre par la chaleur de l'aciérie allemande BSW grâce à une conduite sous le Rhin.