C’est avec son cousin Pierre Jeanneret (1896-1967) que Le Corbusier a conçu et réalisé, entre 1924 et 1926, les Quartiers modernes Frugès à Pessac (Gironde). Les deux architectes répondent alors à l’invitation de Henri Frugès (1879-1974), industriel sucrier bordelais, qui souhaite bâtir des logements à bon marché pour les ouvriers. « Pessac doit être un laboratoire, leur écrit-il. Je vous autorise pleinement à rompre avec toutes les conventions, à abandonner les méthodes traditionnelles. » Pour résumer, il s’agit de construire une cité-jardin avec des maisons standardisées, aux proportions épurées et équipées de dispositifs qui en rendent l’habitation facile et agréable. Les cousins Jeanneret expérimentent ici trois des « cinq points de l’architecture moderne » : le plan libre, la fenêtre en longueur et le toit-terrasse.
Aujourd’hui, la cité-jardin compte cinquante maisons de cinq types différents : arcade, gratte-ciel, jumelle, quinconce et zigzag. La villa de l’ingénieur René Vrinat constitue un modèle isolé. La volumétrie particulière de ces maisons résulte de la combinaison de plusieurs modules (trame de 5 m), disposés tantôt à l’horizontale, tantôt à la verticale. Seule la polychromie - alternance entre terre de Sienne, vert pâle, bleu pâle et blanc - donne du relief à leurs façades lisses. En 1973, la maison de Monsieur Héraud (3, rue des Arcades) est restaurée. Le 18 décembre 1980, elle est classée au titre des Monuments historiques. Ce classement a pour effet collatéral de protéger les abords de la maison sur un périmètre de 500 m, englobant de fait l’ensemble de la cité-jardin.
Soutien financier aux propriétaires
Aucune modification de l’aspect extérieur des habitations ne peut donc se faire sans l’autorisation de l’architecte des bâtiments de France (ABF). En 1998, le site devient une zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP). Aujourd’hui, une vingtaine d’habitants de la cité Frugès adhère au comité du quartier Monteil, présidé par Jean-Claude Juzan. Selon lui, « leur plus grande difficulté est de respecter l’œuvre de Le Corbusier en retrouvant les matériaux d’origine, car cela coûte très cher ». De nos jours, si un acheteur débourse 100 000 euros pour l’achat d’une petite maison (moins de 90 m), il lui faut en dépenser autant voire plus pour sa restauration. Le maire de Pessac, Jean-Jacques Benoît, indique que « le dossier de demande d’inscription au Patrimoine mondial de l’Unesco a permis de mettre en place un plan de gestion du site, avec soutien financier aux propriétaires privés pour le préserver. Car tous les habitants, notamment les ouvriers, n’ont pas les moyens de rénover sans dénaturer. Et la puissance publique est là pour les aider. »
Les fonds proviennent de la Drac (direction régionale des affaires culturelles) Aquitaine, du conseil régional, etc. La municipalité de Pessac y consacre un budget de 10 500 euros par an, ce qui correspond à cinq dossiers personnalisés. Pour toutes demandes, un guichet unique est aujourd’hui installé dans la maison gratte-ciel, située au 4, rue Le Corbusier, actuelle propriété de la Ville.
Cyril Zozor, animateur et médiateur de ce lieu ouvert aux publics de tous âges et de tous horizons, détaille pêle-mêle la nature des travaux qui sont généralement à effectuer : « Détruire des extensions latérales, rouvrir des fenêtres en longueur, reprendre les épaufrures du béton ou encore refaire l’étanchéité en toiture. Les habitants ont fait évoluer leurs maisons au gré de leurs besoins, ils sont maintenant conscients d’habiter un patrimoine moderne. »






