Ce projet singulier est issu du dialogue entre un maître d’ouvrage, ING Real Estate dirigé par Frédérique Monjanel et cinq architectes européens : Winy Maas (MVRDV), Pierre Gautier (PGA), Manuelle Gautrand (MGA), Erick van Egeraat (EEA) et Emmanuel Combarel-Dominique Marrec (ECDM). Au sein d’un projet commun, une tranche a été confiée à chacune des cinq équipes. L’exigence de mixité et de densité a conduit à définir un plan masse compact, une forme urbaine monolithique où chaque architecte assume sa place tout en acceptant une grande proximité avec l’architecture voisine. Le caractère inédit du Monolithe résulte de la combinaison entre l’application de règles communes et la variété de traitements des façades.Une mixité sociale caractéristique des centres-ville est proposée avec une même qualité d’enveloppe pour l‘ensemble des programmes. Aucune dissociation n’est établie entre l’architecture des bureaux et celle des logements. Chaque sous-ensemble de logements et bureaux compose une séquence programmatique et architecturale nettement lisible, dont les façades forment adresse. L’espace central commun est partagé avec le public, et constitue un lieu d’identité et d’urbanité fort.
Qualité environnementale
Le projet répond à la démarche HQE engagée par la SEM Lyon Confluence et s’inscrit aussi dans un programme européen Concerto - Renaissance dont les objectifs visent à promouvoir l’efficacité énergétique et l’utilisation des énergies renouvelables, démontrer et diffuser les bénéfices environnementaux mais aussi économiques et sociaux qui en découlent.
« En 2004, à l’époque du concours, était très novateur, constate Emmanuel Combarel. En consultant le cahier des charges, on s’est demandé comment on allait s’en sortir. La SEM s’était engagée sur des performances énergétiques auprès des futurs acquéreurs, c’est même devenu un argument de vente. »
Les réponses apportées sont simples et efficaces : des façades bien isolées thermiquement limitent les déperditions d’énergie ; des panneaux photovoltaïques assurent l’éclairage des locaux communs ; des capteurs solaires couvrent 40 % de la production d’eau chaude sanitaire ; une chaudière à bois subvient aux besoins en chauffage de l’ensemble du bâtiment. Et bien sûr, une attention particulière à la ventilation naturelle et la protection solaire des logements et bureaux complète le dispositif et le confort.
Processus
Dans le cadre d’un concours organisé par la SEM en 2004 pour les îlots A, B, C de la première phase de Lyon Confluence, ont été retenues trois équipes de promoteurs – Nexity Apollonia, Bouwfonds Marignan Immobilier et ING Real Estate-Atemi – associés à 40 architectes qui ont travaillé à la conception définitive des îlots de logements et de bureaux de la place Nautique.
Pour l’îlot C, l’élaboration du projet s’est faite au cours de workshops successif réunissant les cinq équipes sélectionnées par ING, au cours desquels tous ont mis en commun leurs hypothèses. C’est MVRDV qui a lancé l’idée d’un plan compact : le Monolithe était né, en contraste avec l’îlot A très éclaté. La répartition des tranches a été faite par Frédérique Monjanel : les agences néerlandaises aux extrémités, Manuelle Gautrand au centre, avec ECDM et Pierre Gautier de part et d’autre.
Le cahier des charges de François Grether, urbaniste du projet Confluence, comportait des prescriptions assez traditionnelles : alignements, attiques, retraits, largeurs de voies, mais lors des workshops, les cinq équipes se sont affranchies de certains principes, et ont proposé des modifications comme le retrait important de la façade ouest sur la rue. Au nord, une inflexion intervient dans le plan, dans la tranche d’Erick van Egeraat, en réponse aux études sur le vent et le bruit. Il s’agit de casser l’effet Venturi, et de créer une protection vis-à-vis des nuisances de la ligne SNCF. Le porche monumental à l’ouest traité par Manuelle Gautrand correspond à la percée souhaitée par François Grether vers les collines boisées bordant la Saône.
« Chaque agence venait avec ses interprétations du programme, ses propositions, et nous en faisions la synthèse, raconte Pierre Gautier. Ce projet devait permettre une approche rationnelle avec une économie d’échelle, et une économie de coûts puisque les programmes – bureaux et logements sociaux principalement – ne disposaient pas de gros budgets. On a mis en place une trame rationnelle de 5,40 m qui répond aux plans de parkings et de logements. » Tout a été prévu très tôt, parkings et accès mutualisés, cages d’escaliers communes. Ainsi une cage d’escalier de Pierre Gautier dessert certains logements de MVRD ; de même, ECDM dessert quelques appartements de van Egeraat.
Quant à l’organisation, chacun est architecte de sa tranche avec sa propre assurance. Le permis a été cosigné. Outre son propre projet, chacun a eu une mission particulière. Ainsi MVRDV a assuré la direction artistique, la matrice de trame et a déterminé comment se coordonnaient les architectures et les matières. Manuelle Gautrand a été chargée de l’élaboration du PC commun. ECDM a pris en charge les plans d’exécution de van Egeraat, et a fait des missions en régie pour la commercialisation des bureaux avec des simulations pour les locataires.
La construction est traditionnelle, en béton coulé en place, poteaux-poutres ou voiles. La préfabrication n’étant pas possible car il n’y avait réellement aucune véritable série et il aurait fallu des grues lourdes pour monter les banches jusqu’à R 7. Toutes les prestations sont identiques. La fabrication des 600 fenêtres en bois a été confiée à une entreprise unique avec laquelle chaque architecte a travaillé sur un ou deux modèles.
Le résultat final juxtapose des tranches qui sont contrastées pour faire la ville. Il n’y a pas eu de travail en amont sur une technologie commune, mais une approche plutôt sur la plastique, un travail sur les bétons ou les façades légères. Chacun a choisi selon sa sensibilité, un matériau neutre et noble.
Emmanuel Combarel a dessiné une matrice à facettes pour faire disparaître les joints de coulage horizontaux et verticaux. Le motif cubiste lasuré doré avec ses reflets multiples prend bien la lumière.
Pierre Gautier a réalisé une façade en béton coulé en place avec une matrice à texture de roche. Les joints ont été sculptés afin d’éviter de voir la scansion des panneaux. La lasure très sombre, presque noire, capte la lumière et contraste avec les menuiseries bois plus domestiques.
Erick van Egeraat avait prévu un mur rideau en bois, impossible à réaliser ici en raison des normes françaises, c’est donc une façade rideau en aluminium avec panneaux de mélèze qui a été mise en œuvre. Dans la partie en pont, ce sont des panneaux en verre émaillé, pour être en conformité avec la réglementation des masses combustibles en vis-à-vis. La façade proposée par MVRDV était à l’origine en panneaux de briques de verre, mais elle ne rentrait pas dans le budget. Il a donc conçu comme Manuelle Gautrand, une façade classique en maçonnerie avec isolant et bardage : aluminium perforé pour MVRDV et lames d’inox pour Manuelle Gautrand. Les façades et la sous-face du pont en bardage inox poli miroir de Manuelle Gautrand reflètent le jardin en vis-à-vis ; les volutes d’un ruban de tôle caractérisent la façade du porche monumental de l’ouest.
Programmes mixtes
La faible épaisseur du bâtiment permet à de nombreux logements d’être traversants. Les séjours sont généralement implantés à l’ouest, les chambres à l’est. Dans les grands logements d’ECDM, les pièces s’organisent tout autour du noyau. Ceux de Pierre Gautier bénéficient de loggias profondes et d’une cuisine semi-ouverte. Ceux d’Erick van Egeraat sont très vastes, avec des articulations bien pensées entre les fonctions. Les duplex de MVRDV en front de darse disposent de terrasses accessibles en toiture.
Les bureaux sont livrés en blanc, sans faux-plancher afin d’exploiter l’inertie thermique, avec un système de plafonds rayonnants chaud/froid, complété d’un dispositif de free-cooling nocturne. Cloisonnables à la demande sur une trame de 1,75 m, tous les bureaux peuvent disposer d’une fenêtre qui s’ouvre. GDF-Suez a loué un ensemble de 8430 m2 de bureaux, ce qui constitue le bail de location en tertiaire le plus important.
Les paysagistes néerlandais de West 8 présents dès la phase concours, ont conçu le sol de la cour intérieure, les jardinières et les grilles d’enceinte. Les jardinières sont en béton préfabriqué blanc. Des ginkgo biloba sont plantés inclinés et s’appuient à un tuteur oblique en acier laqué. Le profil de ces jardinières est doux pour servir d’assise aux promeneurs.
Finalement, l’opération bien que très complexe, se révèle un succès. « Il n’y a aucun écart de surface entre le projet et la version finale, précise Frédérique Monjanel qui rappelle que les VEFA ont été signées en phase permis. La quasi-totalité des logements est vendue. »
« Le concept a amené des tas de questions nouvelles à propos de techniques, d’assurance, de coordination, remarque Pierre Gautier. ING a porté la réflexion et a démontré la possibilité d’une vraie démarche architecturale de la part d’un maître d’ouvrage. La Ville de Lyon a soutenu le projet. Il est rare de voir une collectivité aussi impliquée. C’est pourtant la mission des collectivités d’avoir une vraie exigence urbaine.»
Lieu : Place Nautique, 69 - Lyon.
Maîtrise d’ouvrage : ING Real Estate et ATEMI
Maîtrise d’œuvre : Erick van Egeraat Associated Architects (EEA), Manuelle Gautrand Architecture, Pierre Gautier Architecture (PGA) Emmanuel Combarel et Dominique Marrec (ECDM), West 8, paysagiste ; Alto ingénierie, BET fluides- énergies ; Khephren Ingénierie, BET structure ; Peutz, BET acoustique ; Lucigny Talhouet et ass., économiste ; VSA – Van Santen et ass. BET façades ; SII, coordination informatique ; Orénoque, coordination.
Maîtrise d’œuvre d’exécution : Debray Ingénierie
Programme : 152 logements dont 44 en accession, 28 PLI, 80 PLS/PLU ; bureaux en blanc.
Surfaces : 28 200 m2 SHON : 12 432 m2 de logements, 1 096 m² shon de commerces. et 14 322 m2 de bureaux.
Entreprises : Eiffage Construction, gros-œuvre ; CPB, façades ; EGA, lots techniques ; Aubonnet & fils, finitions.
