Décryptage

Les machines autonomes bientôt aux commandes des chantiers

Les briques technologiques s’accumulent dans la machine, au point d’envisager une totale automatisation des chantiers. Au moins pour certaines applications.

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Engins autonomes
Au centre de démonstration et de formation de Malaga (Espagne), un opérateur pilote à distance un bulldozer Caterpillar.

Lomas Bayas, Chili. Cette mine de cuivre, située dans le désert d’Atacama, a accueilli en 2024 le 700e engin autonome de la flotte que le constructeur Komatsu déploie dans le monde. Le programme d’autonomisation du groupe japonais a démarré il y a plus d’une quinzaine d’années, avec l’acquisition de FrontRunner, ancien prestataire devenu une division du constructeur. « Les tombereaux roulent à 15 km/h de façon continue sur des longues distances de 4 ou 5 kilomètres. Cette conduite fait économiser entre 15 et 20 % de carburant par rapport à une conduite humaine. La réduction du freinage permet également des économies de 15 % sur les pneumatiques », explique Alexis Muhlhoff, responsable produits au sein de Komatsu France. Caterpillar compte aussi depuis un peu plus de dix ans plusieurs milliers de tombereaux autonomes opérant sur une douzaine de sites dans le monde.Les engins autonomes sont en plein développement mais c’est dans le secteur minier que les avancées sont les plus importantes avec des engins opérationnels depuis une dizaine d’années. Dans les travaux publics, les prototypes autonomes ou semi-autonomes commencent seulement à voir le jour. Pourquoi une telle différence ? La réponse tient au caractère répétitif de la tâche. La géographie d’une mine restant la même, les machines et leur trajet sont plus simples à automatiser contrairement aux chantiers, changeant par nature. Une philosophie héritée des engins autonomes du secteur agricole, où le terrain reste par nature toujours le même pour la machine.

Des typologies de chantiers ciblées

La start-up française Manu Rob (2018) a développé une chargeuse autonome, Loadix, capable de déplacer de la matière en vrac d’un point A à un point B sur un parcours répétitif mais également de se recharger et changer de godet toute seule. « Nous n’avons pas l’intention de décliner la chargeuse pour le BTP car elle est programmée pendant deux semaines pour travailler tout le temps sur une ferme spécifique, précise Richard Swift directeur commercial et marketing chez Manu Rob. Le fermier n’a plus qu’à donner des ordres avec son téléphone. Sur les chantiers, qui changent constamment, mettre en place un engin autonome me paraît plus difficile. » En France, il n’existe pas encore de chantiers autonomes à l’exception de ceux du terrassier Heracles Robotics, mais cette société intervient elle-même sur les sites et ne commercialise pas encore ses engins directement aux clients. L’autonomie complète doit d’abord passer par le développement de plusieurs briques de semi-autonomie, qui n’en est elle-même qu’à ses balbutiements. « Pour l’instant, on utilise des engins semi-autonomes en France sur des chantiers très particuliers et assez dangereux, notamment la destruction (Brokk) et le déminage (pelle PC210LCi) », situe Alexis Muhlhoff de Komatsu France. Mais les développements sont en cours. L’Allemand Bomag, par exemple, commercialise depuis 2024 un compacteur pilotable à distance, le monocylindre BW177. L’opérateur peut se trouver à une centaine de mètres maximum pour rester dans le giron de la commande radio. Le constructeur planche également sur une étape supplémentaire vers l’autonomie, le lane assist, qui permettrait soit de guider le conducteur, soit de réaliser entièrement certaines manœuvres à sa place (rien n’est arrêté à ce jour). « Un chauffeur va zigzaguer, peut-être qu’il mettra 10 ou 25 centimètres de recouvrement alors qu’avec l’assistance par la machine, on peut limiter le recouvrement à 5 centimètres », explique Frank Védrines, responsable marketing et produits chez Bomag. Dans la même idée, l’Allemand commercialise déjà une assistance au freinage, déployée sur plusieurs dizaines d’engins depuis octobre 2024. L’écueil à éviter pour les constructeurs d’engins autonomes ou semi-autonomes est d’imposer au client le recours à du personnel qualifié. Liebherr a concentré ses efforts sur ce point pour développer un logiciel très facile d’utilisation avec son Liebherr Autonomous Operation. Cette solution d’autonomie a été testée sur des chargeuses à pneus de la série XPower (L550 à L586). Grâce à elle, le chantier est restitué virtuellement sur ordinateur via des capteurs installés sur l’engin. En quelques clics, un opérateur désigne les matières à déplacer, le lieu du dépôt et les quantités, puis la machine s’exécute de façon autonome avec son jumeau numérique en direct sur l’écran. Un jeu vidéo de gestion n’aurait pas grand-chose à envier. « Ce système de Liebherr permet au personnel existant, par exemple les chefs d’exploitation, de prendre en charge chez le client l’utilisation des machines autonomes après une formation adéquate », justifie Manuel Bös, responsable des nouvelles technologies du groupe allemand, ajoutant que « des connaissances particulières en informatique ne sont pas nécessaires ».

Offre restreinte

Pour l’instant, Liebherr n’a pas dévoilé quand sera commercialisée sa chargeuse à pneus autonome. Caterpillar avance aussi prudemment sur la commercialisation de sa solution d’autonomisation, Cat Command, en Europe en la rendant disponible petit à petit sur ses gammes de matériels. Sur ces marchés, elle est actuellement proposée pour certaines excavatrices (313-395), bulldozers (D5-D8) et chargeuses à pneus (950-982). Elle pourrait bientôt être une option pour les chargeuses plus compactes (926, 930 et 938). Elle permet à des opérateurs de piloter des machines à distance en étant basé dans une station excentrée parfois à plusieurs kilomètres du chantier. Aucun des constructeurs ne souhaite reproduire le projet avorté de Volvo qui avait pourtant mis l’eau à la bouche de plusieurs clients dont Eiffage, Colas, Eqiom Granulats ou encore Holcim.Démarré en 2016 via la filiale Volvo CE puis transféré à la nouvelle entité Volvo Autonomous Solution en 2019, le projet de tombereau autonome électrique HX02 puis nommé TA15 a finalement été arrêté en juillet 2024.« Problème de potentiel marché et d’équilibre économique, malgré un prototype qui fonctionnait en Suisse », rapporte Colas. Ce petit dumper, d’une capacité de charge de 15 m3 , aurait pourtant été bienvenu sur le Vieux Continent car les énormes camions miniers autonomes exploités en Australie, en Afrique du Sud ou dans d’autres pays miniers ne sont pas adaptés à la demande des chantiers européens. « Ces engins restent cantonnés à des pays particuliers car il s’agit d’une catégorie de machines de très grande dimension, sollicitée sur des activités minières que l’on n’a pas en Europe », constate Alexis Muhlhoff. Le marché, encore trop jeune, se situe actuellement dans un attentisme puisque d’un côté les constructeurs restent prudents vis-à-vis d’une faible demande et de l’autre, les clients espèrent des solutions plus concrètes. Les retours recueillis par l’Union nationale des industries de carrières et matériaux de construction (Unicem) donnent une idée de la perception de cette demande : « Le groupe étudie des solutions d’autonomie en Autriche et en Norvège mais rien de concret », déclare Holcim France. «Rien de concret dans le groupe », également du côté d’Eiffage. « Les constructeurs ont tous développé des solutions pour le contrôle à distance, mais rien sur le sujet des engins autonomes », explique Colas. « L’automatisation n’est pas vraiment mûre chez nous non plus au point de pouvoir envisager une action concrète d’ici trois ans », commente Eqiom Granulats.

Start-up à la manœuvre

Il est intéressant de noter que malgré la pénurie de main d’œuvre dans le BTP, « les majors en France ne s’emparent pas du sujet des engins autonomes. Ils ont toujours été suiveurs, attendant des solutions plus matures avant de vraiment s’y intéresser », note un expert du secteur. Du côté de l’offre, le constat reste unanime sur le fait que le marché a encore besoin de quelques années pour prendre de la maturité. « Les bulldozers autonomes arriveront dans une dizaine d’années, pas avant », prédit Alexis Muhlhoff (Komatsu France). De leur côté, les startups impulsent une dynamique avec le développement des engins autonomes en s’associant avec des géants. Ainsi, l’Américain SafeAI collabore avec le Japonais Obayashi Corp pour rétrofiter les camions Caterpillar 725. De son côté, la start-up américaine Teleo (2019) a levé 16,2 millions de dollars en novembre dernier pour rendre autonome des chargeuses sur pneus et des pelles. Enfin, la start-up suisse Gravis Robotics s’est associée avec le Sud-Coréen Develon pour robotiser une pelle de 23 tonnes, autonome sur certains mouvements, et travaillent sur des essais en conditions réelles.

Combinaison gagnante

Les améliorations à venir reposent sur deux technologies clés : le LiDAR et l’intelligence artificielle (IA). « Les caméras LiDAR ou encore les scanners LiDAR d’une machine autonome doivent être assez robustes pour tous environnements, affirme Manuel Bös (Liebherr). Il existe peu de composants capables de résister aux chocs et aux vibrations et les trouver reste très difficile. » Quant à l’IA, son développement fulgurant ces dernières années doit maintenant se traduire par l’assemblage de toutes les briques de semi-autonomie : lecture du terrain, reconnaissance et chargement des matières, changement d’accessoires, compréhension de l’avancée du chantier et même communication entre les engins. Toutes ces avancées devraient être motivées par le besoin constant de main-d’œuvre sur les chantiers…

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