Pas de mesures révolutionnaires en vue sur le registre de la pénibilité pour les salariés travaillant sur les chantiers du BTP. La première ministre Elisabeth Borne a présenté, le 10 janvier, le projet de loi de réforme des retraites, qui prévoit un relèvement progressif de l’âge légal de départ de trois mois par an, pour atteindre 64 ans en 2030.
Alors que dans ce cadre, les salariés bénéficiant du compte professionnel de prévention (C2P) verront leurs droits renforcés, la seule exposition au port de charges lourdes, aux vibrations mécaniques ou encore aux postures pénibles n’ouvrira toujours pas de droit à partir plus tôt.
Départ à 62 ans pour inaptitude ou invalidité
Pour mémoire, face au risque de générer une usine à gaz, et au grand soulagement des employeurs du secteur, ces trois critères dits « ergonomiques » sont sortis en 2017 du C2P, qui permet d’accumuler des droits pour chaque année d’exposition, afin de financer des formations, un passage à temps partiel ou de bénéficier d’un départ anticipé. Pour partir deux ans plus tôt à la retraite en raison de la pénibilité dans le BTP, il faut aujourd’hui justifier d’un taux d’incapacité permanente d’au moins 10 % à la suite d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle.
Le projet de loi instaure par ailleurs la possibilité d’un départ à 62 ans à taux plein en cas d’inaptitude, ainsi que pour les personnes percevant une rente liée à un accident du travail ou à une maladie professionnelle et ayant exercé un métier pénible pendant au moins cinq ans. Le départ sera en outre maintenu à 55 ans pour les personnes en situation de handicap.
"Ce que nous promet la réforme, ce sont deux ans de plus !"
Bruno Bothua, secrétaire général de la CGT Construction pointe « un recul considérable pour les salariés du BTP alors que, d’après des statistiques obtenues auprès de PRO BTP, les premières reconnaissances d’invalidité commencent aux alentours de 53 ans, et 70 % des ouvriers du secteur sont licenciés, déclarés inaptes ou en invalidité avant d’atteindre l’âge de la retraite. Aujourd’hui, ce que nous promet la réforme, ce sont deux ans de plus !». Pis, le responsable syndical s’est même laissé dire sans ambages, par un médecin du travail exerçant dans un service de santé au travail du secteur, qu’«un salarié âgé de plus de 55 ans en bonne santé, il n’en voyait pour ainsi dire pas ! ».
Patrick Blanchard, son homologue à la CFDT Construction, ne dit pas autre chose. « Le port de charges lourdes pour un maçon, les postures pénibles pour un carreleur, les vibrations produites par les chariots élévateurs et les marteaux piqueurs sont autant de conditions de travail qui génèrent des problèmes d’articulation dans les membres inférieurs et supérieurs ou des lombalgies, autrement dit une usure du corps dès 55-58 ans : nombre d’employeurs se séparent de salariés dans ces conditions, qui attendent ensuite la retraite au chômage... »
"L'usure professionnelle est programmée tôt, même si elle est invisible"
« Les modalités de reconnaissance d’un départ anticipé sont donc en deçà de la réalité que subissent les salariés de nos professions, poursuit Bruno Bothua. Seuls les salariés qui présentent des symptômes sont susceptibles de partir plus tôt, alors que l’usure professionnelle est souvent programmée tôt dans l’organisme, même si elle est invisible ». Le responsable cédétiste Patrick Blanchard le rejoint. « L’usure du corps ne peut pas toujours être mesurée. De plus, ceux qui ne remplissent pas les conditions d’un départ anticipé, ne sont pas forcément malades, mais souffrent de douleurs, de problèmes de santé, voient leur qualité de vie altérée. »
S’agissant des autres mesures du projet de réforme, « pour les travailleurs exposés aux critères ergonomiques, nous allons renforcer le suivi médical, repérer les fragilités, et mieux accompagner ces salariés vers des dispositifs de départ anticipé à 62 ans pour raison de santé », pose Elisabeth Borne.
Un fonds pour financer des actions de prévention et de reconversion
Les branches professionnelles seront chargées de recenser, avec la sécurité sociale, les métiers les plus exposés au port de charges, aux vibrations mécaniques ou encore aux postures pénibles. Un fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle, doté d’1 milliard d’euros sur la durée du quinquennat, sera créé pour financer des actions de prévention, de sensibilisation, et de reconversion.
Les salariés concernés feront l’objet d’un suivi renforcé de la médecine du travail, à compter de la visite médicale de mi-carrière, qui intervient aux 45 ans de l’intéressé. L’idée : leur permettre de bénéficier de dispositifs d’adaptation du poste de travail ou encore d’un accès renforcé à la reconversion professionnelle. De plus, pour les salariés les plus exposés à la pénibilité, une visite médicale de fin de carrière s’imposera à 61 ans pour permettre, le cas échéant, le départ anticipé pour inaptitude à 62 ans.
La réforme sera intégrée dans un projet de loi de financement de la Sécurité sociale rectificatif, qui sera présenté en conseil des ministres le 23 janvier. Il sera débattu au Parlement à partir de début février, et devrait entrer en vigueur en septembre 2023.
« Cette réforme va pénaliser ceux qui ont commencé à travailler tôt, ceux qui exercent les métiers les difficiles et les moins bien payés », conclut Patrick Blanchard. « Une colère sans précédent est en train de monter, avertit Bruno Bothua. Elle dépasse le cadre des retraites, mais concerne aussi le partage de la valeur ajoutée, le pouvoir d’achat et les salaires. Certains chantiers du secteur pourraient être gagnés par la mobilisation syndicale prévue le 19 janvier. »