Dans les marchés, les constructeurs peuvent être tentés, dans un souci de prévisibilité notamment, d'encadrer les conséquences de leurs éventuelles inexécutions contractuelles à l'égard du maître d'ouvrage.
Tout d'abord, compte tenu de la multiplicité d'intervenants à l'acte de construire sur un même chantier, les répercussions de l'insolvabilité, voire de la disparition de l'un d'entre eux, peuvent être lourdes pour les autres. En effet, dès lors que plusieurs constructeurs ont concouru à la réalisation d'un même dommage, ils encourront par principe une condamnation in solidum à l'égard du maître d'ouvrage à réparer le dommage (1). Le maître d'ouvrage pourra donc aller chercher l'indemnisation dans son entier entre les mains d'un seul des constructeurs, à charge ensuite pour ce dernier d'exercer ses recours à l'encontre des coresponsables et de supporter, le cas échéant, l'insolvabilité de certains.
Dès lors, les constructeurs peuvent souhaiter restreindre contractuellement leur obligation à la dette pour n'être tenus que de leurs propres fautes à l'égard du maître d'ouvrage, et ainsi écarter de possibles condamnations in solidum. Le maître d'ouvrage devra alors réclamer à chaque coresponsable la part qui lui est imputable à hauteur de ses fautes et supporter leur éventuelle insolvabilité.
Ensuite, compte tenu des montants potentiellement importants des dommages en matière de travaux et des couvertures assurantielles souvent limitées en dehors de polices de responsabilité décennale obligatoires, les constructeurs peuvent parallèlement entendre restreindre ou du moins encadrer contractuellement le montant de l'indemnisation susceptible d'être due au maître d'ouvrage en cas de mauvaise exécution du marché.
L'impossible encadrement des garanties légales des constructeurs
Les constructeurs ne peuvent valablement exclure ou restreindre la responsabilité qu'ils sont susceptibles d'engager à l'égard du maître d'ouvrage au titre des .
Ordre public. Il ressort en effet de l'article 1792-5 dudit code que les garanties légales des constructeurs (décennale, biennale et de parfait achèvement) sont d'ordre public. Aucune clause ne peut avoir pour effet de les exclure ou même les restreindre. Ainsi, compte tenu du principe de réparation intégrale dans ce domaine, il n'est notamment pas possible d'instaurer dans le marché un plafond de garantie. Il ne paraît pas non plus envisageable de limiter les effets de ces garanties, en excluant par exemple la prise en charge des dommages consécutifs, et notamment des préjudices immatériels induits par les désordres (2).
Responsabilité in solidum. La jurisprudence exclut également la possibilité pour les constructeurs d'écarter, non pas leur responsabilité, mais le caractère in solidum de leurs obligations avec les coresponsables, pour les dommages relevant des garanties légales (, publié au Bulletin ; ). Aussi, les constructeurs resteront, sauf cause étrangère, responsables de plein droit des dommages garantis à l'égard du maître d'ouvrage, généralement de manière in solidum avec d'autres intervenants, en dépit de stipulations contractuelles contraires. Le maître d'ouvrage pourra en conséquence choisir de recouvrer l'indemnisation des dommages, pour le tout, entre les mains de l'un seul des constructeurs.
A noter que rien n'empêche en revanche les intervenants, qui ont ensuite vocation à exercer entre eux des recours récursoires, sur un fondement soit délictuel soit contractuel (en matière de sous-traitance par exemple), d'encadrer et d'organiser ces recours de manière contractuelle soit en amont au stade de la conclusion des contrats, soit une fois les dommages survenus.
L'exclusion discutée de l'obligation in solidum en matière contractuelle
C'est en matière contractuelle que la Cour de cassation a eu l'occasion de se prononcer en début d'année sur les effets d'une clause d'un contrat d'architecte, selon laquelle ce dernier ne pouvait être tenu responsable ni solidairement, ni in solidum, des fautes commises par d'autres intervenants à l'opération (, Bull.). Dans cette décision, la Haute juridiction censure la cour d'appel pour avoir rejeté la condamnation in solidum de l'architecte avec les autres constructeurs et avoir retenu sa condamnation pour une partie seulement du dommage, tout en jugeant que par sa faute, l'architecte avait concouru à la réalisation de l'entier dommage.
La Cour de cassation rappelle à cette occasion très clairement le principe de l'obligation in solidum : « Chacun des coauteurs d'un même dommage, conséquence de leurs fautes respectives, doit être condamné in solidum à la réparation de l'entier dommage, chacune de ces fautes ayant concouru à le causer tout entier, sans qu'il y ait lieu de tenir compte du partage de responsabilités entre les coauteurs, lequel n'affecte que les rapports réciproques de ces derniers, mais non le caractère et l'étendue de leur obligation à l'égard de la victime du dommage. » Dès lors, la clause dont se prévalait l'architecte n'était pas de nature à limiter « la responsabilité de l'architecte, tenu de réparer les conséquences de sa propre faute, le cas échéant in solidum avec d'autres constructeurs. Elle ne saurait avoir pour effet de réduire le droit à réparation du maître d'ouvrage contre l'architecte, quand sa faute a concouru à la réalisation de l'entier dommage ». Cet arrêt a attiré l'attention de la doctrine, mais aussi de la pratique.
Stipulation de clauses d'exclusion de l'in solidum. Compte tenu de son obligation d'assurance résultant de la loi de 1977 sur l'architecture, l'architecte est très souvent l'un des rares locateurs d'ouvrage à être assuré pour les désordres et plus généralement les dommages ne relevant pas des garanties légales. Il est ainsi systématiquement recherché dans ce type de situations, avec un risque élevé, en cas de condamnation in solidum, d’avoir à supporter l'insolvabilité de ses co-obligés ; c'est ce que cet acteur entend donc éviter avec la stipulation de clauses d'exclusion de l'obligation in solidum dans ses marchés. En pratique, de telles clauses se retrouvent également dans des marchés de travaux d'entreprises d'une certaine envergure, lesquelles n'entendent pas supporter les risques liés à l'intervention d'autres entreprises, moins solides sur le plan financier.
Interprétations diverses. Jusqu'à présent, la jurisprudence de la Cour de cassation admettait la validité de ce type de clause en matière contractuelle ( ; , Bull. ), allant même jusqu'à en avoir une vision extensive en appliquant la clause excluant la solidarité, à des obligations in solidum (, Bull.). La Haute juridiction avait en outre eu l'occasion de juger qu'une telle clause ne pouvait être qualifiée d'abusive au sens du droit de la consommation ().
Certains auteurs semblent avoir vu dans la décision du 19 janvier un revirement de jurisprudence tendant à invalider dans leur principe les clauses d'exclusion de l'obligation in solidum, même en matière contractuelle (3). D'autres paraissent attacher une portée plus limitée à cet arrêt, lequel pourrait avoir été rendu en considération du libellé spécifique de la clause du contrat en question (4). En l'état, il conviendra donc de rester attentif d'une part aux décisions à venir en la matière, et d'autre part à la manière dont ce type de clauses est rédigé dans les marchés.
L'aménagement sous réserve de la responsabilité contractuelle en matière de désordres
Les entreprises et les maîtres d'œuvre sont par ailleurs tentés de prévoir des clauses restreignant le montant de leur responsabilité pour les désordres relevant du droit commun (désordres intermédiaires [5] ou encore ceux survenant avant réception, par exemple), alors que les coûts réparatoires peuvent en pratique être tout aussi importants qu'en matière légale. Mais contrairement aux garanties légales, la responsabilité contractuelle de droit commun des constructeurs n'est pas d'ordre public et ne fait pas l'objet d'assurance obligatoire pour les entreprises.
Caractère abusif. Les clauses limitatives de responsabilité paraissent valables dans leur principe, sous réserve toutefois de ne pas priver de sa substance l'obligation essentielle du constructeur (), et de ne pas revêtir un caractère abusif. Il a ainsi été jugé, sur le fondement du droit de la consommation, qu'était abusive et donc non écrite, la clause d'un contrat de contrôle technique plafonnant le montant de l'indemnisation au double des honoraires perçus (Cass. 3e c i v, 4 février 2016, n° 14-29347, Bull.).
Ainsi, si la limitation de la responsabilité contractuelle du constructeur n'est pas interdite, encore faut-il qu'elle n'aboutisse pas à un montant dérisoire. La question pourrait par exemple se poser pour les contrats d'architecte prévoyant un plafonnement de sa responsabilité dans les limites des plafonds de garantie fixés dans son contrat d'assurance (article G 6.3.1 du contrat type de l'ordre des architectes), au regard des montants effectifs desdits plafonds.
Par ailleurs, depuis l'introduction dans le droit commun des contrats de la notion de clauses abusives (), il conviendra d'être attentif à la rédaction de ces clauses dans les contrats pouvant être qualifiés de « contrats d'adhésion ». Pour ne pas voir ces clauses créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, il est ainsi conseillé d'intégrer dans les marchés une réciprocité des limitations de la responsabilité, ou bien, a minima, d'expliquer expressément dans le marché la raison spécifique de la présence d'une telle clause.
L'encadrement de la responsabilité contractuelle en cas d'autres manquements
Sont également fréquentes, en pratique, les clauses pénales prévoyant l'évaluation forfaitaire de l'indemnisation due par une partie en cas d'inexécution contractuelle ().
Montants raisonnables. Ainsi, dans les marchés, des pénalités forfaitaires journalières sanctionnent fréquemment le retard des intervenants dans l'exécution de leurs travaux. A ce titre, la norme Afnor (version octobre 2017, art. 9.5) prévoit que le retard de l'entreprise donne lieu à « une pénalité journalière de 1/3 000e du montant du marché. Le montant des pénalités est plafonné à 5 % du montant du marché ».
De la même manière, la violation de certaines autres obligations (absence de remise des dossiers des ouvrages exécutés [DOE], absence aux rendez-vous de chantier…) est souvent en pratique sanctionnée par des pénalités forfaitaires.
En tout état de cause, si ces clauses sont valables dans leur principe, il conviendra tout de même à veiller à ce que les montants prévus soient raisonnables, le juge pouvant modérer la pénalité convenue si elle est manifestement excessive ou dérisoire.
Prudence dans la rédaction des clauses
Afin de limiter les risques d'invalidité des clauses relatives à la responsabilité, qu'elles concernent l'obligation à la dette des constructeurs, mais également le montant de la réparation en cas de mauvaise exécution contractuelle, la prudence sera de mise dans la rédaction des marchés. S'il semble vain de prévoir des clauses relatives aux garanties légales, l'encadrement de la responsabilité contractuelle des constructeurs suppose quant à lui, idéalement une véritable négociation entre les parties (6), et en tout état de cause, le respect des obligations essentielles des parties et un certain équilibre contractuel.