Si la notion d'appel d'offres, et plus généralement de mise en concurrence, est encore essentiellement associée à la pratique administrativiste des contrats dits « publics » (soumis au Code de la commande publique [CCP]), son appropriation par les différents acteurs économiques en vue de conclure leurs contrats « privés » (1) ne cesse de prendre de l'ampleur. Que la démarche vise à disposer de l'offre la moins chère, à tenir compte des exigences éthiques ou environnementales, ou encore à rendre compte auprès de mécènes et contributeurs de toutes sortes (comme les associations caritatives), la mise en œuvre d'une politique d'achat comprenant des processus de mise en concurrence fait l'objet d'un fort investissement de la part des acteurs privés.
Cet entrain, qui se traduit notamment par l'augmentation des procédures s'inspirant du CCP, est décuplé par le principe de liberté contractuelle (), lequel écarte toute obligation de mise en concurrence (, publié au Bulletin), et a fortiori toute exigence formaliste dans l'établissement de la procédure de consultation.
Cette liberté n'est cependant pas sans contraintes pour les acheteurs privés, qui se doivent de respecter certains principes au risque de voir leur responsabilité engagée.
La gestion préalable des relations commerciales existantes
Avant même la mise en œuvre d'une procédure de mise en concurrence, l'acheteur doit prévenir les litiges pouvant survenir en raison de l'évolution des relations commerciales déjà établies avec d'autres prestataires (), lesquelles ne peuvent être brutalement rompues sans risquer d'engager la responsabilité de la partie y mettant fin.
En principe, un tel risque ne concerne pas les acheteurs procédant systématiquement à une mise en concurrence des prestataires ( ; voir cependant a contrario : ). En revanche, les acheteurs souhaitant initier une procédure de mise en concurrence pour la réalisation de prestations exécutées par un partenaire établi sont, eux, susceptibles de voir leur responsabilité engagée sur ce fondement ().
Préavis suffisant. Pour limiter ce risque, deux actions cumulatives peuvent être mises en œuvre. Primo, la rupture brutale d'une relation commerciale ne peut être établie lorsqu'un préavis suffisant a été respecté (). Secundo, et même si, par principe, le recours à l'appel d'offres est « exclusif de toute relation stable » (), il ne suffit pas toujours à exclure l'existence d'une relation établie. Seule l'intégration dans les stipulations du contrat conclu par l'acheteur de mentions portant sur la durée déterminée de la relation et sur la remise en concurrence périodique permet d'établir la précarité de la situation du cocontractant, et ainsi d'empêcher ce dernier d'arguer d'une rupture brutale de la relation commerciale à la fin du contrat.
Les obligations issues de la consultation
Ensuite, dès lors que la consultation peut être lancée, ce sont les termes de celle-ci qui doivent retenir l'attention de l'acheteur au risque sinon de perdre en efficacité en raison d'un nombre d'exigences trop limité (), et d'engager sa responsabilité en cas de non-respect des obligations visées.
Qualification contractuelle. Le contrat se définissant comme « la rencontre d'une offre et d'une acceptation par lesquelles les parties manifestent leur volonté de s'engager » (), la procédure d'appel d'offres se rapproche davantage de la forme contractuelle que de celle de pourparlers (), l'acheteur « offrant » la participation à la procédure, et les candidats « acceptant » les engagements visés par celle-ci. Si la distinction n'est pas aisée, le juge comme la doctrine parviennent ainsi à différencier l'invitation à des pourparlers - laquelle suppose la seule négociation des termes d'un contrat - de la mise en œuvre d'une procédure d'appel d'offres (). Cette dernière, qualifiée de « contrat préparatoire » ou d'« avant-contrat », reste donc indépendante de la prestation souhaitée à l'issue de la procédure et se caractérise par l'exécution de règles « contractuelles » édictées préalablement devant mener à la conclusion d'un contrat. Cette procédure « contractuelle » présente donc deux caractéristiques principales.
Liberté contractuelle. La première concerne la liberté d'établissement des règles de mise en concurrence. Contrairement au contrat de prestation devant être négocié avec le partenaire désigné, le « contrat » de mise en concurrence constitue une forme de contrat d'adhésion auquel les candidats sont obligés de se soumettre s'ils veulent réaliser la prestation visée. L'acheteur bénéficie ainsi d'une large liberté pour formuler les exigences qu'il souhaite (critères de sélection spécifiques, règles de présentation des offres), mais aussi pour limiter ses propres obligations, telle que l'information des candidats sur le choix réalisé ou sur les critères de sélection ().
Respect des termes du contrat. La seconde caractéristique, contrepartie à la liberté susvisée, concerne le respect des obligations prévues dans le règlement de consultation de l'appel d'offres émis. S'il est évident que les candidats se doivent de respecter ce règlement, il en est de même de l'acheteur qui est, lui aussi, soumis aux dispositions qu'il a lui-même édictées (), qu'il s'agisse des règles d'admission des offres, de délais de présentation ou de modalités d'analyse des candidats (Cass. civ. 1re, 29 mai 1963, Bull. civ. n° 287).
Plus largement, l'engagement contractuel impose aux parties de l'exécuter loyalement. A cet égard, si l'acheteur privé est classiquement responsable de la bonne exécution de la procédure qu'il a décrite (), il est aussi soumis à une obligation de bonne foi dans son exécution. Le seul respect des termes de l'appel d'offres ne suffit donc pas à respecter la procédure de mise en concurrence, l'acheteur devant a minima respecter l'égalité de traitement des candidats () et ne pas biaiser la procédure mise en place ().
Les risques d'engagement de la responsabilité de l'acheteur
Enfin, et même si le risque reste, en pratique, limité par la crainte des candidats de se voir exclure des prochaines procédures, l'acheteur privé demeure logiquement responsable de ses propres manquements et soumis au risque d'une condamnation essentiellement pécuniaire. En effet, contrairement aux procédures issues du CCP, les manquements aux règles prévues ou aux principes qui s'y attachent ne mènent que rarement à l'annulation du contrat qui en a découlé (2).
Deux types de préjudices. Reste donc l'option indemnitaire, qui vise à réparer le préjudice des candidats écartés. Ce dernier prend deux formes : d'une part, les pertes subies du fait de la participation à l'appel d'offres () et, d'autre part, la perte de chance d'obtenir le marché, même si ce second préjudice reste encore aujourd'hui limité par la nécessité d'en établir la réalité ().