LE STATUT DES COPROPRIÉTÉS EN DIFFICULTÉS : AIDE OU PIÈGE ?

Une action efficace pour le rétablissement de la santé financière des copropriétés en difficultés s'appuiera utilement en aval sur des syndics spécialisés et en amont sur une amélioration de la prévention des impayés.

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1. Des syndics dédiés

Si la loi prévoit, pour exercer les fonctions de mandataire ad hoc ou d'administrateur provisoire définies aux articles 29-1 A et suivants et 29-1 et suivants de la loi du 10 juillet 1965, que le juge puisse désigner un administrateur judiciaire, elle lui ouvre aussi la possibilité de désigner une « personne physique ou morale justifiant d'une expérience ou d'une qualification particulière au regard de la nature de l'affaire ». Il importe que les syndics qui ont fait l'investissement nécessaire et démontré les capacités requises aient les moyens de justifier de cette « expérience » ou « qualification particulière » afin d'être retenus directement par les tribunaux pour ces fonctions.

Ainsi l'Union des syndicats de l'immobilier (UNIS), l'Agence nationale de l'habitat (ANAH) et l'association QualiSR ont-ils signé le 25 janvier 2017 plusieurs conventions qui concrétisent une ambition commune : renforcer la professionnalisation des acteurs intervenant dans les copropriétés fragiles ou en difficulté.

A. La genèse du rapprochement autour de Quali-SR

Ces engagements partent du constat de l'importance du rôle du syndic de copropriété dans la prévention du processus de dégradation des copropriétés fragiles, et dans la mise en œuvre des actions de redressement. Le champ d'action est considérable : sur près de 770 000 copropriétés, le nombre de copropriétés fragiles est estimé à plus de 100 000.

L'association QualiSR s'est constituée en 2012 afin de fédérer les acteurs concernés en vue de mettre en place une qualification/certification des syndics intervenant sur ces immeubles : syndics de copropriété, opérateurs, associations, institutions et professionnels associés. Cette qualification sera opérationnelle cet été.

L'UNIS , en tant que premier syndicat professionnel représentant les syndics de copropriété, a considéré comme indispensable d'appuyer ce mouvement, dès lors que certains de ses adhérents sont membres de l'association. L'UNIS a ainsi signé son adhésion à l'association.

L'ANAH , à travers ses programmes tel que « HABITER MIEUX » et le déploiement des aides à la rénovation et à la transition énergétique, a fait du traitement des copropriétés fragiles et en difficulté une de ses priorités d'action. C'est pourquoi, l'ANAH soutient naturellement cette démarche en étant signataire de la convention.

Les acteurs rassemblés dans QualiSR considèrent à juste titre que le syndic, outre ses missions purement administratives, comptables et techniques, devra jouer un rôle d'« animateur » de la copropriété. Les syndics de demain seront de véritables « community manager ».

B. Résultats concrets attendus

Pour les syndics, la gestion d'un immeuble en difficulté ou à redresser financièrement et techniquement requiert une expérience et des compétences spécifiques, si nécessaire complétées par une formation. L'objectif est que ces compétences - qui se traduisent par la mise en place de processus précis d'actions à réalisées - soient reconnues par une certification, et qu'une liste de syndics ainsi spécialisés soit mise à disposition des collectivités et tribunaux.

Enfin, cette « certification » permettra à l'ensemble des parties prenantes d'être rassuré sur la qualité des prestations du syndic choisi. Il s'agit d'une garantie attendue de tous. La profession se prend ainsi en main par une démarche volontariste, non imposée, d'accompagnement de la gestion des copropriétés en difficulté ou fragiles. L'appui de l'ANAH valorise cette démarche qui va dans le bon sens. Ainsi, l'association QualiSR est désormais dotée des moyens de fonctionner efficacement.

C. Calendrier d'action

Au premier semestre 2017 sont menées conjointement deux actions concrètes :

- l'une liée au développement, c'est-à-dire des actions en vue de l'adhésion des cabinets ou groupes d'administration biens ;

- l'autre consiste à la mise en place du référentiel de certification, étant précisé que l'organisme de certification a été choisi fin décembre.

Le dispositif sera donc totalement opérationnel cet été, ce qui permettra de lancer les procédures de certification.

Le référentiel est à ce jour au stade de projet : il récapitulera les prestations du syndic de copropriété revêtant une importance particulière dans le contexte des copropriétés fragiles ou en difficulté avérée, et mentionnera pour chacune les engagements à souscrire, en distinguant :

- les engagements qualitatifs,

- ceux en termes de moyens,

- les critères de contrôle proposés,

- les engagements en termes d'actions.

Les engagements listés consistent à garantir à ces copropriétés, qu'elles bénéficient ou non d'un dispositif d'intervention publique, un niveau de qualité de la prestation due par le syndic par-delà ses obligations légales et les critères d'une bonne gestion communément admis pour les autres copropriétés.

Des pré-requis généraux seront exigés en supplément des obligations fixées par la loi et le règlement : - accessibilité, capacité de disponibilité et de proximité, délais de réaction rapides et traçabilité des actions ; - coordination interne des intervenants dans la gestion (services de gestion, comptabilité, et recouvrement) assurée par la proximité physique ou des moyens de communication efficients, et capacité, notamment par un encadrement approprié des équipes, d'assurer la cohérence des actions et la conduite d'un projet de redressement ; - volonté de communiquer avec les opérateurs, collectivités et administrations intervenant dans les procédures publiques, de se positionner en tant que partenaire local, ainsi que de prendre en compte les besoins de l'ensemble des résidents et les remobiliser en tant que de besoin (notamment les locataires). Chacun aujourd'hui est conscient de l'importance de la gestion, et donc du rôle du syndic de copropriété dans la prévention des processus de dégradation des copropriétés en situation de fragilité, et encore plus dans la mise en œuvre des actions de redressement des copropriétés en difficulté avérée. Plus que les autres, ces copropriétés requièrent :

- une gestion rigoureuse,

- un suivi quotidien des problèmes,

- une réelle compétence en matière de maîtrise des charges,

- une grande réactivité,

- une efficacité en matière de recouvrement des charges et de mobilisation des ressources et dispositifs d'aide appropriés,

- une compétence et une disponibilité adaptées à des cas difficiles.

Le besoin d'identifier et de formaliser les caractéristiques spécifiques de la prestation de syndic nécessaires pour ces copropriétés est largement reconnu par l'ensemble des acteurs qui interviennent dans les processus de redressement :

- par les syndics eux-mêmes, qu'ils soient syndics professionnels, organismes HLM ou structures associatives, afin que leurs compétences et expériences distinctives puissent être reconnues et rémunérées à leur juste valeur ;

- par les copropriétaires et leurs associations qui doivent disposer de critères précis et rigoureux dans le choix de leur syndic ;

- par les opérateurs et collectivités territoriales lorsqu'il s'agit de mettre en place un dispositif de sauvegarde ou de redressement.

2. Impayés et prévention

Ici comme ailleurs, mieux vaut prévenir que guérir. La panoplie des mécanismes qui seront mis en place pour assister le retour de l'immeuble à meilleure fortune a un coût, beaucoup de travaux à prévoir, et de nombreux acteurs devant se pencher sur le malade. Or les plans de refinancement qui pourront être dressés doivent impérativement s'appuyer sur des engagements financiers à venir qui, idéalement, doivent être certains. Ce n'est pas souvent le cas : le montant des aides à percevoir n'est pas garanti -étant individualisées et non collectives - et mériterait d'être « sanctuarisé ». La maîtrise des quotes-parts de répartition devrait être un acquis, mais dans les grands ensemble complexes elles ne sont pas aisément manipulables.

S'agissant de la prévention, quelques traits saillants.

A. Les statistiques du contentieux

La part liée aux impayés s’est accrue en 10 ans1 (+ 30 %) et représente 2/3 des contentieux. 67 % des demandes de recouvrement portent sur des montants supérieurs à 4 000 euros (soit environ deux ans d’arriérés de charges, ce qui est considérable). Ils sont concentrés dans deux régions : la région Île-deFrance et la région Provence-Alpes-Côte-D’azur.

Près d'une demande en paiement sur quatre fait l'objet d'un abandon de procédure devant les juridictions de première instance. Lorsque le juge statue au fond sur les actions en paiement, les syndicats des copropriétaires obtiennent gain de cause au moins partiellement dans plus de 90 % des cas. Le taux de rejet est donc faible en matière d'impayé (7 %). Ce taux est encore plus faible devant le tribunal d'instance (TI) et la juridiction de proximité (autour de 4 %).

Les demandes en paiement des charges sont traitées dans des délais relativement courts : en 2014, les demandes relatives à des impayés de charges sont traitées en moins de huit mois devant les tribunaux de grande instance. Le délai de traitement est encore plus court devant les TI (5,6 mois) et les juges de proximité (4,6 mois).

B. Prendre en compte la part des lots loués

La part du locatif est fondamentale car des impayés de loyers impactent par ricochet le paiement des charges. Or, les impayés locatifs connaissent des causes ainsi réparties 2 :

- 40 % des impayés sont inférieurs à trois mois, 25 % compris entre trois et six mois et 35 % supérieurs à six mois,

- 42 % des impayés sont liés au chômage,

- 8 % à des problèmes de santé ou d'accident,

- 15 % au divorce, 9 % à des loyers trop élevés,

- 14 % au surendettement,

- 9 % à des litiges entre propriétaires et locataires,

- 3 % aux nouveaux retraités qui ne peuvent plus assumer leur loyer.

Les débats sur la et ses décrets, sur la profonde réforme des rapports locatifs (niveau de loyers, garanties, honoraires à la charge du locataire et du propriétaire), et l'observation de l'évolution des loyers3 (net retrait des loyers, effondrement de l'effort d'amélioration et d'entretien du bailleur) montrent parfaitement les effets de dominos dans la chaîne de l'immobilier. Isoler la réflexion des impayés de copropriété à la seule copropriété n'est pas une bonne réponse.

C. Anticiper les charges de rénovation lors de l'achat

Le rapport du Plan Bâtiment Durable de 2017 4 met l’accent sur le moment de la demande de financement dans le projet de rénovation (§ 41) : « Les banquiers constatent qu’ils se situent souvent en bout de chaîne d’un processus dans lequel le ménage construit son projet puis termine son chemin par l'étape du financement : il se présente alors devant son banquier en disposant d'un programme de travaux déjà constitué. La banque se trouve alors en position de répondre à une demande précise qui n'est pas toujours en accord avec la capacité d'endettement du porteur du projet. Pourtant l'étape du financement du projet est une étape qui doit s'inscrire le plus en amont possible : ainsi, lorsque le financement n'est pas effectué par l'utilisation d'une épargne pré-constituée, le ménage aurait intérêt à connaître aussitôt que possible le montant du crédit envisageable au regard de sa situation financière.

En ce sens, différentes banques indiquent sur leurs sites internet, dans le cadre de leurs diverses actions commerciales et de partenariats régionaux, publicités sur le lieu de vente, mailings adressés aux clients, et lors des entretiens des conseillers avec leurs clients, l'intérêt de consulter, en amont de leur projet de travaux, des plates-formes ou autres lieux de conseil ». De ce constat est née la proposition 2 du rapport : « Mesurer régulièrement, par des enquêtes plus approfondies que celles existant déjà, l'appétence des ménages au recours à l'emprunt pour le financement des travaux de rénovation énergétique ».

D. Prospective : registre d'immatriculation des immeubles existant et appréciation des impayés

Le registre d'immatriculation 5 a vocation à mieux connaître le parc pour mieux l'entretenir et déployer les politiques publiques d'aides à la rénovation. Le registre prévoit l'indication du taux d'impayés.

Pour l'UNIS, il s'agit d'apprécier ce taux AVANT répartition individuelle des consommations.

De quoi s'agit-il ? Le syndic devra fournir annuellement au registre des copropriétés un certain nombre d'informations financières. Parmi celles-ci figure le « montant des impayés des copropriétaires ». Il nous semble dangereux et inutile d'associer ce montant au solde des copropriétaires débiteurs APRÈS la répartition des charges. En effet, on risque de considérer que des copropriétés sont en difficulté alors qu›elles ne le sont pas, et de passer à côté de copropriétés réellement fragiles ou en difficulté. En effet, dans le courant de l›année, les appels de charges sont donc calculés de façon forfaitaire, en fonction, d›une part, des tantièmes attribués à chaque lot et, d›autre part, des clés de répartition qui prévoient à quelles catégories de charges participe chaque lot. À la fin de l'exercice, on remplace ces appels de charges forfaitaires par des dépenses réelles en fonction des dépenses réelles (et non plus des budgets votés) et des consommations individuelles. Si le remplacement des appels de fonds par les dépenses réelles peut n›avoir qu›une faible influence sur la situation du solde de chaque copropriétaire, il en est tout autrement en ce qui concerne l›affectation des consommations individuelles. En effet, le principe même du comptage individuel des consommations est que chacun paie à la fin de l'année, en fonction de sa consommation réelle, alors qu'il a payé au cours de l'année un forfait correspondant à son lot. Si on retient pour solde des copropriétaires celui après la répartition, on aura dans ce montant le solde éventuel de ses appels de fonds impayés auquel viendront s›ajouter :

- la régularisation des charges entre dépenses et budget,

- l'affectation de la répartition individuelle (en débit ou en crédit) liée aux consommations.

Ces deux derniers montants sont obligatoires et ne signifient pas pourtant que les copropriétaires ont un impayé vis-à-vis de la copropriété, au sens d›un débit impayé assumé. Contrairement à ce qu›a pu être indiqué au cours de la réunion précitée, un examen des soldes après répartition ne permettra aucunement d'avoir une analyse tendancielle de la situation puisque ces soldes dépendront avant tout des consommations individuelles qui ne reflètent absolument pas l'évolution de la situation des impayés.

E. En attente du décret-plafond pour les livrets A, adapté à la taille des copropriétés

L' avait prévu que le plafond applicable aux livrets A détenus par les syndicats de copropriétaires serait modulé, par décret, en fonction du nombre de lots de la copropriété. Aujourd'hui, le plafond réglementaire est de 76 500 €, que la copropriété soit constituée de 10 ou de 500 lots. Or, les cotisations pour le fonds de travaux devraient être versées sur un livret A afin qu'elles produisent des intérêts défiscalisés acquis au syndicat. Le décret d'application relatif au livret A n'est cependant toujours pas paru, alors même que le VII de l' prévoyait une entrée en vigueur au plus tard le 1er janvier 2016…

F. Propositions d'amélioration (UNIS)

Des propositions d'amélioration de la connaissance et du paiement des charges permettraient d'assainir globalement la situation de dangerosité liée aux impayés constatés trop tardivement :

- un lissage des recettes : permettre le prélèvement automatique mensuel (au lieu des appels trimestriels),

- envoyer les appels de fonds par voie électronique (actuellement : lettre simple),

- imposer une domiciliation en France ou en Europe,

- permettre de reporter le mandat de prélèvement du syndic sur le syndicat (par simplification eu égard aux numéros ICS),

- lisser certaines dépenses (assurance, énergie, charges sur salaires),

- systématiser des avances de trésorerie (et passer de 1/6 e à ¼),

- mettre en place des tableaux de bord trimestriels (contre 1 an aujourd'hui),

- revoir l'indicateur de taux d'impayés (alerte interne à 17 % donc 2/3 du déclenchement de l'alerte dès 25 %).

Anticiper les charges à l'achat, gérer son budget familial, maîtriser et réduire les charges de copropriété, monter un plan de financement collectif et individuel, autant de compétences fédérées par les acteurs dédiés, et à acquérir par tous.

1.Source : ministère de la Justice, 2016.

2. Source : Verspieren.

3. Source : Clameur.

4. Financements de la rénovation énergétique des logements privés et déploiement du tiers-financement : état des lieux et perspectives, Plan Bâtiment Durable, 21 mars 2017.

5. Issu du Rapport BRAYE/ANAH et inscrit dans la .

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