Dans moins de 24 mois, la Solidéo devra avoir livré tous les ouvrages olympiques. A ce stade, le planning est-il respecté ?
Pour l’instant, nous sommes dans les temps. Tous les chantiers du village olympique ont démarré ainsi que ceux des très gros équipements comme le centre aquatique olympique et l’Arena 2. En ce début 2022, près d’une quarantaine d’ouvrages sont en travaux sur les 62 prévus. Le schéma, établi dès 2018, prévoit la livraison de tous ces équipements fin 2023, la levée des réserves en janvier et février 2024. Puis le Comité d’organisation des Jeux olympiques (Cojo) Paris 2024 prendra possession des bâtiments courant mars 2024. Aujourd’hui, nous sommes capables de tenir ce calendrier avec une organisation standard. Ce qui signifie qu’en cas d’avanie - rupture de la chaîne logistique, crue massive de la Seine… -, nous pourrons doubler les postes de travail, voire éventuellement passer en trois-huit et travailler une partie du week-end en dernier recours. Cette capacité d’accélérer si besoin nous donne une certaine forme de sérénité et permettra d’absorber sans problème le retard de trois mois avec lequel a débuté le chantier du village des médias, suite à des recours qui ont tous été rejetés.
« L’approvisionnement en bois est aujourd’hui en grande partie sécurisé »
Les entreprises rencontrent-elles des difficultés d’approvisionnement du bois ?
A ce stade, non. En fait, nous avons traité ce sujet sans même nous en rendre compte. Fin 2018, début 2019, dans un contexte de surchauffe du secteur du bâtiment francilien, nous avons pris la décision d’anticiper la désignation des constructeurs pour éviter d’être confrontés deux ans plus tard à une insuffisance de moyens humains et matériels sur les chantiers olympiques. Dans les consultations d’opérateurs sur le village des athlètes nous avons donc imposé que chaque groupement candidat se compose d’un investisseur, d’un promoteur et d’un constructeur. Les entreprises de bâtiment, choisies environ 18 mois avant le début des travaux, ont ainsi pu disposer de suffisamment de temps pour planifier leurs équipes, leur matériel, leurs grues... Elles en ont aussi profité pour passer leurs contrats de bois, ce qui fait qu’aujourd’hui l’approvisionnement est en grande partie sécurisé.
Et s’agissant des autres matériaux ou de certains matériels ?
Il existe quelques points de vigilance, notamment sur des outillages de précision comme les tire-fonds. Les dispositifs complexes (systèmes de ventilation, par exemple) en provenance d’Asie pourraient devenir un sujet de préoccupation si les chaînes logistiques ne fonctionnent pas à nouveau à l’horizon de six mois.
D’où provient le bois utilisé sur les différents chantiers olympique et notamment sur le village des athlètes ?
Nous pensions utiliser essentiellement du bois français, mais cela risque d’être compliqué, ou européen, et là nous devrions y arriver, ainsi qu’un peu de bois canadien. Depuis peu, nous regardons le sujet du bois exotique car les pays producteurs exercent une pression assez forte, singulièrement le Congo et la Malaisie. Nous ne l’avions pas fait jusqu’à maintenant à cause du bilan carbone. La question du mélèze russe se pose également.
« Le chantier du village olympique s’inscrit dans un environnement qui comprend deux écoles, un collège, un lycée, des logements… »
La construction du village olympique est présentée comme le plus grand chantier mono-site de France, voire d’Europe. Quelles dispositions avez-vous prises pour qu’il se déroule dans les meilleures conditions ?
Au second semestre 2022, au pic de l’activité, les travaux du village olympique mobiliseront 3 800 compagnons et 35 grues. Ce chantier s’inscrit aussi dans un environnement qui comprend deux écoles, un collège, un lycée, une école d’ingénieurs et des logements. Nous devons garantir la sécurité absolue de toutes les personnes fréquentant ces lieux alors que 500 passages de poids lourds auront lieu chaque jour. D’où la mise en place de dispositifs logistiques extrêmement lourds : rues coupées, doublement du nombre d’hommes trafic, interdiction faite aux camions de reculer et de faire demi-tour ainsi que de stationner hors des emprises qui leur sont réservées. Avec notre prestataire, Mobility by Colas, nous avons créé une base déportée à Gennevilliers (Hauts-de-Seine) qui servira de zone tampon aux poids lourds.
Les entreprises ont-elles recours à la voie fluviale pour approvisionner leurs chantiers ?
Nous y avions pensé mais nous ne parvenons pas à garantir le juste à temps par la voie d’eau. Nous allons quand même tenter une expérimentation avec Legendre pour l’acheminement d’éléments préfabriqués. En revanche, la voie fluviale a été largement utilisée pour l’évacuation des déblais : 97 % l’ont été par ce mode de transport.
« La sécurité est un énorme sujet de préoccupation pour nous »
Qu’en est-il de la sécurité des compagnons ?
Nous devrions prochainement signer une charte avec l’OPPBTP et les constructeurs. Elle liste différentes mesures visant à améliorer la prévention sur ce chantier particulièrement complexe : situé en milieu dense, il fait intervenir dix maîtres d’ouvrages différents, ce qui génère une très grosse co-activité ; la mise en œuvre de dispositifs constructifs innovants implique des habitudes de travail qui ne sont pas encore ancrées ; et les 10 % d’heures d’insertion font intervenir des salariés qui ne sont pas forcément sensibilisés à ces questions de sécurité. Les risques sont donc bien présents. Nous avons aussi mis en place un collège interentreprises très axé sur la prévention, un peu différent du Collège interentreprises de sécurité, de santé et des conditions de travail (CISSCT) prévu par la loi. Bien sûr, il n’est pas question pour la Solidéo de se substituer aux entreprises mais juste de faire en sorte que les compagnons fassent plus attention à eux et aux autres, en créant un sentiment d’appartenance commune. La sécurité est un énorme sujet de préoccupation pour nous.
« Notre démarche ne consiste pas à pousser l’innovation le plus loin possible mais à ouvrir de nouveaux horizons, à dégager le terrain »
Vous venez d’évoquer l’innovation, les dispositifs constructifs nouveaux. Quel sera de ce point de vue-là l’héritage laissé par les JO de 2024 ?
L’ensemble des permis de construire du village des athlètes affichent une réduction de l’empreinte carbone de 47 % par rapport à une construction aux normes classiques actuelles [avant la mise en place de la RE 2020, NDLR]. Il est donc possible d’atteindre, dès aujourd’hui, la cible de -50 % visée par la stratégie nationale bas carbone en 2030 et cela, à l’échelle d’un quartier mixte de 330 000 m2 réalisé dans le modèle économique de la promotion immobilière, sans subventions, dans un délai contraint et au niveau de charges foncières de la première couronne francilienne. Cela est reproductible ailleurs. C’est l’un des héritages des Jeux, au-delà bien sûr du développement urbain de cette partie de la Seine-Saint-Denis. Notre démarche ne consiste pas à pousser l’innovation le plus loin possible, mais à ouvrir de nouveaux horizons, à dégager le terrain… Nous documentons tout ce que nous faisons, même les blocages que nous n’avons pas réussi à surmonter. Cela n’empêche pas de procéder ponctuellement à des innovations de rupture. C’est le cas avec le bâtiment démonstrateur d’Icade déconnecté des égouts et celui de Nexity qui intègre une régulation des pointes d’énergie par un système de batteries zinc-air.
Dans quels autres domaines avez-vous fait bouger les lignes ?
Avec l’aide d’Adivbois, nous avons publié un guide de recommandations sur les principes constructifs des immeubles en structure bois jusqu’à 28 m de hauteur. Avec le CSTB nous avons fait passer en technique courante la pose de trois types de vêtures sur les façades à ossature bois (terre cuite, terre crue, parement avec différents matériaux biosourcés comme isolant) alors qu’il n’existait pas de DTU. Dans les semaines à venir, nous devrions lever la question des douches sur un plancher bois qu’Icade veut installer. Nous avons aussi travaillé sur le confort d’été. Nous garantissons une température maximale de 28° et pas plus de 160 heures par an dans la pièce la plus chaude de tous les bâtiments du village olympique et de celui des médias sous contrainte du climat de 2050. Là encore, nous ne sommes pas dans l’expérimentation mais dans la démonstration de la faisabilité à grande échelle. Nous avons cranté d’autres sujets. Colas, par exemple, va bâtir un pont en Douglas du Morvan au-dessus de l’A1, à la hauteur du Bourget (Seine-Saint-Denis), d’une longueur de 100 m. Avec ce projet, mis au point avec le Cerema, nous ouvrons la possibilité à la filière bois de recommencer à construire des ouvrages d’art.
« Nous devons évaluer l’impact sur l’organisation des chantiers du temps de prise beaucoup plus long du béton ultra bas carbone »
Certains équipements seront-ils construits en béton ultra bas carbone ?
Nous devons d’abord évaluer l’impact sur l’organisation des chantiers du temps de prise beaucoup plus long du béton ultra bas carbone. Nous allons tester deux bétons de moins de 100 kg CO2/m3 sur deux bâtiments d’environ 12 000 m2 : l’un, dans le secteur Universeine du village des athlètes avec Vinci Immobilier (Exegy), l’autre avec Bouygues Bâtiment Ile-de-France (Hoffmann) sur l’Arena 2, à la Porte de la Chapelle.
La Solidéo souhaite aussi mettre en œuvre des solutions innovantes dans les espaces publics du village olympique. Les trois appels à manifestation d’intérêt (AMI) lancés en juillet 2020 ont-ils apporté des propositions intéressantes ?
Ces trois AMI portaient sur la lutte contre les îlots de chaleur urbains, le mobilier inclusif et la qualité de l’air extérieur. Sur cette dernière thématique, nous avons obtenu des résultats très intéressants comme un projet d’ombrière qui crée des bulles d’air pur, proposée par Aérophile, ou des dispositifs de captation de la pollution à l’échelle des véhicules.
Avez-vous avancé sur le thème de l’accessibilité universelle ?
Nous avons lancé un appel à projets sur la signalétique inclusive multisensorielle remporté par un groupement d’entreprises mené par Okeenea. L’idée est de permettre, notamment à nos aînés qui voient et entendent moins bien, parfois décident moins vite, de se repérer dans l’espace public et donc de continuer à vivre dans leur quartier. Le sujet est ardu car les solutions reposent sur la mise en place de dispositifs technologiques dont l’acceptabilité par ces publics qui justement ont du mal à les maîtriser pour de raisons cognitives, n’est pas assurée. Nous n’en sommes qu’au début de l’histoire, il nous reste deux ans pour approfondir les réflexions.
« Nous espérons réussir à créer un quartier avec une vraie ambiance urbaine »
Vous êtes allé aux JO de Tokyo. Quels enseignements en avez-vous tirés ?
Les équipements publics y sont d’une grande qualité avec un niveau de finition incroyable. Inversement, j’ai trouvé le village olympique assez banal, monotone, très minéral et doté d’espaces publics peu développés. Nous sommes revenus avec la conviction que nous devions nous différencier de cette approche asiatique dans laquelle la ville est conçue comme une machine dont il faut optimiser le fonctionnement. Le village des athlètes de Saint-Denis, Saint-Ouen et L’Ile-Saint-Denis doit au contraire incarner notre vision de la ville européenne basée sur l’individu, sa singularité, son ressenti, sa capacité d’émancipation… A la différence de Tokyo, la maîtrise d’ouvrage et son urbaniste, d’abord Dominique Perrault et maintenant Michel Guthmann, sont très présents. Nous espérons réussir à créer un quartier avec une vraie ambiance urbaine et à atteindre le niveau d’ambition qu’on s’est collectivement fixé, que la France nous a fixé.