Décryptage

Sous-traitance - Peut-on couvrir la nullité résultant du défaut de garantie ?

Bien que cette sanction soit d'ordre public, la chambre commerciale de la Cour de cassation ouvre une porte.

 

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Marchés privés

Une décision récente de la chambre commerciale de la Cour de cassation () pourrait faire évoluer le droit et les pratiques concernant la non-fourniture, par l'entrepreneur principal, d'une garantie de paiement au sous-traitant.

L'obligation prévue par la loi de 1975

Pour mémoire, « à peine de nullité du sous-traité les paiements de toutes les sommes dues par l'entrepreneur au sous-traitant [...] sont garantis par une caution personnelle et solidaire obtenue par l'entrepreneur d'un établissement qualifié [...] », sauf délégation de paiement du maître d'ouvrage. C'est ainsi que la relative à la sous-traitance organise, dans son article 14, la garantie de paiement du sous-traitant. Et l'article 15 ajoute : « Sont nuls et de nul effet, quelle qu'en soit la forme, les clauses, stipulations et arrangements qui auraient pour effet de faire échec aux dispositions de la présente loi. »

Mise en œuvre délicate. Une jurisprudence bien établie rappelle ces principes en matière de marchés privés. L'entrepreneur doit garantir le paiement des sous-traitants par une caution remise lors de la signature du contrat ou une délégation. Le défaut est sanctionné par la nullité, facile à obtenir, d'un effet simple à énoncer, puisque tout l'édifice contractuel est remis en cause (offre, plannings, pénalités… ), mais ardue à mettre en œuvre. Une expertise est généralement ordonnée pour déterminer le coût des travaux effectués par le sous-traitant et les éventuelles restitutions réciproques. Une autre action au fond doit ensuite être engagée par le sous-traitant sur la base du rapport de l'expert, pour réclamer le paiement des sommes dues, ce qui peut être long et fastidieux, et s'éloigne de l'objectif de protection de la partie présumée la plus faible économiquement.

La possibilité de renoncer en débat

Les difficultés de mise en œuvre de ces dispositions, et l'insécurité juridique qui en résulte pour les deux parties, ont amené à remettre en cause l'effet quasi automatique de cette nullité. Des entrepreneurs ont ainsi imaginé contourner la position de la troisième chambre civile de la Cour de cassation, qui rappelle régulièrement que « les dispositions d'ordre public de la loi [de] 1975 interdisent toute renonciation ou remise conventionnelle accordée par le sous-traitant à la caution » (, publié au Bulletin). Comment ? En invoquant la renonciation par le sous-traitant, informé de la situation et conscient de ses droits, et qui, par son comportement non équivoque tiré de l'exécution sans réserve de la commande, viendrait couvrir cette nullité d'ordre public édictée en sa faveur, ce qui lui permettrait, en fait, d'y renoncer et de l'indiquer ou de se le voir opposer.

Cette thèse a été accueillie par de nombreuses juridictions du fond, s'appuyant notamment sur des décisions de la chambre commerciale de la Cour qui avaient clairement posé le caractère relatif de cette nullité d'ordre public ( : les garanties de l'article 14 « constituent des garanties complémentaires créées pour la protection des sous-traitants et la nullité [...] résultant de l'absence de ces garanties ne pouvait être invoquée que par le sous-traitant » ; , Bull.).

Dans l'affaire ici commentée, la cour d'appel d'Aix-en- Provence () avait appliqué la lettre de la loi conformément à l'interprétation de la troisième chambre civile. Elle avait rejeté l'argument avancé par l'entrepreneur principal, selon lequel le sous-traitant avait abandonné le moyen juridique lié à l'absence de garantie, en exécutant 122 commandes toutes affectées par ce défaut. Elle a ainsi confirmé le jugement rendu en première instance qui avait prononcé la nullité du sous-traité et ordonné une mesure d'instruction pour faire les comptes entre les parties.

L'approche de la chambre commerciale

Cette décision a fait l'objet d'un pourvoi. L'entreprise principale a soutenu que le sous-traitant avait renoncé à la nullité de l'article 14, et qu'il l'avait fait en connaissance de cause, car appartenant à un groupe important et savant sur le plan juridique. Elle a ajouté que la nullité n'avait été évoquée au début du litige que pour demander le paiement de travaux supplémentaires et échapper au cadre forfaitaire des commandes.

Dans son arrêt du 9 septembre 2020, la chambre commerciale accueille cette critique. Elle énonce que la violation de l'article 14 qui a « pour objet la protection des intérêts du sous-traitant, est sanctionnée par une nullité relative, à laquelle ce dernier peut renoncer par une exécution volontaire de son engagement irrégulier, en connaissance du vice l'affectant ». Et indique qu'il aurait fallu rechercher, après avoir constaté que le sous-traitant avait exécuté les obligations résultant du contrat, « si cette exécution n'avait pas eu lieu en connaissance du vice affectant le contrat ». A défaut de quoi, la cour d'Aix a privé sa décision de base légale au regard de l' alors applicable (aujourd'hui, article 1182). Lequel disposait : « L'acte de confirmation ou ratification d'une obligation contre laquelle la loi admet l'action en nullité ou en rescision, n'est valable que lorsqu'on y trouve la substance de cette obligation, la mention du motif de l'action en rescision, et l'intention de réparer le vice sur lequel cette action est fondée. A défaut d'acte de confirmation ou ratification, il suffit que l'obligation soit exécutée volontairement après l'époque à laquelle l'obligation pouvait être valablement confirmée ou ratifiée. La confirmation, ratification, ou exécution volontaire dans les formes et à l'époque déterminées par la loi, emporte la renonciation aux moyens et exceptions que l'on pouvait opposer contre cet acte, sans préjudice néanmoins du droit des tiers. » C'est donc une cassation qui est prononcée, avec la portée particulière du défaut de base légale, plaçant au même niveau les dispositions du Code civil concernant la renonciation, et celles de la loi de 1975, pourtant expressément qualifiées d'ordre public.

En attendant la prochaine décision

La postérité de cette décision sera intéressante. La cour d'appel de Nîmes, juridiction de renvoi, devra tenir compte de la solution dégagée par la chambre commerciale et se pencher sur cette renonciation du sous-traitant, pleinement conscient des vices affectant le contrat. Ou bien l'arrêt à intervenir est accepté par les deux parties, qui sont encore en litige après l'expertise, pour une somme d'un demi-million d'euros. Ou bien il fera lui aussi l'objet d'un pourvoi et donnera alors peut-être à la Cour de cassation l'occasion de régler l'incompatibilité qui existe entre la position de la troisième chambre civile et de la chambre commerciale.

Conséquences tactiques. Mais c'est aussi chez les praticiens que cette décision peut être riche de conséquences. Si l'on suit la position de la chambre commerciale, le sous-traitant peut, par l'exécution en connaissance de cause, couvrir une nullité d'ordre public. Si le défaut de garantie est, par nature, imputable à l'entrepreneur principal, les deux parties doivent ensuite aménager l'exécution de leur rapport contractuel en fonction de cette nullité relative. Cela permet au sous-traitant d'être encore protégé, puisqu'il négociera au mieux de ses intérêts la renonciation à l'invocation de ce moyen. On peut même imaginer une position plus offensive de la part de l'entrepreneur principal qui s'efforcerait de créer les conditions de cette renonciation en révélant le défaut de garantie au sous-traitant, et en invoquant contre lui et à titre préventif l'exécution en parfaite connaissance de cause et sans réserves des prestations objet du contrat.

Ainsi, après de nombreuses années d'application, les dispositions de l'article 14 de la loi de 1975 n'ont pas fini de nourrir les débats des juridictions et des praticiens. Et la question est posée de la définition de la renonciation en connaissance de cause à une disposition d'ordre public, et de ce qu'il faudra comme degré de précision aux juges du fond pour donner une base légale à leurs décisions, le contrôle par telle ou telle chambre de la Cour de cassation permettant de faire primer ordre public ou droit civil.

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