La colère qui monte dans la rue contre la réforme des retraites contamine-t-elle les entreprises du BTP ? Alors qu’au lendemain de l’échec de la rencontre avec la première ministre Elisabeth Borne, les syndicats engrangent leur onzième journée de mobilisation ce jeudi 6 avril, « on n’observe pas de répercussions directes sur le climat social en interne », note Samir Baïri, secrétaire national à la CFDT Construction. « Les salariés du BTP ne sont pas une population de révoltés : malgré le mécontentement qui s’exprime oralement, on n’est pas au bord de la révolution !, reconnaît le responsable syndical, par ailleurs secrétaire du comité européen chez Eiffage.
Le sujet de la réforme des retraites continue donc, en tout cas à interpeller les salariés de la construction, au même titre que ceux des autres secteurs. « Chez Setec, les grèves nationales sont en général assez peu suivies, mais celle-ci a un peu plus attiré l’attention des collaborateurs, qui sont impliqués concernant les sujets liés aux faits sociétaux, rapporte Biljana Kostic, DRH du groupe.
Faible mobilisation
« Cela ne fait plaisir à personne de travailler plus longtemps : les gens en parlent, mais les collaborateurs ne se mobilisent pas ou très peu, indique un employeur du BTP. On note d’ailleurs, de manière générale, une très faible mobilisation dans les sociétés privées. » On signale par exemple un nombre de grévistes très bas au sein des majors, mais sans possibilité de le chiffrer. Sollicités par Le Moniteur, Eiffage, Bouygues Construction et Vinci Construction n’ont pas souhaité s’exprimer sur le sujet.
« Les personnes qui se mobilisent -une poignée seulement à chaque mouvement de grève- obéissent à des directives syndicales, et sont rémunérées à cette occasion, évoque un DRH du secteur. On estime en outre à une quarantaine le nombre de salariés (sur plusieurs milliers en France dans son entreprise, NDLR) qui posent un jour de congé payé ou de RTT pour la circonstance ou encore prennent des heures de délégations. » Et de préciser : « nous ne mettons aucune pression si des collaborateurs souhaitent participer aux cortèges ».
Pouvoir d'achat et activité de l'entreprise en ligne de mire
Mais pour l’essentiel, les préoccupations sont ailleurs. « Le sujet dont il est avant tout question en ce moment, dans nos entreprises, c’est la fin de mois, le pouvoir d’achat, le prix du carburant, poursuit le professionnel des RH. Les collaborateurs sont préoccupés par la question des salaires et de l’inflation -ce qui, d’ailleurs, empêche peut-être une partie d’entre eux d’aller défiler. Ils se soucient également davantage du niveau d’activité de l’entreprise. »
A l’unisson, Samir Baïri relève « un certain niveau d’inquiétude autour du pouvoir d’achat et du carnet de commandes de l’entreprise ». Hausse des taux d’intérêt, baisse des permis de construire et des ventes de logements neufs, augmentation des grands déplacements pour rejoindre des régions où l’activité est plus dynamique… Autant de sujets qui tracassent les salariés sur les chantiers. En regard, les retraites apparaissent à certains comme « un sujet qui s’inscrit davantage sur du long terme ».
Besoin de main d'oeuvre pour soulager les seniors
Chez Couserans Construction, PME ardéchoise de 60 salariés, « nous bénéficions pour l’heure d’un « micro climat » favorable concernant l’activité, et nous avons pris en compte le sujet du pouvoir d’achat, avec des revalorisations salariales de 3 % à 5 % », livre Anouck Pauchard, responsable RH, qui ne constate « pas de tensions en matière de climat social autour de la réforme des retraites ».
« En revanche, nous en parlons beaucoup, et certains se mobilisent -quatre salariés pour cette journée du 7 avril, et six la semaine dernière, souvent les mêmes. Mais ils s’organisent pour éviter de perturber les chantiers et, ainsi, ne pas mettre en difficulté leurs collègues. Une attitude qu’on doit en partie à notre statut de Scop. »
La responsable RH, qui vient de faire passer les entretiens professionnels, a décidé dans ce cadre d’accompagner tous les salariés proches de la retraite « pour savoir à quelle sauce ils vont être mangés, en particulier s’ils relèvent du dispositif « carrières longues ». L’une des préoccupations majeures dans l’entreprise réside dans le besoin de main-d’œuvre, « notamment pour soulager les seniors sur les chantiers des tâches qui devraient revenir aux plus jeunes, appuie Anouck Pauchard. Nos salariés âgés saluent la mobilisation, mais se demandent où sont les plus jeunes qui ont envie de venir apprendre le métier et leur prêter main forte : ils attendent la relève ! ».