Le verre est-il à moitié plein, ou à moitié vide ? Les deux mon capitaine, selon la Fédération nationale des Travaux publics (FNTP). Son président, Bruno Cavagné, avait réuni quelques journalistes ce 25 novembre pour faire un point sur l’actualité, dense, du secteur en cette fin d’année 2019.
Les marques de satisfaction ne manquent pas. Mais comme souvent ces derniers mois, elles sont immédiatement à contrebalancer par autant de motifs incitant à la prudence et à la vigilance de la fédération professionnelle et de ses adhérents.
+10% de croissance en 2019
Du côté de l’activité, regardons d’abord le verre à moitié plein. Après une chute de 20% entre 2009 et 2018, 2019 s’annonce comme une « année à part », selon Bruno Cavagné. Avec une croissance sur un an de 10% en volume (environ +12% en valeur) et un chiffre d’affaires qui devrait atteindre 45 Mds € en France, « nous observons un effet de rattrapage extraordinaire, beaucoup plus important en cette fin de mandat municipal que sur les précédents », admet-il.
Pour 2020, la FNTP s’attend à « un atterrissage en douceur », anticipant une croissance comprise entre 0 et 2%, hors chantiers du Grand Paris. Ceux-ci ont généré un chiffre d’affaires de 400 millions d’euros en 2019, et monteront en puissance.
Le premier « mais » intervient dans le domaine du recrutement. « Environ la moitié de nos entreprises estiment ne pas pouvoir augmenter davantage leur chiffre d’affaires faute de main d’œuvre, souligne Bruno Cavagné. Le secteur aura créé 10 000 emplois nets en 2019, et mise sur autant l’an prochain. Les besoins de recrutement s’élèvent cependant à 40 000 personnes par an.
Elections et prise de conscience
Des incertitudes pèsent également en termes d’activité sur 2021 et 2022. La succession des élections, départementales, régionales, présidentielle, ne facilitera pas l’investissement, prédit la FNTP. Pourtant, la prise de conscience concernant le vieillissement de nos infrastructures et de la nécessité à investir fait son chemin.
« Plus ça va, moins le gouvernement et les élus en doutent », observe Bruno Cavagné, évoquant deux actualités récentes qui ont marqué les esprits : l’effondrement du pont à Mirepoix-sur-Tarn et la chute dans le classement du Forum économique mondial de la France concernant la qualité des infrastructures [l’Hexagone a perdu 11 places dans le classement en un an, pour se situer à la 18e position, alors qu’il était 1er en 2012, NDLR].
Une LOM en demi-teinte
Le président de la fédération espère « que nous allons vraiment pouvoir travailler sur le moyen et le long terme désormais, plus seulement sous le coup de l’émotion ».
La loi d’orientation des mobilités (LOM), définitivement adoptée par le Parlement le 19 novembre et qui doit être promulguée avant Noël, doit aider à établir cette vision. « Elle est née de cela, le besoin de programmer et financer pour avoir une vision sur l’avenir. Avant, nous n’avions rien, et sans, nous serions beaucoup plus inquiets. » Mais la satisfaction n’est pas totale a-t-il rappelé.
Elle est même « décevante par rapport à l’ambition initiale. Désormais, il va surtout falloir faire beaucoup de pédagogie », estimant que sa réussite dépendra « de la capacité à expliquer et à faire ».
D’une part car pour financer cette loi, il va falloir que les transporteurs routiers acceptent de la réduction de 2 centimes du remboursement dont ils bénéficient sur la TICPE.
D’autre part car si la LOM suscite beaucoup d’espoirs, « nous avons vu beaucoup d’effets d’annonce ces dernières années » restés lettres mortes ensuite.
Relancer rapidement le COI
Le Conseil d’orientation des infrastructures, pérennisé par la LOM, doit permettre de résoudre cette interrogation sur « la capacité à faire », puisqu’il devra suivre le bon déroulé de la programmation des infrastructures. « J’espère que nous allons pouvoir vite le réactiver », insiste Bruno Cavagné, qui se verrait bien à nouveau dans l’équipe si le gouvernement lui proposait.
Concernant sa composition, la question reste entière. « Je pense que l’équilibre qui avait été trouvé, avec des parlementaires, des hauts fonctionnaires… était le bon, même si j’étais le seul représentant du secteur privé. » Concernant le choix des personnalités à nommer, « il n’y a pas pléthore de gens qui s’intéressent à nos sujets et qui ont les compétences nécessaires », alerte-t-il cependant.
S’il pense que Philippe Duron aurait toujours sa place, même en tant que président du COI, « car il connaît très bien le sujet », Bruno Cavagné demande malgré tout à placer « des plus jeunes, pour préparer l’avenir et les faire monter en compétence ».
Christophe Béchu, maire d’Angers et président de l’Agence de financement des infrastructures de France (Afitf), serait ainsi un bon candidat.
Le pire évité sur le GNR
D’autres projets de loi font également l’objet de la vigilance de la FNTP. A commencer par la loi de finances, qui entérine la suppression progressive de l’utilisation du gazole non routier dans le BTP.
« Là aussi, le verre est à moitié plein ou à moitié vide », selon Bruno Cavagné. D’un côté, contrairement à ce qui était envisagé l’an passé, la mesure qui coûtera 1 Md€ au BTP (dont 700M€ pour les TP) ne sera pas brutale, mais étalée sur 3 exercices, avec un délai de prévenance et des avances de trésorerie possibles pour les PME.
Par ailleurs, en compensation, le FCTVA est étendu aux dépenses d’entretien des réseaux, « et nous allons essayer de demander au gouvernement de prendre aussi en compte les ouvrages de génie civil, au regard de l’urgence à agir en la matière », indique la fédération.
Regarder le verre à moitié vide, c’est admettre que « nous avons perdu un combat, car on nous enlève cette disposition fiscale ». Ce qui reste difficile à accepter, notamment pour les PME qui s’inquiètent de la répercussion sur leurs prix, du vol de carburant du fait de l’utilisation d’un gazole qui ne sera plus rouge, et de la concurrence « déloyale » avec les entreprises agricoles qui réalisent des activités de travaux publics.
Le BTP a été très impacté sur les deux derniers PLF, rappelle la FNTP qui espère que « la stigmatisation très forte » du secteur cesse. Pour l’organisation professionnelle, « il est insupportable que nous soyons considérés comme des pollueurs », alors même que « les TP sont les premiers recycleurs », et surtout que « les solutions pour favoriser la transition écologique passeront par nous ». Reste à en convaincre véritablement le gouvernement.