Apparence trompeuse : la voûte qui protège l’entrée de la source semble épouser la montagne depuis toujours, tout comme le moulin en contrebas. Liés l’un à l’autre, les deux ouvrages proviennent du même schiste sombre qui dessine la crête, au sud du Mont-Lozère. Depuis l’an 2000, une association à vocation culturelle entretient le moulin de Bonijol et son système hydraulique, aux abords du hameau de Figerolle, à Vialas (Lozère).
Attaque à la disqueuse
L’entrepreneur en paysage et bâtisseur en pierre sèche Romain Pfister n’est pas prêt d’oublier la remise à neuf de l’entrée de la source, durant l’hiver 2022. Après une tentative infructueuse pour restaurer à l’identique l’ouvrage fragilisé par les piétinements des sangliers, il a fallu se rendre à l’évidence : une assise stable passait par la reprise des fondations.

La restauration des appuis passe par la reprise des fondations du mur affaibli par les piétinements des sangliers. ©RP
« La seule solution consistait à prendre appui sur le rocher, après l’avoir raboté à la disqueuse thermique. Habituellement utilisé pour le bitume routier, cet outil convient aussi pour le schiste très dur de ce versant », explique Romain Pfister, mobilisé sur ce chantier avec ses collègues Maxime Bancastier et Edouard Flouraud.
Topographie favorable
Les trois artisans se sont résolus à troubler le silence de la montagne cévenole, en faisant sauter la pierre progressivement, après y avoir tracé des sillons de 15 cm de long, les pieds dans le bassin. La reprise des fondations a conduit à évacuer 1 m3 en un jour et demi, avant de reconstruire la voûte pendant une semaine, en s’appuyant sur des coffrages en bois.
Malgré la pente raide en contrebas de la route qui descend de la crête vers le village de Vialas, la configuration du terrain a facilité l’exercice : « Un collègue nous a amenés environ 300 l de pierre au-dessus du bassin, à environ 8 m du chantier. De là, nous avons pu les manutentionner à la brouette mécanique », témoigne Romain Pfister.
Démonstration de clavage
L’opération a démontré l’un des atouts de la pierre sèche : appelée pose sur chant ou clavage, l’agencement de tranches verticales donne au matériau une résistance mécanique exceptionnelle. La profession se prépare à mesurer cette propriété dans la prochaine édition de ses règles professionnelles (voir premier épisode).
Pour éviter les dommages causés par les alternances de gel et de dégel qui fragilisent la pierre, le chantier s’est prolongé par une reprise de l’écoulement hydraulique. « L’évacuation plus rapide du bassin vise à empêcher la stagnation », explique Romain Pfister.
De la pierre à l’eau
Au moins les artisans n’ont-ils pas rencontré de difficulté pour s’approvisionner en eau, indispensable au refroidissement des diamants de la disqueuse. Leur respect du milieu les a conduits à recueillir les tritons et à les abriter en lieu sûr, avant de les ramener au bercail en fin de chantier.

Canal restauré, à l'aval du moulin de Bonijol
La restauration de l’entrée de la source a complété celle des deux canaux, à l’aval du moulin, par une autre équipe d’artisans. Dans un territoire secoué par la violence croissante des épisodes méditerranéens, ces chantiers prouvent l’utilité de la pierre sèche au service de la régulation pluviale.
Mémoire participative à Champdomergue
Clairière lumineuse au sortir d’une futaie touffue de douglas et de châtaigniers sur la commune de Ventalon-en-Cévennes (Lozère), le mémorial de Champdomergue remet en scène paysagère la mémoire des maquisards, des camisards et des prédicants.
Pose des murets du mémorial, en 2020 avec l'appui des Artisans bâtisseurs en pierre sèche
En 2020 pendant les confinements du Covid et à l’occasion du cinquantenaire du Parc national des Cévennes, les Artisans bâtisseurs en pierre sèche ont livré à l’association « Du Céfédé à la ligne verte » les pierres qui leur manquaient pour clôturer le site qui surplombe les vallées du Cougnet et du Gardon d’Alès.
Honneur à la prophétesse protestante
Ici, les protestants se rassemblaient pour écouter la prédicante Françoise Brès, avant son arrestation et sa pendaison sur la place publique du Pont de Montvert, le 25 janvier 1702 à l’âge de 29 ans. Trois siècles plus tard, elle revit dans les trois abris soutenus par des troncs de châtaigniers et couverts par des toitures en lauze, au fond de la prairie encadrée par sa clôture en pierre sèche.
« Il reste encore quelques murets à finir, et des lézardes à boucher à la chaux sur les abris », précise Guy Benoît, ancien président et fondateur de l’association créée à l’origine pour célébrer le centenaire de la ligne de chemin de fer qui reliait Florac (Lozère) à Ste-Cécile d’Andorge (Gard), entre 1909 et 1968. « Nous prévoyons aussi de prolonger le chemin qui donne accès au site où se tient le culte annuel, tous les seconds dimanches de septembre », ajoute le militant associatif.
Tradition ressuscitée
Tout un programme festif précède la cérémonie religieuse : conférence historique, partage de l’aligot sous un chapiteau, chant choral… Guy Benoît tient à citer les principaux artisans de la renaissance de la tradition abandonnée après-guerre : l’instigateur Etienne Passebois, ancien maire de Saint-Frézal de Ventalon (village désormais rattaché à Ventalon-en-Cévennes), Alain Rampon, entrepreneur en maçonnerie à St-Privat de Vallongue, et l’ancien maire de cette dernière commune Marcel Poudevigne, propriétaire des châtaigniers sciés par André Hugon...
Le mémorial rend hommage à l'esprit de résistance des camisards et des maquisards qui ont combattu sur ce site. ©LM
« Aujourd’hui, avec les drones, les camisards et les maquisards ne tiendraient pas longtemps », remarque Guy Benoît. Inscrite dans la pierre et le châtaignier, la mémoire vivante de Françoise Brès incite pourtant à garder espoir et à cultiver l’esprit de résistance.
Avant le culte du 8 septembre prochain, un autre événement montrera que les troupes de Louis XIV inspiraient une terreur non moins intense que les nouvelles technologies de l’armement : le 11 août à Champdomergue, un spectacle évoquera la guerre des camisards, vue par le metteur en scène cévenol Lionel Astier, dans sa récente œuvre « Elise, la colère de dieu ».