Est-ce bien le rôle de la première agence d’architecture de France de lancer une revue dédiée au monde post-carbone qui doit advenir d’ici à 2050 ?
Arep est et continuera d’être un blockbuster post-carbone dans son domaine. Avec nos 1000 collaborateurs et 25 années d’existence, nous avons une force de frappe qui nous permet d’agir à travers nos projets. Mais, face à l’actuelle pauvreté du débat sur la transition écologique en France, nous nous positionnons aussi comme militant. Nous sommes à la fois des sachants et des acteurs engagés.
Au travers des 130 pages de la revue «Post», qui est parue le 27 janvier, nous souhaitons dresser un état de la recherche, alimenter les questionnements et donner à lire un imaginaire de ce que pourrait être la ville post-carbone. Avec une dimension pédagogique, accessible, « Post » s’adresse à un large public. D’ailleurs, la revue commence par un glossaire dans lequel nous expliquons des notions comme la densité, le post-carbone, la solastalgie (1) ou la séquestration du CO2.
Dans cette revue, vous avez choisi de vous interroger sur ce qu’est la bonne échelle pour concevoir un territoire post-carbone. Alors, qu’elle est-elle ?
Se pose en effet la question de la taille optimale de la ville dans une perspective de neutralité carbone. « Post » revient par exemple sur le phénomène de la métropolisation qui prévalait depuis une dizaine d’années et affichait des objectifs tels que « Bordeaux métropole millionnaire ». Aujourd’hui, ce modèle paraît périmé et trop éloigné de l’échelle humaine.
Territoires de faible densité
A l’inverse, dans un texte que j’ai écrit précédemment et intitulé «Petits pays renouvelables», je détaillais la nécessité de flécher les investissements vers les territoires de faible densité, tels que les zones péri-urbaines, les bourgs ou ces lieux que l’on dit faire partie de la «diagonale du vide». Les leviers de la transition écologique sont davantage à chercher là qu’à Lyon ou Nantes, qu’il s’agisse de participation démocratique, d’indépendance alimentaire ou énergétique… On pourrait par exemple les rendre prioritaires dans l’attribution de certaines aides, comme le préconisait d’ailleurs la Convention Citoyenne pour le Climat à l’issue de ses travaux. La prime à l’achat d’un véhicule électrique semble par exemple plus utile aux habitants de ces territoires qu’à un Parisien.
«Post» sort fort à propos, trois mois avant l’élection présidentielle…
C’est une coïncidence mais nous le partagerons peut-être avec les candidats. Je crois à 200 % au lien entre théorie et pratique.
Parlons justement de la pratique d’Arep. Vous avez engagé une démarche volontariste baptisée EMC2B, pour illustrer vos points d’attention prioritaires : Energie, matière, carbone, climat et biodiversité. Comment se traduit-elle dans vos projets les plus récents ?
Nous venons de rendre l’étude que nous avons menée dans le cadre de la consultation «Luxembourg in transition» et nous avons établi une feuille de route de la décarbonation du Grand-Duché et de sa zone fonctionnelle, c’est-à-dire les régions qui, dans les pays voisins, sont connectés à son territoire. Par ailleurs, nous allons faire un exercice similaire à Annecy. Il est important, dans ces travaux à grande échelle, de bien définir les besoins puis, pour ne pas rester paralysé devant l’ampleur de la tâche, de pointer les quelques sujets par lesquels il est possible de commencer. Par exemple au Luxembourg, nous recommandons la préservation de ses importantes zones forestières afin d’agir à la fois sur la séquestration du carbone et sur la biodiversité.
Changer l'usage en plantant un arbre
Mais nous travaillons aussi sur la plus petite échelle. A Paris, nous avons élaboré pour la Ville des prototypes de «rues aux écoles» aux abords de trois établissements des XVIIIe et XXe arrondissements, qui permettront de tester des zones plus sécurisées, propices à la marche à pied. Nous n’avons pas inventé de nouveaux mobiliers urbains mais proposons plutôt de travailler sur la renaturation de ces rues : on peut changer leur usage en plantant un arbre. Enfin la mairie de Paris, toujours, nous a confié une mission pour la création de cours Oasis dans les écoles du XIe arrondissement, c’est-à-dire pour procéder à la débitumisation de ces espaces, notamment pour lutter contre les effets d’îlot de chaleur.
Mais comment rendre ces projets désirables ?
Actuellement quand nous travaillons sur un concours, la question se pose de savoir s’il faut concevoir un grand geste bâti, bien visible. Cela a-t-il encore un sens au regard du poids, en tonnes comme en carbone, de tels projets ? Alors, plutôt qu’architectes, nous devons être « désarchitectes » et réussir à rendre l’absence séduisante, à élaborer des projets désirables par leur subtilité.
Améliorer l'accueil à la gare du Nord
Ainsi, je suis particulièrement heureux de notre projet pour la future transformation de la gare Saint-Michel du RER C, à Paris, qui joue habilement sur la réouverture des arches côté Seine. En suivant cette ligne, nous prenons un risque car les maîtres d’ouvrage, en particulier les politiques, aiment à marquer la différence, mais nous sommes ainsi en phase avec nos convictions.
A propos de gares parisiennes, où en êtes du nouveau projet pour la gare du Nord ?
Il s’agira d’une première phase de transformation, assez légère, qui devra être achevée à l’automne 2023. Arep agit auprès de SNCF Gares & Connexions pour permettre l’accueil des publics des Jeux olympiques mais aussi pour améliorer celui des usagers du quotidien dans une gare saturée aux heures de pointe. Cette première étape de rénovation devrait donner à vivre une nouvelle expérience de cette gare. Avec toutes les parties prenantes, nous donnons le maximum et je souhaite que nous parvenions à un beau projet.
(1) Solastalgie ou éco-anxiété est une sorte de souffrance liée à la perte de son « chez soi », son habitat. Elle est liée aux changements environnementaux et climatiques.
«Post – La revue d’Arep : Post-carbone, l’échelle en question», en librairie, 130 pages, 19 €.