Il existe aujourd’hui tout un éventail de schémas en droit de l’urbanisme ayant pour objet l’organisation de l’espace compte tenu de ses différentes affectations et destinations : urbaines, industrielles, touristiques, etc. Il en est ainsi des schémas d’aménagement des régions d’outre-mer, issus de l’article 4 de la loi du 2 août 1984 aujourd’hui codifié aux articles L.4433-7 et suivants du Code général des collectivités territoriales (CGCT).
Les schémas d’aménagement régionaux (SAR), élaborés sous la conduite du conseil régional, fixent des orientations fondamentales de développement, de mise en valeur et de protection de l’environnement. Ils déterminent la destination générale des sols, l’implantation des grands équipements d’infrastructures, la localisation des zones d’extension urbaine et des activités industrielles, portuaires, artisanales, agricoles, forestières et touristiques.
Aujourd’hui, les quatre régions d’outre-mer disposent de tels documents (1). Le Conseil d’Etat les a qualifiés de « documents d’orientation en matière d’urbanisme » (2). Mais, leur portée, notamment à l’égard des opérations d’aménagement, restait encore à préciser. C’est désormais chose faite avec la décision du Conseil d’Etat du 18 octobre 2006 (« Commune de Saint-Leu », req n°264292).
Le rapport de compatibilité
L’article L. 4433-8 du CGCT précise que les schémas d’aménagement régionaux ont les mêmes effets que les directives territoriales d’aménagement. Il résulte de ces dispositions, combinées avec l’art. L.111-1-1 du Code de l’urbanisme (CU), qu’en l’absence de schéma de cohérence territoriale (SCOT) et de schéma de secteur, les plans locaux d’urbanisme (PLU) et les documents d’urbanisme en tenant lieu (les anciens plans d’aménagement de zone : PAZ...) doivent être compatibles avec les SAR.
Le Conseil d’Etat a rappelé ce principe dans sa décision du 18 octobre. Saisi d’un recours contre un plan d’aménagement de ZAC, la haute assemblée relève que le SAR de la Réunion a posé des principes généraux d’aménagement, tels que « la densification des agglomérations existantes et la structuration des bourgs ruraux ».
Critères non retenus
Puis il annule pour erreur de droit l’arrêt de la cour administrative d’appel (CAA) de Bordeaux car, « pour apprécier la compatibilité du plan de la ZAC avec le schéma, la cour s’est bornée à mettre en œuvre des critères tirés de l’implantation, de l’importance, de la densité et de la destination des constructions envisagées, sans prendre en compte les principes généraux et les prescriptions par lesquelles ce schéma a précisé les conditions d’application de l’art. L.156-2 du Code de l’urbanisme dans les espaces proches du rivage ».
Sont donc en cause les critères que la cour d’appel a retenus pour apprécier la compatibilité du PAZ litigieux avec le SAR de la Réunion. Les juges d’appel, faisant application des critères dégagés par le Conseil d’Etat pour apprécier la notion d’extension limitée de l’urbanisation dans les espaces proches du rivage (art. L.146-4 II du Code de l’urbanisme), ont considéré que l’opération d’aménagement litigieuse était incompatible avec le SAR, dans la mesure où elle ne pouvait être regardée comme une extension limitée de l’urbanisation. Dans plusieurs décisions (3), le Conseil d’Etat s’est fondé sur l’implantation, l’importance, la densité et la destination des constructions envisagées pour constater le caractère limité de l’urbanisation litigieuse. Dans l’espèce ici analysée, le Conseil d’Etat considère qu’en se fondant sur ces critères sans prendre en compte les principes généraux et les prescriptions retenus par le SAR de la Réunion, comme ils auraient dû le faire, les juges d’appel ont commis une erreur de droit.
Empiétements illégaux
L’art. L.156-2 du Code de l’urbanisme prévoit que, dans les départements d’outre-mer, les paragraphes II et III de l’art. L.146-4 du même Code ne sont pas applicables. Après avoir rappelé ces principes, le Conseil d’Etat conclut à l’incompatibilité du PAZ avec les principes généraux et les prescriptions retenus par le SAR de la Réunion. L’incompatibilité retenue par le Conseil d’Etat ne tient pas dans le caractère non limité de l’urbanisation prévue. Elle repose sur le fait que l’urbanisation prévue empiète sur des terrains à vocation agricole et sur des espaces naturels remarquables. Dans sa partie sud-est, l’emprise de la ZAC recouvre, sur environ 2 ha, des parcelles classées par le SAR comme des « espaces naturels remarquables du littoral à préserver », dans lesquels seuls des aménagements légers, limitativement énumérés par l’art. R. 146-2 du Code de l’urbanisme, sont autorisés. Dans sa partie nord-est, l’emprise de la ZAC occupe, sur 3 ha, des « espaces agricoles de protection forte », dans lesquels toute nouvelle urbanisation est « strictement interdite » par le SAR. Ces empiétements sont illégaux, car contraires aux affectations prévues par le SAR. Ils entraînent par conséquent l’annulation du PAZ dans son intégralité.
Si l’annulation partielle d’un PAZ est possible (4), le Conseil d’Etat y renonce dans cette espèce, la commune ne parvenant pas à démontrer le caractère divisible des dispositions du PAZ en cause avec le reste de ce même plan.
Les opérations d’aménagement dans les espaces proches du rivage de la mer
Autorisation d’aménager
En vertu de l’art. L.300-2 du CU, peuvent être qualifiées d’opérations d’aménagement certaines opérations d’initiative publique dont l’art. R.300-1 du même Code dresse la liste. Cette liste ne saurait être considérée comme exhaustive, puisqu’elle n’a d’autre objet que de définir celles de ces opérations d’aménagement qui doivent être précédées d’une concertation publique. Selon une circulaire n° 91-57 du 31 juillet 1991 relative à la loi d’orientation pour la ville (5), il faut entendre par opération d’aménagement l’ensemble des opérations visées par le titre 1er « Opérations d’aménagement » du Livre III du Code de l’urbanisme, c’est-à-dire : les ZAC, les lotissements, les opérations de restauration immobilière, auxquels il convient d’ajouter les permis de construire groupés et les opérations de remembrement urbain ou de groupements de parcelles réalisées par les associations foncières urbaines.
Aux termes de l’art. L.156-2 du CU, les opérations d’aménagement ne peuvent être autorisées dans les espaces proches du rivage que si elles ont été préalablement prévues par le chapitre particulier du schéma régional valant schéma de mise en valeur de la mer (SMVM) et ce, conformément à l’art. L. 4433-15 du CGCT.
En l’absence d’un SAR approuvé, l’urbanisation peut être réalisée à titre exceptionnel avec l’accord conjoint des ministres chargés de l’Urbanisme, de l’Environnement et des départements d’outre-mer.
Chapitre particulier du SAR
Que faut-il entendre par « opérations d’aménagement préalablement prévues » par le chapitre particulier du SAR valant SMVM ? Dans son arrêt du 4 décembre 2003, la CAA de Bordeaux avait conclu à l’illégalité de la délibération approuvant le plan d’aménagement de zone, dans la mesure où il ne résultait pas des pièces du dossier que le SAR de la Réunion aurait prévu la ZAC litigieuse.
L’art. L.156-2 du Code de l’urbanisme énonce que les opérations d’aménagement doivent être prévues dans le schéma de mise en valeur de la mer. Toutefois, c’est le principe de l’opération d’aménagement qui doit être prévu et non sa forme juridique, le contenu de son programme ou sa superficie exacte. Ce n’est que pour « les projets d’équipement et d’aménagement liés à la mer » (créations et extensions de ports ou installations industrielles et de loisirs...) que le SMVM doit préciser « leur nature, leurs caractéristiques et leur localisation, ainsi que les normes et prescriptions spéciales s’y rapportant » (art. 3, décret du 5 décembre 1986). Or, une ZAC ne peut être qualifiée de « projet lié à la mer ».
La solution retenue par le Conseil d’Etat doit donc, selon nous, être approuvée. Admettre au contraire, comme l’a fait la Cour administrative d’appel de Bordeaux, qu’une opération d’aménagement ne peut être autorisée que si elle a été expressément prévue par le chapitre particulier du SAR valant SMVM constituerait un frein sérieux à la réalisation d’opérations d’aménagement. Cela reviendrait à geler les politiques d’aménagement en l’absence de révision du SAR. En effet, ce dernier doit, au plus tard à l’expiration d’un délai de dix ans à compter de sa date d’approbation, être analysé par le conseil régional aux fins d’un maintien ou d’une mise en révision complète ou partielle. A défaut d’une telle délibération, le schéma d’aménagement régional devient caduc (art. L.4433-7 alinéa 4 du CGCT).
