Ouvrages ferroviaires Un pont rigide pour faire sauter un bouchon à Bordeaux

Conçu pour fluidifier le trafic des trains aux abords de la gare, le pont sur la Garonne a fait l’objet du plus grand chantier ferroviaire hors LGV. Soumise aux caprices du fleuve, et mêlant travaux fluviaux et terrestres, sa construction a nécessité des techniques inédites pour obtenir une raideur maximale.

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D’une certaine façon, c’est le pont de Pierre qui a conditionné le mode constructif du pont ferroviaire de Bordeaux. En effet, les barges transportant les poutres métalliques du tablier devaient passer sous ses arches. Et cela au terme d’un périple qui les menait de l’usine Eiffel de Lauterbourg en Alsace jusqu’à l’estuaire de la Gironde en passant par le Rhin, la mer du Nord, puis le long des côtes françaises. Le créneau de passage sous les arches était très court : « Le marnage très important (près de 10 mètres d’amplitude entre les marées) ne laissait que 20 minutes et quelques centimètres pour passer », explique Matthieu Carry, responsable des travaux pour Eiffage TP. Un exploit à faire pâlir les convoyeurs des tronçons de l’airbus A 380, qui empruntent régulièrement le même chemin mais avec des chargements moins importants. Chaque convoi transportait en effet une travée entière, soit trois poutres-caissons d’une longueur de 80 m au maximum, pour un poids de plus de 1 200 t pour le convoi le plus lourd.

Appuyé sur sept piles (dont cinq dans le fleuve) régulièrement espacées (quatre travées de 77 m, une de 66 m et une de 70 m), le tablier d’une longueur de 445 m supporte quatre lignes et des appareils de voies. Il devait donc être d’une stabilité sans faille. Ainsi est-il quasiment indéformable ! Verticalement, sous l’effet des différentes charges, la flèche est 3,5 fois inférieure à celle d’un pont routier soumis aux mêmes charges. Ce sont les poutres-caissons en acier haute performance qui permettent d’atteindre une telle rigidité tout en restant fines. De plus, le cahier des charges imposait que le point fixe situé sur une des piles ne puisse jamais s’écarter longitudinalement de sa position d’équilibre de plus de 5 mm sous l’action des trains. C’est-à-dire que la force équivalant à 700 tonnes et résultant du freinage d’urgence de deux trains dans un sens et de l’accélération de deux trains dans l’autre sens, doit respecter cet écart. Cette contrainte se transmet aux piles dont la grande rigidité attendue aura dimensionné la taille des fondations.

Structurellement, le tablier est composé de trois poutres-caissons en acier haute performance (S355 et S450) de 80 m de long et à hauteur variable (de 2,70 m à 4,50 m). Le caisson central est le plus imposant puisqu’il reprend à lui seul 60 % des charges. Des entretoises disposées tous les 3,50 m rigidifient les caissons et supportent les hourdis au-dessus desquels seront mises en place les voies ferroviaires. Ces hourdis sont constitués de poutrelles acier enrobées dans du béton, structure peu commune qui leur assure une grande rigidité.

Un chantier entre terre et eau. S’adaptant aux contraintes spatiales du site, les équipes de chantier ont dû faire preuve d’une imagination s’affranchissant des éléments. Une estacade provisoire de 240 m de long a ainsi été montée rive droite. Capable de supporter des grues de 120 t, elle a facilité grandement la construction de trois piles en rivière. « Il n’était malheureusement pas possible de la faire courir sur toute la largeur du fleuve, car il fallait laisser des passes navigables », explique Matthieu Carry. Du coup, les deux piles rive gauche ont été érigées à partir de barges et de pontons flottants. Pour la pose des travées au-dessus du fleuve, une barge très stable de plus de 70 m de long a été utilisée. A terre, une grue superlift de 700 t a permis de mettre en place rapidement une poutre de 214 t enjambant la voie sur berge.

C’est pour résister aux courants importants générés par l’alternance des marées haute et basse qu’un batardeau très rigide a été imaginé. « C’est la première fois que la technique du rideau combiné-fermé est utilisée pour réaliser un batardeau » (voir encadré page suivante), assure Matthieu Carry. Alors qu’un batardeau est habituellement composé d’une série de palplanches, le rideau combiné-fermé est constitué d’une alternance régulière de pieux acier et de doubles palplanches de 30 m de long. Pieux et palplanches s’emboîtent les uns dans les autres et sont ancrés dans la couche dure. Mais cette innovation technique n’a pas été sans poser de problème. Les éléments permettant de faire coulisser les pieux dans les palplanches n’étaient pas présents sur les pièces livrées. Un atelier de soudage a donc dû être constitué pour corriger ce défaut. Cet aléa a nécessité trois mois et demi de travaux. Délai que l’entreprise a finalement comblé puisqu’au final la livraison de la première phase sera effectuée au printemps, une semaine avant la date prévue.

Des bouchons de 2 700 m3de béton coulé en continu. Une fois le batardeau constitué, un bouchon de béton immergé servant de lest et se substituant au mauvais sol a été coulé. Et à une cadence extraordinaire. Ce sont ainsi de 1 500 à 2 700 m3 de béton qui ont été mis en œuvre en continu pendant 24 à 37 heures d’affilée selon les piles. « Il s’agissait d’éviter un effet “ mille-feuilles ” », explique Mathieu Carry. En effet, si le coulage avait été réalisé en plusieurs fois, de la vase aurait pu s’intercaler entre deux phases. Le béton, mis en œuvre par des équipes de plongeurs, était donc très fluide pour se répartir de lui-même sous l’eau. Avec une logistique impressionnante. Trois centrales à béton, dont une de secours, étaient mobilisées en permanence pour fournir les vingt camions qui se relayaient, assurant ainsi l’alimentation simultanée des deux pompes. « Notre objectif était de couler 80 m3 de béton par heure », poursuit l’ingénieur.

Une profusion de béton qui a autorisé les équipes à parfois trop en mettre. Ainsi, alors que le calcul autorisait la réalisation de piles creuses, diminuant les volumes de béton nécessaires, la réalité du chantier a dicté une autre loi : « Le temps mis pour mettre en place les coffrages spécifiques était long comparé au peu de volume de béton (200 m3) que nous économisions sur les piles », explique Matthieu Carry. Ainsi, seules les piles réalisées à partir de l’estacade sont creuses. Pour les deux autres, le volume intérieur est plein.

A partir du 8 mai 2008, deux voies sur les quatre seront mises en service. Les deux voies de la passerelle de Gustave-Eiffel ne seront alors plus empruntées. Après 150 ans de bons et loyaux services, la première œuvre du célèbre ingénieur devra alors être au moins en partie déconstruite, une de ses extrémités se trouvant en plein dans le tracé du nouveau pont. Les équipes auront alors jusqu’au 31 mai 2009 pour finaliser les travaux des deux autres voies (ce qui représente 10 % des travaux). En attendant les liaisons LGV qui mettront Bordeaux à 2 heures de Paris à l’horizon 2015.

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