En novembre 1993, la Société métallurgique de Normandie (SMN) ferme ses portes. Le district du Grand Caen, (transformé depuis en communauté d’agglomération Caen-la-Mer), hérite d’une friche industrielle de 220 hectares aux portes de la ville, au bord de l’Orne.
Une mission d’étude est alors confiée à trois équipes d’urbanistes, l’agence Perrault, l’agence Nouvel associée au cabinet Roux/Alba et un groupe d’architectes locaux (Dubois, Duval, Sueur, Bienvenu et Leroi). Ces équipes devaient réfléchir à la reconversion de ces terrains selon un programme indicatif comportant une dimension économique et une dimension habitat. Il s’agissait aussi de statuer sur le bien-fondé de conserver certains bâtiments, – le gazomètre, le château d’eau, et la tour de refroidissement – témoins du passé industriel du site.
Pour les urbanistes, cet intérêt de la conservation n’était pas une question annexe. Les équipes Nouvel et Perrault souhaitaient même garder les vastes halles 15 et 16 qui abritaient près de 20 000 m2 de surface et pouvaient permettre des utilisations temporaires ou pérennes.
Découpageet préverdissement. L’agence Perrault est finalement retenue en 1995 avec un projet d’aménagement qui prescrit un découpage du terrain en carrés de 100 mètres sur 100 mètres. Cette trame permet de répondre aux incertitudes programmatiques et d’entamer un préverdissement de l’ensemble du site. Il est notamment prévu un « grand pré » de 40 hectares correspondant à une zone inconstructible (plus en raison des fondations et galeries existantes qu’en raison de la pollution des sols).
« Ici, point de grands tracés ou de villes nouvelles mais la farouche volonté de lier et de relier nature et architecture. Et d’extraire trois lieux significatifs : le site de la vallée, le plateau, la corniche. Le long de l’Orne, une grande avenue plantée de beaux arbres n’attend plus que d’être bordée par la continuité d’immeubles de ville ; sur le plateau, les traces existantes des anciens équipements de la SMN préfigurent les lignesqui permettront de tisser la campagne et l’urbanisation ; et l’ancien tracé d’une voie transversale de l’usine ne demande qu’à être branché sur les quartiers avoisinants », écrit l’urbaniste Dominique Perrault, en 1996.
La question de la conservation d’une trace du passé industriel a en revanche été moins bien résolue : seules la tour de refroidissement et une halle qui devrait trouver une vocation culturelle et « mémorielle » ont été conservées. « Le projet Perrault est parvenu également à sauvegarder visuellement la grande dimension de ce site au travers de voies très larges, dont un mail de 400 mètres de long sur 135 de large. D’autre part, le préverdissement, avec les plantations d’ifs, structure fortement le paysage sans que ne soit pour autant créée une trop grande densification végétale », précise Gilles Moreau, directeur de la SEM Normandie Aménagement.
L’universitaire Stéphane Valognes regrette toutefois que « la reconversion du site n’ait pas débouché sur un “Emscher park” (ancien site industriel dans la Ruhr) à la française. Cela aurait pu dessiner les prémices d’une politique des friches industrielles qui ne fasse pas table rase des bâtiments » (1).
Un ensemble métissé, technologique et urbain. Les capacités d’adaptation de ce plan d’aménagement aux fluctuations du marché se sont révélées très fortes. D’une thématique orientée sur l’accueil d’entreprises du secteur agroalimentaire (désormais limité à 40 hectares), la zone d’activité a évolué vers un ensemble beaucoup plus métissé, à la fois technologique et urbain.
L’installation du centre de recherche de Philips (600 collaborateurs) sous forme d’un campus technologique qui se développera sur près de 20 000 m2 s’accompagnera d’un restaurant inter-entreprises et de services (crèche, espace fitness, restauration rapide…) à la disposition des employés de Philips et d’autres entreprises comme le centre d’appels Webhelp. Cela marque une rupture avec le passé d’un site industriel qui était plutôt fermé sur lui-même. En plus de cette vocation économique, l’ancien site de SMN accueillera 700 logements dont la première phase débute cette année. « Nous allons réintroduire de la complexité sur ce territoire en même temps que nous allons le relier aux communes voisines et à la ville de Caen », pointe Gilles Moreau, qui observe aussi que l’ancienne voie ferrée de la SMN pourrait servir d’emprise à la deuxième ligne de tramway. « Il n’était pas évident de savoir ce que l’on allait faire de ce vaste terrain. Le projet d’aménagement retenu a offert une solution d’attente, en rendant le site attractif », conclut Gilles Moreau.
