Interview

« Nous avons conçu un PLU avant-gardiste », Emmanuel Grégoire, premier adjoint à la maire de Paris

Voté le 5 juin, le projet de PLU bioclimatique parisien vise à accélérer l’adaptation de la capitale au dérèglement climatique. Emmanuel Grégoire, en charge de l’urbanisme, de l’architecture, du Grand Paris, des relations avec les arrondissements et de la transformation des politiques publiques, décortique le nouveau document d’urbanisme de la capitale qui devrait être définitivement arrêté fin 2024 ou début 2025.

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Emmanuel Grégoire, premier adjoint à la maire de Paris, en charge de l’urbanisme, de l’architecture, du Grand Paris, des relations avec les arrondissements et de la transformation des politiques publiques.

Quelles sont les grandes caractéristiques du projet de PLU bioclimatique arrêté le 5 juin ?

Ce PLU bioclimatique affiche une très forte ambition pour accélérer l’adaptation de la ville face au dérèglement climatique. Il doit permettre à la Capitale le respect des engagements de l’Accord de Paris et à celui de la trajectoire de neutralité carbone en 2050. C’est le premier document d’urbanisme post-Covid. Lors de la crise sanitaire, la question de la soutenabilité des systèmes urbains denses s’est posée de façon plus aiguë. Ce PLU vise donc à infléchir les effets négatifs induits par la vie urbaine en les régulant, en les apaisant et en incitant les projets à être porteurs d’externalités positives. En complément de ces deux lignes de force, le PLU s’articule autour de quatre enjeux : l’urgence environnementale ; l’urgence sociale et la nécessité de bien loger le plus grand nombre ; la ville du quart d’heure et de la préservation de la mixité sociale et celle des usages ; et, enfin, la lutte contre les risques de dérive monofonctionnelle tertiaire ou touristique dans certains quartiers.

« Le Paris de 2050 est déjà là à 90 % »

Ce PLU est souvent présenté comme un PLU de transformation. Pourquoi ?

Le PLU de 2006 était un PLU de production destiné à accompagner les stratégies d’aménagement des ZAC impulsées par les exécutifs parisiens à partir de 2001. Force est de constater aujourd’hui que le Paris de 2050 est déjà là à 90 %. Nous pourrons continuer à construire dans quelques grands secteurs d’aménagement couverts par des orientations d’aménagement et de programmation (OAP) mais la création de logements passera aussi par la transformation du bâti existant (garages, friches, bureaux, etc.). Ce parc immobilier n’est pas prêt à affronter les conditions climatiques de 2050. Il va donc falloir l’adapter, ce qui consiste moins à isoler pour protéger du froid que d’armer les bâtiments contre le chaud. Cela constitue un aggiornamento total par rapport à ce nous avons appris collectivement (architectes, entreprises de travaux, industriels de la construction et élus). La tâche qui nous attend est immense.

Dans une ville déjà très construite, comment le PLU parvient-il à concilier la production de logements avec la création d’espaces verts ?

Pour assurer la mise en cohérence des différents objectifs, nous avons posé des interdits à certains endroits, prévu des incitations à d’autres. Prenons un exemple symbolique : comment construire en protégeant les cœurs d’îlots ? En nous appuyant sur des règles morphologiques, en limitant la hauteur des constructions à l’intérieur de ces îlots, en imposant un pourcentage d’espaces de pleine terre (de 30 % de la taille de la parcelle à partir de 150 m2 jusqu’à 65 % pour celles de plus de 3 500 m2), en autorisant la surélévation sous certaines conditions…Ce que nous voulons, c’est fixer les grandes orientations, créer des garde-fous réglementaires mais, en même temps, laisser de l’agilité, de la respiration au porteur de projet et à son architecte, comme nous le faisons pour la nouvelle règle de mixité fonctionnelle.

« Sera considérée comme restructuration lourde tout opération supprimant au moins 15 % des éléments structurels d’un bâtiment »

En quoi consiste la mixité fonctionnelle ?

Cette nouvelle servitude, qui s’appliquera sur tout le territoire parisien, oblige un promoteur souhaitant mener une restructuration lourde d’un immeuble de bureaux à intégrer 10 % de logement (libre, social ou BRS) dans son projet. Sera considérée comme restructuration lourde toute opération supprimant au moins 15 % des éléments structurels du bâtiment. Cette mesure de mixité fonctionnelle a suscité une levée de boucliers chez les professionnels. Nous en avons discuté avec eux et ils ont pu formuler des contre-propositions. Nous sommes très attentifs à ne pas concevoir des outils réglementaires trop puissants ou trop rigides qui pourraient bloquer le système ou aboutir au résultat inverse à celui escompté. Pour donner de l’agilité au dispositif, nous avons fait le choix de maintenir la possibilité de droits à construire supplémentaires mais cette fois pour créer des logements. Dans le PLU de 2006, les promoteurs qui rénovaient leurs bâtiments tertiaires bénéficiaient d’un bonus de 10 % de constructibilité bureaux, c’est une disposition supprimée dans le PLU bioclimatique. Nous avons imaginé un autre dispositif tout à fait innovant : celui de la prise en compte des externalités positives.

Que prévoit ce dispositif ?

Si un propriétaire nous démontre qu’il a participé à la création de surfaces de logements dans un périmètre de proximité, alors celles-ci pourront être prises en compte pour l’objectif de mixité fonctionnelle.

C’est un dispositif simple, mais qui nous permet d’imaginer de nous affranchir, un jour, du parcellaire pour apprécier les qualités d’un projet et son insertion, tant urbaine que sociale à une l’échelle du quartier.

« Nous avons pastillé 400 immeubles de bureaux mais la capitale en compte 14 000 de plus de 1 000 m2 »

Les professionnels s’inquiètent aussi du pastillage de 400 immeubles de bureaux pour la création de logements sociaux…

Tout d’abord, ces 400 immeubles doivent être mis en regard des 14 000 bâtiments tertiaires de plus de 1 000 m2 que compte la capitale. Ensuite, cette disposition n’est pas nouvelle, nous avions déjà pastillé des bâtiments dans le PLU de 2006. Le mécanisme est le suivant : tout propriétaire qui souhaitera restructurer son immeuble de bureaux pastillé devra le transformer en programme de logements. Soit, il réalise cette reconversion, soit, il exerce son droit de délaissement c’est-à-dire qu’il met en demeure la Ville d’acquérir son bâtiment. Avec, là encore, deux hypothèses : soit la municipalité accepte de l’acheter et alors la procédure équivaut à celle d’une déclaration d’intention d’aliéner (DIA) avec ouverture d’une négociation amiable entre le propriétaire, l’administration parisienne et, sur validation de France Domaines, avec possibilité de recours devant le juge de l’expropriation en l’absence d’accord, soit elle refuse et alors le bien concerné est dépastillé et donc libéré de toute servitude.

« Un PLU n’a de sens que s’il est adossé à une stratégie d’investissement »

Des moyens financiers supplémentaires seront-ils fléchés vers ces acquisitions d’immeubles ?

Avec ces 400 immeubles, nous nous ouvrons le champ des possibles ! Si déjà, sur dix ans, nous parvenons à déclencher une dizaine de pastillages, nous aurons atteint notre objectif. Dans le cadre du plan d’accélération des investissements de la mandature récemment présenté par la maire de Paris, Anne Hidalgo, le compte foncier dédié au logement passe de 250 millions d’euros à 400 millions d’euros par an. Le PLU n’a de sens que s’il est adossé à une stratégie d’investissement.

Le PLU introduit un nouveau concept : celui de séquence urbaine. Comment le définissez-vous ?

Nous allons demander aux porteurs de projets de ne pas seulement regarder ce que le PLU offre en termes de gabarit, de hauteur mais aussi de prendre en compte le contexte urbain dans lequel s’inscrit leur opération, c’est-à-dire la configuration du terrain, les caractéristiques des constructions voisines afin d’en améliorer l’insertion. Si le gabarit autorise de monter à R+6 mais que le projet n’est entouré que d’immeubles de deux étages, cela n’aurait pas de sens de créer une chandelle. Le règlement le stipule enfin que « l’application de ces différentes règles détermine un volume théorique maximum dans lequel la construction doit s’insérer. Elle ne détermine pas une forme architecturale. »

« Nous voulons mettre fin au fantasme gabaritaire »

Pourquoi avoir pris une telle mesure ?

Nous alignons le droit sur la pratique. Nous voulons mettre fin à ce fantasme gabaritaire qui a été à l’origine de dérives spéculatives peu maîtrisées avec notamment de très nombreuses ventes réalisées sans clauses suspensives et à des valeurs basées sur un potentiel de constructibilité théorique, qui, dans ce contexte de désamour pour la densification, n’existe plus. Des opérateurs ont dû revoir leur projet à la baisse alors même qu’ils avaient acquis le foncier car les riverains, les maires d’arrondissement s’y opposaient. Nous avons donc voulu clarifier ce point en révisant les règles de gabarit, de morphologie et en introduisant cette notion de séquence urbaine. Nous avons aussi repris la rédaction de l’article 11 du PLU actuel relatif au critère d’insertion urbaine, qui présentait quelques fragilités.

Cette notion de séquence urbaine ne va-t-il pas induire une certaine insécurité juridique pour les porteurs de projets ?

Elle vise en réalité à sécuriser juridiquement les projets. Nos exigences en matière de séquence urbaine seront clairement définies et liées à des critères spécifiques, ce qui permettra d’éviter l’ambiguïté et d’offrir une plus grande certitude juridique aux porteurs de projets. Elle permettra de mettre fin à des pratiques spéculatives basées sur un potentiel de constructibilité théorique, qui a souvent conduit à des conflits avec les riverains et les élus.

« Faciliter l’acceptabilité des projets par les habitants »

Le PLU bioclimatique modifie aussi un peu les règles d’obtention du permis de construire avec la mise en œuvre du mécanisme de promotion des externalités positives...

Effectivement, désormais, pour obtenir son permis de construire, tout porteur d’un projet de construction neuve ou de restructuration lourde supérieur à 150 m2, devra non seulement atteindre les seuils réglementaires sur un ensemble de neuf critères répartis en trois thématiques (biodiversité et environnement, programmation, efficacité énergétique du bâti) mais aussi superformer, c’est-à-dire dépasser le seuil de référence pour au moins trois d’entre eux dans deux thématiques. Ce mécanisme s’accompagne en annexe du PLU de « l’Urbascore », système de notation des projets, qui vise à injecter un peu de lisibilité démocratique dans un domaine d’une technicité absolue et, in fine, à faciliter l’acceptabilité des projets par les habitants.

« Ces innovations seront sans doute retravaillées par les juridictions administratives »

Pensez-vous que toutes ces innovations verront le jour ?

Sur le plan juridique, elles sont robustes car nous sommes entourés des meilleurs conseils et nous avons beaucoup échangé avec les administrations centrales. Il reste à franchir la phase de concertation et d’enquête publique en vue d’un arrêt définitif du PLU bioclimatique fin 2024, début 2025, puis celle du contrôle de légalité. Ces innovations seront sans doute retravaillées par les juridictions administratives. Mais nous sommes convaincus qu’elles seront mises en œuvre un jour ou l’autre.

« Nous voulons que ce document impulse une dynamique métropolitaine »

La Ville de Paris joue-t-elle un rôle précurseur en matière d’urbanisme réglementaire ?

Nous avons conçu un PLU assez avant-gardiste. Il suscite donc l’intérêt de grandes villes françaises, Bordeaux, Marseille, Lille et Tours, mais aussi de métropoles étrangères comme Berlin, Bruxelles, Milan et Stockholm.

Nous souhaitons surtout que ce document impulse une dynamique métropolitaine car Paris ne peut évoluer et s’adapter sans solidarités avec les territoires qui l’entourent.

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