A la frange nord de l'opération d'intérêt national (OIN) Euroméditerranée à Marseille (Bouches-du-Rhône), dans une zone de l'arrière-port maillée de friches industrielles et de noyaux villageois paupérisés, l'aménagement du quartier des Fabriques (14 ha) donne l'occasion de tester des solutions innovantes pour créer une ville méditerranéenne durable adaptée au changement climatique. Si l'établissement public d'aménagement (Epaem) a confié à la société de projets XXL (UrbanEra et Linkcity) la construction des logements, équipements et bureaux, il assure la maîtrise d'ouvrage des 57 000 m² d'espaces publics. Leur conception a été confiée au groupement de maîtrise d'œuvre associant les paysagistes d'Ilex (mandataire) au bureau d'études Egis.
Sa mission, inscrite dans un accord-cadre de six ans, a consisté à imaginer une nouvelle trame viaire privilégiant les piétons et faisant la part belle aux espaces verts. Lancée en mars 2022, une première phase des travaux de 10 M€ HT se termine cet été dans la partie sud de l'emprise : traverse de l'extension centre et sud, rue Allar, rue de l'Hélice, rue Pascal-Posado… (voir plan ci-contre). « Nous avons préfiguré une grande partie des axes principaux. A partir de mi-2025, nous les compléterons en finalisant les grandes percées et en aménageant le chemin de la Madrague-Ville, à l'ouest du site. Enfin, nous accompagnerons la livraison des programmes immobiliers suivants et aménagerons la place Paoli », détaille Pierre-Yves Fresneau, chef de projet à l'Epaem.
Régénérer les sols. Dans une logique d'économie circulaire et de préservation de la ressource, Ilex et Egis ont proposé de régénérer les sols en place. La démarche a donné lieu à une thèse Cifre confiée à l'été 2019 à la chercheuse Louise Authier, associant Ilex, l'Epaem, l'université de Montpellier et le CNRS. Il s'agissait de vérifier si l'apport de mycorhizes, chimères mi-champignons mi-végétaux présentes en millions d'unités dans chaque mètre carré de sol forestier, peut régénérer des sols scellés, confinés sous les bétons et enrobés.
Ilex et Egis ont ensuite convaincu l'Epaem de créer une plate-forme d'expérimentation de 2 200 m². Entre 2021 et 2023, celle-ci a permis de tester des revêtements drainants, la reconstitution de terres fertiles, des méthodes d'arrosage, l'adaptation de la palette végétale méditerranéenne à l'urbain dense, l'éclairage intelligent… Sur ce dernier point, après un appel à sourcing, l'Epaem a sélectionné les mâts lumineux d'Eclatec aujourd'hui en cours de déploiement. De la même manière, tri et réutilisation de la terre à partir de limons, réemploi des matériaux du site, méthode d'aération des sols pour les dépolluer sur place naturellement, limitation de l'encombrement des réseaux dans le sous-sol, désimperméabilisation et arrosage par submersion sont devenus la règle.
Nouvel accord-cadre. Aujourd'hui, le premier accord-cadre de maîtrise d'œuvre conclu avec Ilex et Egis est arrivé à son terme. Pour aménager les espaces publics restants, essentiellement dans la partie nord, l'Epaem va en conclure un nouveau en 2025. En attendant, Ilex et Egis terminent les études du futur jardin des Fabriques, dont une partie des 3 500 m² a été aménagée de manière transitoire pour en tester l'usage, et préparent notamment les travaux sur le chemin de la Madrague-Ville, ainsi que sur une partie des voiries autour des îlots.
Louise Authier, qui a soutenu sa thèse en novembre 2023, achève actuellement ses expériences et analyses biomoléculaires en laboratoire. En parallèle, recrutée par Ilex pour un CDD d'un an et demi, elle travaille sur d'autres projets, notamment sur les conditions de la transposition des travaux réalisés dans le quartier prioritaire de la Savine à Marseille. Une confirmation du rôle pilote d'Euromed.

« Nous avions carte blanche », entretien avec Isabelle Vignolles, directrice générale associée d'Ilex
Comment est née votre démarche ?
Les questions de la réintroduction de la nature en ville et des conditions de son adaptation dans un contexte méditerranéen urbain dense nous préoccupent depuis longtemps. L'enjeu était de permettre à la nature de croître dans ce futur quartier. L'Epaem a mis l'accent sur l'innovation, la ville de demain, le low-tech. Nous avions carte blanche.
Comment avez-vous travaillé ?
Dès le stade de l'avant-projet, à la mi-2018, nous avons proposé de créer le jardin d'expérimentation. A cette fin, en parallèle de la finalisation du projet d'aménagement, nous avons fait du sourcing auprès des entreprises pour des revêtements perméables. Nous avons attribué deux marchés innovants : l'un à Colas pour la trame viaire, l'autre à Parcs & Sports pour les plantations et l'arrosage. Nous avons eu la même démarche avec l'éclairage et le stationnement. Pendant les neuf mois de la phase AVP, nous avons rencontré à plusieurs reprises les services de l'Etat, la Ville et de la métropole, l'Ademe, l'Agence de l'eau… afin de fédérer les acteurs locaux autour du projet.
Etes-vous satisfaite des résultats ?
Ce que nous avions écrit dans la réponse à l'appel d'offres a été réalisé, notamment le jardin d'expérimentation. Pendant toute la durée de son existence, entre 2021 et 2023, il a été ouvert aux écoles, aux services de la Ville et de la métropole, à d'autres maîtres d'œuvre, pour montrer ce qui fonctionne ou ne fonctionne pas. Notre grande satisfaction est d'avoir prouvé que nous pouvions recréer des terres fertiles à partir du limon existant avec un apport minime de terres naturelles et d'amendements, et cela, sans maturation du mélange. Nous avons installé les terres fertiles dans la fosse directement après la réalisation du mélange. La méthode a été concluante. Les végétaux ont explosé dès la deuxième année et la structure végétale du quartier est aujourd'hui en place.