Une piscine hors-sol peut-elle constituer un ouvrage immobilier, couvert par la garantie décennale des constructeurs ? L'insuffisance d'isolation phonique résultant des défauts d'une porte rend-elle l'ouvrage impropre à sa destination ? L'action en garantie des vices cachés est-elle exclusive de celle en responsabilité délictuelle fondée sur le dol ? La Cour de cassation a répondu à toutes ces questions, et à bien d'autres, au second semestre 2020.
L'ouvrage, l'élément d'équipement et la réception
Avant tout, un ouvrage ou un élément d'équipement. Pour la Haute juridiction judiciaire, le second semestre 2020 a été l'occasion de qualifier d'ouvrages immobiliers - au sens de l', c'est-à-dire donnant prise à la responsabilité décennale des constructeurs - un certain nombre d'installations litigieuses.
Ce fut le cas pour une piscine de type hors-sol, installée de manière semi-enterrée, de 15 mètres de long pour 3 mètres de large, reposant sur une maçonnerie plane formant le radier et dont les parois étaient constituées d'une structure en bois (). Même qualification, compte tenu de son importance et de sa technicité, pour une centrale frigorifique qui comprenait des chambres froides, des appareils techniques divers et complexes occupant plusieurs locaux de l'usine et reliés à des armoires électriques, raccordés entre eux par un réseau d'importantes canalisations qui traversaient les cloisons des locaux pour desservir des lieux distincts et qui étaient fixées à l'ossature métallique de l'immeuble par des points d'ancrage ().
A également été qualifiée d'ouvrage, une installation de chauffage incluant la fourniture et la mise en place de toute l'installation de climatisation de l'hôtel avec pose des compresseurs, climatiseurs, gaines et canalisations d'air dans et à travers les murs du bâtiment (, publié au Bulletin).
La prestation constituée à la fois par le choix de la pompe à chaleur - effectué en fonction de la taille de la maison et de l'installation existante -, par sa fourniture et par la réalisation des travaux nécessaires à sa pose ainsi que par ses réglages et sa mise en service, ne constitue pas une vente mais un louage d'ouvrage immobilier. Les dommages l'affectant relèvent ainsi de la garantie décennale ().
Réception tacite. Les maîtres d'ouvrage ayant, dès l'origine, contesté non seulement les délais d'intervention de l'entreprise, mais également la qualité des travaux et sa compétence pour les réaliser, la Cour a pu en déduire leur volonté expresse et persistante de ne pas recevoir les travaux et donc l'absence de réception tacite ().
De même, la réception tacite a été écartée dans une affaire où le maître d'ouvrage avait manifesté explicitement à travers divers écrits sa volonté de ne pas recevoir les travaux, et n'avait pris possession des lieux que contraint par un motif économique - après deux années à se loger dans une caravane ().
La prise de possession jointe au paiement intégral vaut, en revanche, réception tacite, rappelle la Cour (, Bull., précité).
Les garanties légales
Bénéficiaires. En dépit de la cession du bien, le maître d'ouvrage vendeur conserve contre l'entreprise et son assureur, dès lors qu'il y a un intérêt direct et certain, l'exercice de l'action fondée sur la responsabilité décennale, qui n'est pas seulement réservé à l'acquéreur. Tel est le cas lorsque le maître d'ouvrage a été condamné à réparer les vices de cet immeuble, souligne la Cour (, Bull.).
Dommages évolutifs. La troisième chambre civile rappelle que, pour recevoir la qualification de dommage évolutif permettant au bénéficiaire de l'action en responsabilité civile décennale d'agir postérieurement au délai d'épreuve, le désordre initial doit avoir fait l'objet d'une demande en réparation en justice avant l'expiration du délai décennal ().
Gravité décennale. La Cour de cassation souligne à nouveau que, afin de caractériser la gravité décennale, les cours d'appel doivent constater que les dommages compromettent la solidité de l'ouvrage ou le rendent impropre à sa destination ().
Elle retient cette impropriété à destination en raison de l'insuffisance de l'isolation phonique résultant du défaut de montage des portes, peu important que ce défaut n'empêche pas l'ouverture de ces dernières (). Tel est également le cas lorsque les pannes répétées de l'installation de climatisation ne lui permettent pas de fonctionner par grand froid ou forte chaleur par manque de puissance, entraînant ainsi la casse systématique du compresseur (, Bull., précité).
L'impropriété à la destination est aussi caractérisée lorsqu'une installation de distribution d'eau chaude sanitaire, non conforme à la réglementation du Code de la santé publique, est atteinte par la corrosion, et produit une eau sale de composition agressive présentant des dépôts de couleur brune et constituant un danger sanitaire en raison du risque de développement de légionelles ().
Il en est de même lorsque le volume d'air à chauffer est trop important par rapport à la capacité de la pompe à chaleur, le système de chauffage étant incompatible avec les radiateurs équipant l'immeuble, en sorte qu'il est inévitable que la pompe à chaleur connaisse plusieurs pannes durant les périodes de grand froid (, Bull.).
La prise de possession jointe au paiement intégral vaut réception tacite
Pour dire que la responsabilité décennale du constructeur n'était pas engagée, la cour d'appel de Nîmes a retenu que la cause du sinistre se trouvait, non pas dans le système de production d'eau chaude composé d'une pompe à chaleur et de panneaux solaires en toiture, qui ne présentait pas de dysfonctionnement avant l'effondrement d'une zone de la toiture et de constructions environnantes, mais dans l'absence de prise en compte de la fragilité du support préexistant des capteurs solaires. Selon elle, le premier juge avait donc caractérisé, à bon droit, la faute consistant en un manquement du constructeur à son devoir de conseil, considérant que cette faute n'était pas liée à des désordres affectant la pompe à chaleur - que celle-ci soit considérée comme ouvrage en tant que tel ou comme un élément d'équipement dont les dysfonctionnements auraient rendu l'ouvrage, dans son ensemble, impropre à sa destination - mais au défaut de diagnostic préalable de la structure porteuse. La Cour de cassation casse, pour violation de la loi, l'arrêt d'appel qui a ainsi écarté la responsabilité décennale du constructeur, alors que « ni la nature de la faute du constructeur ni l'état de l'existant ne constituent une cause étrangère exonératoire de la responsabilité de plein droit encourue par le constructeur » ().
Purge. Dès lors que les désordres litigieux étaient déjà connus dans toute leur ampleur lors de la réception des travaux et n'avaient pas évolué par la suite, aucune action du syndicat des copropriétaires, fondée sur la responsabilité décennale, ne pouvait prospérer, que ce soit contre le promoteur, son assureur, les autres constructeurs ou leurs assureurs ().
Responsabilités tous azimuts
Ampleur de la réparation. Il appartient au maître d'ouvrage victime, qui demande au constructeur le paiement des travaux de réparation, TVA incluse, de démontrer qu'il n'est pas assujetti à cette taxe et ne peut la récupérer. L'arrêt d'appel, qui condamne l'entreprise à lui payer ce montant TTC en retenant qu'il n'est pas démontré que le maître d'ouvrage récupère la TVA, inverse la charge de la preuve et encourt donc la cassation ().
Garantie des vices cachés. L'action en garantie des vices cachés n'est pas exclusive de l'action en responsabilité délictuelle fondée sur le dol commis avant ou lors de la conclusion du contrat, énonce la troisième chambre civile. L'acquéreur du bien, se plaignant de désordres découverts lors de travaux de rénovation, peut donc, lorsque l'action en garantie des vices cachés est prescrite (deux ans après la découverte des vices), agir contre le vendeur sur ce second fondement (, Bull.).
Prescription des recours. Est confirmé, ce second semestre (, Bull.), le principe posé en janvier 2020 (, Bull.) : le recours d'un constructeur contre un autre
constructeur (ou contre son sous-traitant, comme l'énonce encore l'arrêt ) relève des dispositions de l' et se prescrit donc par cinq ans à compter du jour où le premier a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. Le point de départ peut être une assignation en paiement (, précité), ou encore l'assignation en référé expertise, comme ce fut le cas à l'occasion de l'arrêt du 16 janvier 2020, et d'un arrêt d'octobre 2020 ().
Lorsque le juge accueille une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès, ceci tend à préserver les droits de la partie l'ayant sollicitée durant le délai de son exécution, et l'effet suspensif de la prescription visée à l' ne joue qu'à son profit, et non pas à celui de toutes les parties à l'instance ().
Marchés de travaux
Nullité du contrat de sous-traitance. La fourniture par l'entrepreneur de premier rang de la caution visée à l' a pour finalité la protection des intérêts du sous-traitant. Son absence est sanctionnée par une nullité relative à laquelle ce dernier peut renoncer par une exécution volontaire de son engagement irrégulier, en connaissance du vice l'affectant, souligne la Cour. Ce sous-traitant ne sera dès lors plus fondé à solliciter la nullité du contrat de sous-traitance et ses conséquences en termes d'intangibilité du prix convenu ().

Assurances
La reconnaissance de garantie ne souffre pas de réserve. L'assureur dommages ouvrage qui reconnaît la gravité décennale du dommage déclaré et le dit garanti, tout en précisant attendre le rapport définitif et chiffré de l'expert pour faire une proposition d'indemnité à son assuré, n'est pas réputé avoir pris à son égard un engagement définitif d'indemnisation (, précité).
Déclaration du risque. La Cour de cassation a rappelé implicitement mais nécessairement que lorsque l'assuré intervient dans le secteur d'activité professionnelle déclaré à son assureur, la garantie s'étend à l'ensemble des modalités d'exécution de l'activité concernée (Cass. 3e civ., 9 juillet 2020, 19-13568). Pour rejeter la demande d'application du contrat d'assurance, l'arrêt d'appel avait retenu que l'activité de revêtements de murs et sols comprend les travaux de pose, sur les parties intérieures ou extérieures des bâtiments ou sur d'autres ouvrages, de revêtements muraux ou de carrelage ou d'autres revêtements de sols sans réalisation des ouvrages de support. Les juges d'appel en avaient conclu que cette activité excluait la réalisation d'une chape de support et, a fortiori, d'un dallage béton armé de treillis soudé. En statuant ainsi, en excluant la garantie de l'assureur, alors qu'il résultait de ses propres constatations que les désordres avaient pour origine, non pas la réalisation du support, mais une pose du carrelage non conforme aux règles de l'art et sur un support inadapté, la cour d'appel a violé les articles et du Code des assurances. La Cour de cassation souligne que « selon le premier de ces textes, tout contrat d'assurance souscrit par une personne assujettie à l'obligation d'assurance est, nonobstant toute clause contraire, réputé comporter des garanties au moins équivalentes à celles figurant dans les clauses types prévues par le second de ces textes ».
La Cour a aussi rendu d'importantes décisions relatives aux polices souscrites par les architectes. « Lorsque, dans un contrat d'assurance de responsabilité professionnelle d'un archi tecte ne relevant pas de l'assurance obligatoire, une clause fait de la décla ration de chaque chantier une condition de la garantie, cette clause doit recevoir application, de sorte que l'absence de déclaration d'un chantier entraîne une non-assurance. Cette clause est,
en outre, opposable à la victime, le droit de celle-ci contre l'assureur puisant sa source et trouvant sa mesure dans le contrat d'assurance », énonce la Haute juridiction. Toutefois, poursuit-elle, « dès lors qu'en présence d'une telle clause, l'archi tecte n'est assuré pour chaque chantier qu'après sa déclaration, commet une faute de nature à engager sa responsabilité civile, l'assureur qui délivre une attestation d'assurance avant que la déclaration de chantier qui conditionne la garantie n'ait été effectuée » (, Bull.) (1).
La garantie des vices cachés n'exclut pas l'action fondée sur le dol commis avant ou lors de la conclusion du contrat
Dans le cas d'un contrat d'assurance de responsabilité professionnelle d'architecte soumettant la garantie de l'assureur à la déclaration préalable de chaque mission, l'omission de déclaration équivaut à une absence d'assurance, opposable au tiers lésé, souligne-t-elle encore dans deux affaires (, Bull. ; voir aussi ).
Clauses d'exclusion. La clause de la police d'assurance responsabilité civile excluant de la garantie « les dommages qui n'ont pas de caractère aléatoire parce qu'ils résultent de façon prévisible et inéluctable, pour un professionnel normalement compétent dans les activités assurées, de la conception des travaux ou de leurs modalités d'exécution telles qu'elles ont été arrêtées ou acceptées par vous » ne se réfère pas « à des critères précis et à des hypothèses limitativement énumérées permettant à l'assuré de connaître l'étendue exacte de sa garantie ». Elle n'est donc pas formelle et limitée au sens de l', et de ce fait, ne peut recevoir application ().
La clause d'exclusion qui fait échec aux règles d'ordre public relatives à l'étendue de l'assurance de responsabilité obligatoire en matière de construction est réputée non écrite. C'est le cas d'une stipulation qui exclut de la garantie la réalisation d'un « mur de soutènement » accessoire d'un ouvrage de gros œuvre garanti ().
Dommages ouvrage. L'assureur dommages ouvrage qui n'a pas indemnisé son assuré avant l'expiration du délai décennal est toutefois légalement subrogé dans ses droits s'il l'a fait avant que le juge ne statue. En effet rappelle la Cour, en application de l', dans le cas où la situation donnant lieu à une fin de non-recevoir est susceptible d'être régularisée, l'irrecevabilité sera écartée si sa cause a disparu au moment où le juge statue ().
Est recevable l'action engagée par l'assureur avant l'expiration du délai de forclusion décennale, bien qu'il n'ait pas eu au moment de la délivrance de l'assignation la qualité de subrogé dans les droits de son assuré, dès lors qu'il a payé l'indemnité due à ce dernier avant que le juge du fond n'ait statué (, Bull.).
Omettre de souscrire une assurance décennale engage la responsabilité personnelle du gérant de la société maître d'œuvre
Il revient à l'assureur dommages ouvrage, pour obtenir la condamnation des assureurs des constructeurs, de justifier que la responsabilité desdits constructeurs qu'elle met en cause a été reconnue par la juridiction de l'ordre administratif, seule compétente pour statuer sur la responsabilité des constructeurs engagés dans un marché de travaux publics ().
Responsabilité du gérant. En omettant de souscrire une assurance de responsabilité décennale, le gérant d'une société de maîtrise d'œuvre se rend coupable d'une faute séparable de ses fonctions sociales. Il engage sa responsabilité personnelle envers le maître d'ouvrage qui subit un préjudice certain du seul fait de l'absence de couverture de la société de maîtrise d'œuvre. L'arrêt d'appel, qui avait rejeté la demande du maître d'ouvrage au motif qu'aucun acte susceptible d'engager la responsabilité décennale du maître d'œuvre n'avait en pratique été accompli, est donc cassé ().
Expertise
Opposabilité du rapport d'expertise. Le juge du fond ne peut refuser d'examiner des rapports d'expertise amiable et judiciaire établis de façon non contradictoire mais régulièrement versés aux débats et soumis à la libre discussion des parties, dès lors qu'ils se corroborent mutuellement (, Bull.).