Réforme du louage d’ouvrage : les responsabilités, chamboulées

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Epers, éléments d'équipement, immixtion du maître d'ouvrage... les règles de responsabilité sur le point d'évoluer.

Les auteurs de l'avant-projet de réforme des contrats spéciaux, en consultation jusqu'au 18 novembre, ont indiqué avoir pris le parti de « ne pas trop toucher aux dispositions actuellement prévues par les articles 1792 à 1799-1 du Code civil » (responsabilité des constructeurs, réception, garantie de paiement…). Pourtant, des évolutions importantes se dessinent, avec plus ou moins de bonheur, à en croire les intervenants à la conférence organisée par l’Ecole des Ponts formation continue (EPFC) le 17 octobre.

Les Epers laisseront un vide

L’affaire est entendue : les Epers, ces éléments qui peuvent entraîner la responsabilité des fabricants de façon solidaire avec les constructeurs, doivent disparaître. Le projet abrogerait tout bonnement l’article 1792-4 du Code civil qui les régit. Comme en arguent les auteurs du texte, cette disposition est « par trop imprécise, et présente un faible intérêt pratique, confirme Gwenaëlle Durand-Pasquier, professeure à l’Université de Rennes I. Ses frontières avec les prestations sous-traitées ou encore avec les éléments d’équipement à vocation professionnelles sont minces ».

Et, compte tenu de la difficile qualification juridique de ces éléments, relate Joanna Musial, juriste du département construction chez le courtier Marsh France, « nous passons du temps, dans le doute, à aller sur le marché chercher une assurance pour nos clients qui pensent avoir affaire à des Epers, assurance que très peu d’assureurs veulent bien délivrer ! ».

Mais, le vide que laisseront les Epers pourrait bien créer un manque. Richard Lelait, responsable technique règlements construction chez Axa, prône une réécriture du texte pour le simplifier, plutôt qu’une « suppression de but en blanc qui serait problématique ». Les fédérations du BTP sont unanimement convaincues qu’il faudrait prévoir un autre régime de responsabilité du fabricant pour remplacer les Epers. « Il est difficile aujourd’hui pour un constructeur de se retourner contre un fabricant, et la responsabilité du fait des produits défectueux est compliquée et laisse des trous dans la raquette », développe Béatrice Guénard-Salaün, directrice juridique de la FFB, pointant notamment le cas délicat des sinistres sériels. Il faut en effet « mener une réflexion » sur la responsabilité liée aux produits « avec notamment le principe du zéro artificialisation nette qui favorise la surélévation et la construction hors-site », renchérit Gwenaëlle Durand-Pasquier.

Des causes d’exonération de responsabilité grignotées

Autre sujet d’inquiétude pour les entreprises : la codification de la jurisprudence sur les causes, liées au comportement du maître d’ouvrage, qui permettent à une entreprise de s’exonérer de tout ou partie de ses responsabilités, conduirait à en réduire la portée. Comme l’explique la professeure Durand-Pasquier, le futur article 1766 du code est restrictif car il n’envisage l’immixtion fautive du client qu’à travers des « instructions reçues » par l’entrepreneur. « Or aujourd’hui, la jurisprudence prend en compte toutes sortes de comportements du maître d’ouvrage, y compris parfois des immixtions passives ». Dans un mouvement contraire, nuance-t-elle, la disposition n’exigerait plus que l’immixtion émane d’un maître d’ouvrage « notoirement compétent » pour exonérer le constructeur – ce qui tend à l’inverse à élargir cette cause d’exonération.

La directrice juridique de la FFB reproche de son côté à cet article 1766 de ne pas mentionner l’acceptation des risques. « C’est du quotidien, des maîtres d’ouvrage qui insistent pour modifier des choix techniques au milieu du chantier, malgré l’explication des risques par nos entreprises... L’acceptation des risques doit rester une cause d’exonération au côté de l’immixtion fautive. »

La fin – ou pas – du feuilleton sur les éléments d’équipement installés sur existant

Enfin, la disposition (futur art. 1792-7) du projet de réforme des contrats spéciaux qui vise à anéantir la jurisprudence de la Cour de cassation initiée en 2017 sur la responsabilité liée aux éléments d’équipement n’est pas exempte de critiques.

Très décriée, cette jurisprudence fait entrer dans le giron de la responsabilité décennale la simple adjonction, sur un existant, d’un élément d’équipement, même dissociable (pompe à chaleur, insert, poêle à bois…). Une position totalement « contra legem », martèle Cyrille Charbonneau, avocat au cabinet Aedes Juris, parlant même de « trahison de la loi » lorsque la Cour de cassation a prolongé sa jurisprudence en faisant jouer l’assurance décennale pour ces désordres.

La rédaction proposée par les auteurs est la suivante : « Ne sont pas considérés comme des éléments d’équipement d’un ouvrage, au sens des articles 1792, 1792-2, 1792-3 [relatifs aux garanties décennale et biennale, NDLR], les éléments d’équipement installés sur existant ». Selon Me Charbonneau, c’est une « grosse bêtise, il faudrait ajouter le terme « dissociables », car les autres éléments d’équipement relèvent bien de la responsabilité des constructeurs ! ».

Pour Pascal Dessuet, directeur délégué construction immobilier chez AON France, qui présidait la journée de conférence, le problème est plutôt que le texte ne distingue pas l’hypothèse d’une installation isolée, en principe seul visée, de celle où l’installation de l’équipement s’inscrit dans la réalisation plus vaste de travaux de construction d’un ouvrage. Et de suggérer que soient visés à l’article 1792-7 « les éléments d'équipement installés isolément sur existant ».

A moins que la solution ne soit tout simplement d’oublier cette modification, « si la Cour de cassation, qui commence à revenir sur sa jurisprudence de 2017 avec des arrêts du 13 février 2020 et du 13 juillet 2022, achève son revirement avant l’entrée en vigueur de la réforme », espère Cyrille Charbonneau.

Panorama – non exhaustif – des sujets qui inquiètent, à retrouver dans les autres articles de notre dossier : "Réforme du louage d’ouvrage : les professionnels, inquiets, veulent faire évoluer le projet".

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