Les missions de conception interdites aux contrôleurs techniques

Bureaux de contrôle -

Arrêt du 10 avril 2012 - Cour administrative d’appel de bordeaux - CAA Bordeaux du 10 avril 2012, n° 11BX01482, « Région Aquitaine c/ Société EMCE »

Vu la requête, enregistrée au greffe de la cour le 20 juin 2011, présentée pour la Région Aquitaine, représentée par le président du conseil régional, par Me Cazcarra, avocat ;

La Région Aquitaine demande à la cour :

1°) d’annuler le jugement n° 0803303 du 14 avril 2011 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a annulé le marché attribué le 8 avril 2008 au groupement conjoint composé de la société bureau Veritas et de la société APC Ingénierie ;

2°) de mettre à la charge de la société EMCE une somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice ­administrative ;

Elle soutient que :

– le tribunal a statué sans lui avoir préalablement communiqué le dernier mémoire produit pour la société bureau Veritas la veille de la clôture ;

– la jurisprudence administrative fait une application nuancée et constructive de l’, qui ne joue, pour un ouvrage donné, qu’entre l’activité de contrôleur technique et celles de conception, d’exécution ou d’expertise d’un ouvrage, à l’exclusion de l’activité de diagnostic technique ne conduisant pas à formuler des préconisations techniques ; qu’une interprétation plus stricte de ces dispositions serait incompatible avec la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006 qui prévoit dans son article 25 relatif aux « Activités pluridisciplinaires » que « Les Etats membres veillent à ce que les prestataires ne soient pas soumis à des exigences qui les obligent à exercer exclusivement une activité spécifique ou qui limitent l’exercice conjoint ou en partenariat d’activités différentes » ; que si la directive prévoit certaines exceptions, notamment en matière de « prestataires qui fournissent des services de … contrôle techniques », elle précise toutefois que ces exceptions ne sont admises que pour « garantir leur indépendance et leur impartialité » ; que cette directive devait être transposée avant le 28 décembre 2009, ce que l’Etat français n’a pas fait ; qu’en interdisant aux contrôleurs techniques, dans tous les cas, l’exercice de toute activité de conception, d’exécution ou d’expertise d’un ouvrage, c’est-à-dire en leur interdisant d’exercer une quelconque autre activité dans le domaine immobilier, l’article L. 111-25 assortit de restrictions excessives, au regard du seul objectif poursuivi d’impartialité et d’indépendance des contrôleurs techniques, le droit reconnu à ces prestataires de services d’exercer une activité pluridisciplinaire ;

– que la cour ne saurait appliquer l’article L. 111-25 au marché litigieux dès lors que la SA bureau Veritas 33 est distincte de la SAS bureau Veritas certification France, qui est seule accréditée en tant qu’organisme de certification ; que la circonstance que ces deux sociétés appartiennent au même groupe n’entraîne pas l’incompatibilité de leurs ­activités ;

– que la mission confiée à la société bureau Veritas par le marché litigieux ne constitue pas une mission d’expertise au sens de l’article L. 111-25 ; que dans l’esprit du législateur, l’expertise d’un ouvrage est celle qui est occasionnée par la survenance d’un sinistre et qui se déroule à la demande d’une juridiction judiciaire ou d’une compagnie d’assurance, à la différence du simple audit, au cours duquel le contrôleur technique ne joue pas le rôle d’expert ; que le projet de loi étendait à l’origine la règle de non-cumul aux activités d’études, mais l’assemblée nationale a supprimé cette restriction ; que certains textes particuliers ont d’ailleurs confié aux contrôleurs techniques agréés des missions de diagnostic d’ouvrages existants ; qu’il est constant que la mission dévolue à la société bureau Veritas par le marché litigieux ne constituait pas une « expertise » mais seulement un pré diagnostic énergétique des ouvrages existants, sans la conduire à formuler aucune solution technique susceptible de faire naître, à terme, un éventuel conflit ­d’intérêt ;

– que le marché contenait deux parties, la première se rapportant à un diagnostic de performance énergétique devant être mené par la SA bureau Veritas, et la seconde portant sur la réalisation d’un audit énergétique réalisé par la société APC ­Ingénierie ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu l’ordonnance en date du 6 octobre 2011 fixant la clôture d’instruction au 1er décembre 2011, en application des articles R. 613-1 et R. 613-3 du code de justice ­administrative ;

Vu le mémoire en intervention, enregistré le 1er décembre 2011, présenté pour la société bureau Veritas qui demande qu’il soit fait droit aux conclusions de la requête et mis à la charge de la société EMCE la somme de 3.000 euros au titre des dispositions de l’, et fait valoir qu’elle est une structure juridique différente de la SAS bureau Veritas certification France ; que la mission dévolue par le marché litigieux n’est pas une mission d’expertise au sens de l’ et de ­l’habitation ;

Vu l’ordonnance en date du 1er décembre 2011 reportant la clôture d’instruction au 6 janvier 2012, en application des articles R. 613-1 et R. 613-3 du code de justice ­administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la construction et de l’habitation ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de ­l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 13 mars 2012 :

– le rapport de Mme Munoz-­Pauziès, premier conseiller ;

– les conclusions de M. Gosselin, rapporteur public ;

– les observations de Me Pessey, avocat de la Région Aquitaine, de M. Rouve Gous de la société EMCE ;

Considérant que la Région Aquitaine a décidé en 2007 de diligenter une mission d’étude de pré-diagnostic énergétique du patrimoine bâti des lycées de la région ; que le lot n° 5 du marché, relatif aux lycées du département du Lot-et-Garonne, a été attribué au groupement composé de la SA Bureau Veritas, mandataire, et de la société APC Ingénierie ; que la Région Aquitaine relève appel du jugement du 14 avril 2011 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux, à la demande de la société EMCE agissant en qualité de candidat évincé a annulé le marché attribué le 8 avril 2008 audit groupement ;

Sur l’intervention de la SA ­Bureau Veritas :

Considérant que l’arrêt à rendre est susceptible de préjudicier aux droits de la SA bureau Veritas, membre du groupement auquel le marché litigieux a été attribué ; que celle-ci a donc intérêt à intervenir dans l’instance introduite par la Région Aquitaine ; que, dès lors, son intervention est ­recevable ;

Sur la régularité du jugement :

Considérant qu’aux termes de l’ : « La requête et les mémoires, ainsi que les pièces produites par les parties, sont déposés ou adressés au greffe. / La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes dans les conditions prévues aux articles R. 611-3, R. 611-5 et R. 611-6. / Les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s’ils contiennent des éléments ­nouveaux. » ;

Considérant que si le nouveau mémoire de la société bureau Veritas enregistré le 11 février 2011 au greffe du tribunal administratif de Bordeaux n’a pas été communiqué aux parties, ce mémoire n’apportait aucun élément nouveau compte tenu de l’ensemble des pièces du dossier dont les parties avaient reçu communication ; que le moyen tiré de l’irrégularité du jugement attaqué doit par suite être écarté ;

Sur le bien-fondé du jugement :

Considérant que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé le marché par lequel la Région Aquitaine a confié au groupement composé de la SA Bureau Veritas, mandataire, et de la société APC Ingénierie, la mission d’étude de pré-diagnostic énergétique du patrimoine bâti des lycées du département du Lot-et-Garonne, au motif que l’ avait été méconnu ;

Considérant qu’aux termes de l’, dans sa rédaction applicable à l’espèce : « Le contrôleur technique a pour mission de contribuer à la prévention des différents aléas techniques susceptibles d’être rencontrés dans la réalisation des ouvrages. / Il intervient à la demande du maître de l’ouvrage et donne son avis à ce dernier sur les problèmes d’ordre technique, dans le cadre du contrat qui le lie à celui-ci. Cet avis porte notamment sur les problèmes qui concernent la solidité de l’ouvrage et la sécurité des personnes. » ; qu’aux termes de l’article L. 111-25 du même code : « L’activité de contrôle technique prévue à la présente section est incompatible avec l’exercice de toute activité de conception, d’exécution ou d’expertise d’un ouvrage. / L’agrément des contrôleurs techniques est donné dans des conditions prévues par décret en Conseil d’Etat. La décision d’agrément tient compte de la compétence technique et de la moralité professionnelle. » ; qu’aux termes de l’article R. 111-31 du même code : « les personnes ou organismes agréés, les administrateurs ou gérants et le personnel de direction de ces organismes, ainsi que le personnel auquel il est fait appel pour les contrôles, doivent agir avec impartialité et n’avoir aucun lien de nature à porter atteinte à leur indépendance avec les personnes, organismes, sociétés ou entreprises qui exercent une activité de conception, d’exécution ou d’expertise dans le domaine de la construction » ; qu’il résulte de ces dispositions que le législateur a entendu prohiber toute participation à des activités de conception, d’exécution ou d’expertise d’ouvrage des personnes physiques ou morales agréées pour se livrer à une activité de contrôle technique ;

Considérant, en premier lieu, que la Région Aquitaine fait valoir que l’incompatibilité prévue par ces dispositions ne s’applique pas à l’activité de diagnostic technique, qui peut ainsi être exercée par une personne agréée en qualité de contrôleur technique, et qu’une interprétation contraire serait incompatible avec la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006 ; qu’il résulte toutefois de l’instruction, et notamment du cahier des clauses techniques particulières, que l’objet du marché litigieux porte notamment sur l’élaboration de préconisations techniques relatives à la modification ou au remplacement « d’un ou plusieurs équipements particuliers », « d’un système ou de tout ou partie d’une installation », « du ou des modes de production ou de fourniture d’énergie » ; que, par suite, la Région Aquitaine et la SA bureau Veritas ne sont pas fondées à soutenir que le marché n’avait pour objet que le seul pré diagnostic énergétique des ouvrages existants, sans formulation d’aucune solution technique susceptible de faire naître, à terme, un éventuel conflit d’intérêt prohibé par les dispositions rappelées ci-dessus du code de la construction et de l’habitat ;

Considérant, en deuxième lieu, que si la Région Aquitaine fait valoir, au demeurant sans l’établir, que la société Bureau Veritas n’interviendrait pas dans l’élaboration des préconisations techniques dès lors que cette mission reviendrait exclusivement à l’autre membre du groupement, la société APC Ingénierie, cette circonstance n’est pas, eu égard aux dispositions rappelées ci-dessus de l’ et de l’habitat, de nature à lever l’incompatibilité posée par l’article L. 111-25 du même code ;

Considérant, enfin, que la circonstance que la SA bureau Veritas ne figurerait pas sur la liste des organismes de certification accrédités pour délivrer des certifications aux personnes réalisant des diagnostics techniques immobiliers est sans influence sur la validité du contrat ­litigieux ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la Région Aquitaine n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé le marché ­litigieux ;

Sur les conclusions tendant à l’application de l’ :

Considérant que les dispositions de l’ font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société EMCE, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que la Région Aquitaine et la SA bureau Veritas demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

Décide :

Article 1

L’intervention de la SA bureau Veritas est admise.

Article 2

La requête de la Région Aquitaine est rejetée.

Article 3

Les conclusions de SA bureau Veritas tendant au bénéfice des dispositions de l’ sont rejetées.

Article 4

Le présent arrêt sera notifié à la Région Aquitaine, à la société EMCE et au groupement bureau véritas.

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