«Adolescent, je ne me projetais ni dans ce métier ni dans cette région. Fils d’entrepreneur, je voyais de l’intérieur le stress du dirigeant et j’avais envie d’aller voir ailleurs. » Quatrième représentant d’une lignée de patrons volontiers paternalistes, Christophe Nicoletta, 39 ans, a mûrement réfléchi avant d’assumer l’héritage. Fondée par Michel Nicoletta, premier du nom, en 1907, l’entreprise a vécu au rythme des triomphes et des drames qui ont marqué le bassin sidérurgique lorrain. Lorsque Raymond, fils du fondateur, prend les rênes de Nicoletta en 1934, la construction de la ligne Maginot apparaît comme un chantier prometteur. Il annonce en réalité l’exode et le chaos. Après la guerre, la Moselle dévastée se mue en « Texas français ». Michel et Jean-Claude, les deux fils de Raymond, connaîtront à la fois le faste des Trente Glorieuses et les affres du déclin de la sidérurgie lorraine.
Lorsque la question de la succession se repose en 1997, après le décès de son oncle Jean-Claude, Christophe se trouve confronté à un choix cornélien. Devenu cadre supérieur chez L’Oréal, il dirige une vaste région Nord et devrait logiquement poursuivre sa carrière à l’international. Des perspectives d’autant plus tentantes que l’entreprise familiale se porte mal. Asphyxiée par les déboires de ses clients, elle a perdu la moitié de son effectif et a déposé son bilan en 1984. La famille est parvenue à éponger les dettes et à redresser la barre, mais elle s’entre-déchire en longues querelles de succession. Fin 1999, Christophe Nicoletta opte pour la reprise. « L’ancienneté de l’entreprise n’est pas un fardeau, mais un honneur. J’ai voulu aider mon père à faire mentir l’adage selon lequel la première génération crée la société, la deuxième la développe et la troisième la vend », explique le jeune dirigeant.
Le père et le fils ont reconquis le capital de l’entreprise ; ils se sont accordé six ans pour réussir la succession. Officiellement en retraite depuis trois ans, Michel Nicoletta occupe toujours le poste et le bureau de P-DG, mais promet de céder l’un et l’autre à son fils l’an prochain. « Je ne ferai pas comme mon père, qui a conservé son bureau au-delà de ses fonctions », promet le patriarche. D’ici là, il soutient le projet de Christophe : diversifier la clientèle, instaurer le management participatif, miser sur le marketing, chercher la croissance à l’extérieur, voire à l’étranger. Aux professions de foi classiques – satisfaction des clients, professionnalisme – Christophe Nicoletta ajoute un impératif inédit : celui de surprendre et de faire rêver. Spécialiste des revêtements anti-graffiti, Nicoletta propose dorénavant à ses clients la réalisation de fresques. Ses cibles évoluent, passant de l’industrie lourde au secteur tertiaire. Le futur dirigeant – qui restera jusqu’en juin 2006 directeur commercial – rêve déjà à d’autres reprises : celles d’entreprises qui, faute d’avoir trouvé un successeur, pourraient intégrer le giron du groupe familial déjà fort de trois sociétés totalisant 8 millions d’euros de chiffre d’affaires. « Fondé, comme nous, en 1907, L’Oréal a bâti sa puissance en multipliant les marques tout en maintenant une très forte identité. Toutes proportions gardées, je me réfère à cette notion de fierté de la marque et du groupe », explique l’héritier.