Les récents et tragiques événements de Dammarie-les-Lys et de La Duchère à Lyon ont, une nouvelle fois, attiré l'attention du monde politique et de l'opinion publique sur les problèmes des quartiers en difficulté. Des quartiers où, le documentaire réalisé par Bertrand et Niels Tavernier (passé récemment sur les antennes de France 2) le montre bien, le chômage, des jeunes en particulier, est très certainement le problème numéro un (1). Cette dérive fait dire à Michel Cantal-Dupart, architecte-urbaniste : « Je sens que la révolte urbaine gronde et je crains que nous n'ayons pas mis en place les bonnes méthodes pour améliorer la situation. » Une analyse en grande partie partagée par André Dorso, sous-préfet à la ville dans le département du Nord, qui affirme : « L'ambiance dans les quartiers a changé, les positions se durcissent. Dans l'un des quartiers de ma zone d'action, des habitants avaient décidé de se rassembler afin de réaliser une imposante sculpture. Celle-ci a été décapitée dans la nuit qui a suivi son achèvement. » « Cela ne se serait pas produit il y a quelques mois ; j'y vois une violence accrue », ajoute ce sous-préfet qui n'est pas seul à constater un « durcissement » de la situation dans les quartiers défavorisés.
Il est donc difficile de nier l'inquiétude des principaux acteurs de la politique de la ville. Ceux-ci souhaiteraient que le gouvernement Jospin les rassure et surtout précise ses intentions et sa stratégie.
Or, il est évident que le ministre concerné, Martine Aubry, aborde ce dossier sur la pointe des pieds. Depuis sa nomination, en juin 1997, le ministre de l'Emploi et de la Solidarité ne s'est guère prononcé sur ce sujet, sans doute trop accaparé par la préparation de son plan emploi-jeunes. Toutefois, le 9 septembre, elle a chargé le maire socialiste d'Orléans, Jean-Pierre Sueur, d'une mission de réflexion et de propositions sur l'« invention » d'une politique de la ville capable « d'enrayer les processus d'exclusion et de ségrégation spatiale et sociale dont sont victimes de nombreux quartiers et leurs habitants ».
Mesures urgentes
Partisan depuis longtemps du renforcement des pouvoirs des agglomérations et d'une péréquation financière renforcée entre communes riches et pauvres au sein d'un même bassin de vie, l'ancien secrétaire d'Etat nous livre ici ses premières réflexions (voir interview), son rapport final devant être remis à Martine Aubry avant la mi-février.
La tâche du maire d'Orléans n'est pas des plus faciles. Dans la mesure notamment où il doit « dessiner » la ville (presque) idéale du XXIe siècle, alors que la plupart des opérateurs attendent des mesures concrètes et immédiates, en particulier pour limiter la casse dans les quartiers à risques.
Force en tout cas est de constater un certain découragement et une démobilisation des acteurs de la politique de la ville. Même dans l'entourage de Jean Daubigny, le « patron » de la Délégation interministérielle à la ville et au développement social urbain, on admet être « dans l'attente du rapport de Jean-Pierre Sueur et des mesures ou des textes de loi qui en découleront ».
« Je ressens un essoufflement des chefs de projet et des équipes de maîtrise d'oeuvre urbaine et sociale - MOUS - qui n'ont pas de statut réel et qui sont à la fois mal rémunérés et peu considérés par des élus qui peuvent se passer de leurs services à la première occasion », remarque pour sa part le sous-préfet à la ville, André Dorso.
Plusieurs autres pistes de réflexion résultent d'entretiens que nous avons eus avec des spécialistes de la politique de la ville. C'est ainsi qu'Alain Etoré, le maire socialiste des Mureaux, une ville de 34 000 habitants (Yvelines), estime que sa zone franche urbaine (Les Cinq-Quartiers) « ne pourra vraiment décoller et générer la création d'un nombre substantiel d'emplois que le jour où les opérateurs économiques ne craindront plus pour la sécurité de leurs équipements, en particulier tout ce qui touche à l'informatique ».
Pour sa part, Philippe Demester, maire adjoint de Roubaix, souhaite que la relance de la politique de la ville « ne débouche pas sur la suppression de certaines mesures prises par les gouvernements précédents, n'ajoute pas de nouvelles strates réglementaires et ne complique pas encore un peu plus la tâche de ceux qui vivent la politique de la ville au quotidien ».
En ce qui le concerne, Jacques Auxiette, maire de La Roche-sur-Yon et président du Gart (Groupement des autorités responsables des transports), insiste beaucoup sur la nécessité de ne pas oublier les transports dans la définition de la politique de la ville. « Il a fallu attendre le Pacte de relance pour la ville de janvier 1996 pour que ce volet soit - enfin - pris en compte », affirme-t-il.
Des analyses, des regrets, des propositions dont Jean-Pierre Sueur va certainement tenir compte dans son rapport final qui semble attendu comme le messie par tous ceux qui, même s'ils n'ont pas trop le temps de repenser la ville du XXIe siècle, s'efforcent tous les jours d'« enrayer les processus d'exclusion et de ségrégation spatiale et sociale », pour reprendre les termes du ministre chargé officiellement de la politique de la ville.
Le Moniteur ouvre le débat
Nombreux sont les lecteurs du Moniteur qui ont des suggestions pouvant nourrir le débat sur la politique de la ville. Nous leur proposons donc de leur ouvrir largement notre rubrique « Courrier » :
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