« Le code de l’environnement s’invite dans les immeubles et le bail vert sera insuffisant pour répondre à l’enjeu », telle est l’entrée en matière de Bruno Wertenschlag, avocat, à propos de la responsabilité des propriétaires bailleurs pour les déchets produits par leurs locataires. L’énoncé du problème correspond à une situation concrète. Celle dans laquelle, en fin de bail, d’autorisation d’occupation temporaire d’un bâtiment industriel, d’un entrepôt de stockage ou logistique, ou encore en fin de concession d’un domaine public ou d’un port autonome, le propriétaire récupère un immeuble encombré de déchets laissés par son locataire. La question est simple : qui gère ? C’est-à-dire, dans le vocabulaire du code de l’environnement, qui prend en charge les déchets, les trie, les collecte, les recycle ou les fait éliminer. Et à toute fin, qui paie.
De l’impunité du propriétaire non exploitant…
Pas de substitution par un propriétaire dans les obligations de l'exploitant en cas de défaillance de ce dernier. Les déchets provenant le plus souvent d’installations soumises à enregistrement, autorisation ou déclaration, les tribunaux appliquaient le principe qui affirme que seul le dernier exploitant est responsable, en vertu de la législation sur les installations classées (art. L512-14 et suivants du code de l’environnement). De façon constante, les juges refusaient donc de mettre en cause la responsabilité du propriétaire bailleur, considérant que « la seule qualité de propriétaire de l’immeuble » ne suffisait pas à le rendre responsable (Conseil d’Etat, 21 févr. 1997, n° 160250, SCI Les Peupliers). En clair, un site, le plus souvent une IPCE, envahi par des déchets est dépollué aux frais du pollueur (art. L110-1 du code de l’environnement). Après la disparition ou en raison de l’insolvabilité du pollueur, la responsabilité de la dépollution finissait par retomber sur les épaules de l’administration, dont les finances étaient mises à contribution. Solution applicable jusqu’à ce que les autorités publiques finissent par chercher d’autres biais pour éviter de piocher dans leur caisse… notamment en recherchant le propriétaire du site comme payeur.
… à sa responsabilité présumée
Une première brèche est ouverte dans la muraille, sur le terrain de la police des déchets et de l’article L541-2 du code de l’environnement qui vise tant le producteur que le détenteur des déchets. Dans une première décision rendue le 26 juillet 2011 (Conseil d’Etat, n° 328651), le juge retient la « négligence » du propriétaire du terrain sur lequel sont entreposés les déchets et décide qu’il en est responsable « en l’absence de détenteur connu de ces déchets ». Précision reprise dans deux arrêts ultérieurs du 1er mars 2013 (Conseil d’Etat, n° 354188 & 348912), qui confirment que cette responsabilité du propriétaire est subsidiaire, c’est-à-dire qu’elle est mise en cause lorsqu’il est impossible d’identifier le producteur ou un autre détenteur. La Cour de cassation partage ce point de vue en allant plus loin que ses homologues du Conseil d’Etat. Elle présume la responsabilité du propriétaire-bailleur « sauf à démontrer qu’il est étranger à l’abandon (des déchets) et ne l’a pas permis ou facilité par négligence ou complaisance » (Cass. Civ 3e ch., 11 juillet 2012, n° 11-10478).
Vers la validation légale ?
L’accroche de l’administration pour trouver un responsable payeur sur le terrain de la police des déchets est consacrée dans le projet de loi Alur. Son article 84 bis, ajouté par amendement sénatorial et adoubé par Cécile Duflot, ajoute un article L556-3 au code de l’environnement, lequel introduit une hiérarchie des responsabilités. Le dernier exploitant demeurera responsable de la remise en état des sols pollués à cause d’une activité industrielle alors que, pour les autres sites, la dépollution incombera au producteur des déchets s’il a contribué à la pollution des sols ou au détenteur dont la faute y aura contribué. A défaut de responsable dans ces deux catégories, le propriétaire de l’assise foncière sera présumé responsable sauf s’il démontre qu’il n’y a pas contribué, qu’il n’a pas été négligent et qu’il n’a pas pu connaître l’existence des déchets.
Des pistes pour y échapper
Devant la fatalité qui menace le propriétaire de gérer des déchets quand il change de locataire, Maître Wertenschlag préconise d’insérer aux baux les clauses nécessaires pour éviter les conséquences environnementales de l’occupation des lieux loués. Parmi les dispositions utiles, il cite :
- La clause obligeant le locataire à préciser le régime administratif sous lequel il exploite et à tenir informer le bailleur de toutes modifications,
- La clause obligeant le locataire à déclarer tout incident ou accident d’exploitation,
- La clause obligeant le locataire à communiquer copie de sa déclaration de cessation d’activité justifiant l’élimination des déchets et la mise en sécurité des sites,
- La clause imposant la solidarité environnementale entre le cédant et le cessionnaire du bail ou du fonds de commerce.
Par ailleurs, l’avocat suggère de subordonner le versement de l’indemnité d’éviction ou le remboursement du dépôt de garantie à la justification de la remise en état du site. « D’autant, rappelle-t-il, que la responsabilité environnementale se prescrit par 30 ans et qu’il est impossible d’y déroger, les dispositions du code de l’environnement étant d’ordre public. »