Beaucoup de vent, beaucoup de houle. Au moment d'embarquer sur l'un des canots pneumatiques afin d'aller ausculter le pont Vasco-de-Gama, qui franchit l'estuaire du Tage à Lisbonne (Portugal), François Martin, directeur de l'ingénierie de l'existant chez Setec-Lerm, compte sur son pied marin. Il fait partie de l'équipe venue surveiller que la teneur en chlorures dans le béton reste bien en deçà du seuil d'initiation de la corrosion. Une mission réalisée pour le compte de Lusoponte, le concessionnaire.
« Livré en 1998, le franchissement devait respecter un cahier des charges exceptionnel pour l'époque, puisque sa durée de service devra être de 120 ans, bien au-delà des 30 à 50 ans habituels », rappelle Abdelkrim Ammouche, directeur technique et scientifique de Setec-Lerm.
La liaison de 17 km de long, dont 9 km au-dessus du Tage, a d'abord bénéficié d'une conception adaptée, avec cinq éléments distincts, dont plusieurs viaducs et le pont principal à haubans. La majorité de ces ouvrages sont en béton armé, sauf la partie haubanée qui est, elle, en béton précontraint. A chaque fois, les formulations ont été adaptées aux zones de mise en œuvre. Les parties immergées en permanence utilisent un C35/45 avec un CEM IV et des cendres volantes. Même mélange pour les zones les plus exposées aux chlorures car soumises aux éclaboussures et au marnage, sauf que c'est un béton C40/50 qui a été choisi. Enfin, pour les parties aériennes, un C45/55 avec un CEM I suffisait. Côté fondations, les piles reposent sur des pieux chemisés d'acier avec deux épaisseurs : 22 ou 28 mm.
« Depuis sa livraison, nous avons mis en place un programme de suivi du vieillissement. Nos équipes se sont déjà rendues huit fois sur place, dont la dernière en avril dernier », explique Mélanie Beaugelin, directrice générale de Setec-Lerm. A chaque mission, les résultats d'analyse alimentent le modèle numérique du pont afin de vérifier si la diffusion des ions chlorures et le vieillissement général sont conformes aux prévisions.
Trois types de tests et d'analyses. Lors de la mission d'avril, les experts ont mené trois types de tests qui concernent aussi bien les pieux immergés que les parties en béton. Pour les pieux habillés d'acier, il s'agit de mesurer la perte d'épaisseur grâce à un radar géophysique et à une mesure de l'activité de corrosion. « Les analyses des données rapportées par les plongeurs montrent une perte d'épaisseur de seulement 1,3 mm en 26 ans, la résistance à la corrosion est donc très bonne », analyse François Martin.
Pour les bétons, les spécialistes recourent à deux techniques différentes : des carottages ou des prélèvements de poudre. A chaque fois, l'objectif est de mesurer la pénétration des chlorures et le phénomène de carbonatation. La dernière campagne a permis de réaliser plus de 670 dosages en chlorures, une trentaine de mesures de profondeur de carbonatation et une dizaine de caractérisation du béton. Les équipes se sont réparti les tâches et si certaines ont embarqué à bord des bateaux, d'autres sont montées à bord d'une nacelle négative pour effectuer des prélèvements depuis le tablier. Enfin, les derniers se sont rendus au pied des piles sur la terre ferme.
Si tous les résultats de la dernière visite ne sont pas encore disponibles, le suivi depuis 26 ans montre déjà que le vieillissement de l'ouvrage est conforme au modèle théorique. Le choix des formulations et des liants comme les quantités d'enrobage des aciers sont adaptés à l'agressivité du milieu. « Même s'il est conçu pour durer 120 ans, le franchissement n'est pas exempt de réparations, précise François Martin. L'important est que ces opérations puissent être menées de façon préventive. »

