Interview

« Rogers et la France, une longue histoire d’amour », Stephen Barrett, architecte

Le directeur de l’antenne parisienne de l’agence londonienne Rogers Stirk Harbour + Partners évoque la mémoire de l’architecte Richard Rogers, décédé le 18 décembre dernier. Ce dernier lègue à la France des œuvres structurellement magistrales liées à la culture, la justice, les transports et l’industrie.

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Les architectes Richard Rogers (à droite de l’image), Stephen Barrett (au centre) et Lennart Grut (à gauche), devant le tribunal de Bordeaux en 1997.

L’architecte Richard Rogers, fondateur de Rogers Stirk Harbour + Partners (RSHP), s’est éteint le 18 décembre 2021 à l’âge de 88 ans. Vous travaillez depuis plus de 25 ans au sein de cette agence britannique en tant que responsable des projets français et francophones. Que retenez-vous de lui ?

Le premier mot qui me vient pour qualifier Richard est « genuine » en anglais, « authentique » en français. Dans son travail, mais aussi à titre personnel, c’était un homme chaleureux et généreux qui voulait créer des lieux d’échanges pour la ville et ses habitants. Il savait écouter les gens en mettant de côté le statut social de ses interlocuteurs, clients comme stagiaires. Charismatique, il a été le mentor de toute une génération d’architectes au Royaume-Uni et à l’échelle internationale. Le nombre de messages reçus des quatre coins du monde depuis sa disparition est extraordinaire.

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Les membres de l’agence Rogers Stirk Harbour + Partners en 2008, habillés aux couleurs de l’arc-en-ciel à l’image de la charpente métallique de l’aéroport de Madrid-Barajas. Les membres de l’agence Rogers Stirk Harbour + Partners en 2008, habillés aux couleurs de l’arc-en-ciel à l’image de la charpente métallique de l’aéroport de Madrid-Barajas. (Katsuhida Kida / FOTOTECA/Katsuhisa Kida / FOTOTECA)

Les membres de l’agence Rogers Stirk Harbour + Partners en 2008.

Richard avait anticipé son départ. Il considérait l’agence comme une œuvre collective et ne voulait pas qu’elle repose uniquement sur son nom. Dès 2007, il avait ajouté ceux de ses proches collaborateurs Graham Stirk et Ivan Harbour. Travailler avec lui a vraiment été un plaisir. Il a transmis des valeurs qui continueront de nous guider : la générosité, l’intégrité et l’humanisme.

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Le Centre Pompidou à Paris (IVe), conçu avec l’architecte Renzo Piano et l’ingénieur Peter Rice, a été inauguré en 1977. Le Centre Pompidou à Paris (IVe), conçu avec l’architecte Renzo Piano et l’ingénieur Peter Rice, a été inauguré en 1977.

Le Centre Pompidou à Paris (IVe), conçu avec l’architecte Renzo Piano et l’ingénieur Peter Rice, a été inauguré en 1977.

L’édifice le plus connu de Richard Rogers en France, conçu avec l’architecte Renzo Piano et l’ingénieur Peter Rice (1935-1992), est le Centre Georges-Pompidou, inauguré en 1977 à Paris (IVe). Il a livré de nombreux autres bâtiments, de l’usine de Fleetguard à Quimper (Finistère) en 1981 à la galerie d’art du château La Coste au Puy-Sainte-Réparade (Bouches-du-Rhône) en 2020, qui reprennent le même système d’exosquelette métallique. Quel en est le principe ?

Le principe d’exosquelette est motivé par un objectif, celui d’offrir des espaces flexibles. Mais il ne faut pas négliger le côté poétique et expressif de ces structures extérieures apparentes. Elles sont souvent peintes pour rendre les efforts structurels lisibles et apporter une certaine joie de vivre dans l’architecture. Richard considérait la couleur comme un plaisir gratuit.

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L’usine de Fleetguard à Quimper (Finistère) a été terminée en 1981. L’usine de Fleetguard à Quimper (Finistère) a été terminée en 1981.

L’usine de Fleetguard à Quimper (Finistère) a été terminée en 1981.

A la galerie d’art du château La Coste, la dernière œuvre signée de sa main, comme à l’usine de Quimper, l’intérieur est pur et dégagé de tous points porteurs. En Provence, le bâtiment se trouve entièrement en porte-à-faux au-dessus d’une colline. Il semble s’envoler ! Les éléments métalliques sont fins, élancés et peints en orange vif. Le défi constant de Richard consistait à faire le maximum avec le minimum de matériaux.

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La galerie de dessins du château La Coste au Puy-Sainte-Réparade (Bouches-du-Rhône) est ouverte depuis 2020. La galerie de dessins du château La Coste au Puy-Sainte-Réparade (Bouches-du-Rhône) est ouverte depuis 2020. (Stéphane ABOUDARAM | WE ARE CO)

La galerie de dessin du château La Coste au Puy-Sainte-Réparade (Bouches-du-Rhône) est ouverte depuis 2020.

La France a été le berceau de l’une des spécialités de l’agence Rogers Stirk Harbour + Partners : les aéroports. Comment tout cela est-il né ?

En 1988, il nous a été demandé de dessiner une canopée pour relier différentes parties de l’aéroport Marseille-Provence. A la suite d’une analyse stratégique de l’emplacement des avions, nous avons transformé le programme et proposé de bâtir une nouvelle aile. C’était notre tout premier projet aéroportuaire. Depuis, nous en avons réalisé une multitude à Genève, Madrid, Londres ou encore Taïwan, dont le chantier de construction est en cours. En termes d’espace et d’organisation, les aéroports sont les cathédrales du XXe siècle comme les gares l’avaient été au XIXe.

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Le terminal 1 de l’aéroport Saint-Exupéry à Lyon (Rhône), conçu avec l’agence Chabanne & Partenaires, a été achevé en 2018. Le terminal 1 de l’aéroport Saint-Exupéry à Lyon (Rhône), conçu avec l’agence Chabanne & Partenaires, a été achevé en 2018. (CHRISTINE_CHAUDAGNE)

Le terminal 1 de l’aéroport Saint-Exupéry à Lyon (Rhône), conçu avec l’agence Chabanne & Partenaires, a été achevé en 2018.

En 2018, avec l’agence Chabanne & Partenaires, nous avons livré le terminal 1 de l’aéroport Saint-Exupéry à Lyon. Plusieurs architectes, dont Santiago Calatrava, étaient déjà intervenus sur le site. Notre dessin recherchait une cohérence plus qu’une concurrence avec l’existant. Comme souvent dans nos projets, on trouve au cœur du programme un grand espace propice aux échanges. Et comme à Beaubourg, l’esplanade est aussi importante - voire plus - que le bâtiment lui-même. La charpente métallique, dynamique et élancée, a remporté un prix aux Trophées Eiffel 2020. Richard était extrêmement fier de cette réalisation, ainsi que des réserves du musée du Louvre à Liévin [opération nommée au prix de l’Equerre d’argent 2020, NDLR]. L’agence installée à Paris est le fruit d’une longue histoire d’amour avec la France, commencée avec l’incroyable opportunité de réaliser le Centre Pompidou.

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La Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg (Bas-Rhin) a été livrée en 1995. La Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg (Bas-Rhin) a été livrée en 1995.

La Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg (Bas-Rhin) a été livrée en 1995.

La justice a également été l’un de vos programmes de prédilection dans l’Hexagone, avec la réalisation de la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg en 1995 et du tribunal de Bordeaux en 1998. A chaque fois, le désir de transparence domine. Pour quelle raison ?

Il existait dans les deux cas la même volonté de rendre le processus de la justice plus transparent, donc le bâtiment aussi, même si cela a pu soulever des controverses. Personnellement, je me suis senti extrêmement chanceux de travailler sur le tribunal de Bordeaux, mon premier projet à l’agence. Nous cherchions alors comment rendre ce type d’équipement moins intimidant et plus humain.

Des charpentiers français ont cloué une à une les lames de bois de cèdre rouge qui habillent extérieurement les volumes coniques des salles d’audiences. Ce geste artisanal a été associé à la plus haute technologie de l’époque. En effet, les panneaux acoustiques en contreplaqué de hêtre qui revêtent l’intérieur courbe des salles ont été usinés à partir d’une programmation numérique. Le bâtiment innovait également au niveau environnemental par l’utilisation de systèmes passifs de rafraîchissement de l’air.

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Le tribunal de Bordeaux (Gironde) date de 1998. Le tribunal de Bordeaux (Gironde) date de 1998.

Le tribunal de Bordeaux (Gironde) date de 1998.

Pourquoi estimez-vous que Richard Rogers a joué un rôle de pionnier dans les années 1990 sur le plan écologique ?

Il écrivait à ce moment-là des articles dans la presse britannique, dans lesquels il critiquait la ville de Londres pour son absence d’urbanisme coordonné et son manque d’espaces publics, contrairement à Paris qu’il citait en exemple. A la demande du gouvernement britannique, il a mis sur pied une « Urban Task Force » pour le renouvellement des centres-villes abandonnés au profit de la banlieue.

Ce travail de réflexion l’a mené en 1995 à la production du livre « Cities For A Small Planet » (Villes pour une petite planète), qui soulignait l’importance de la conception urbanistique et architecturale pour un monde plus durable. Ces questions liées à notre environnement, que nous avons abordées dans le cadre du Grand Paris en 2008, font consensus dans la profession aujourd’hui. Mais c’était novateur à l’époque. Richard Rogers s’était fait la promesse de livrer un monde meilleur que celui qu’il avait trouvé. Nous suivons les traces de ce pionnier.

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