Le BTP dans le brouillard de la dissolution

Logement, infrastructures ou encore transition écologique, ces enjeux majeurs sont en tête des préoccupations des acteurs de la construction, après l’ouverture surprise de la campagne législative.

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« Les chefs d’entreprises n’aiment pas le flou ». Président de la communauté d’agglomération de Blois Agglopolys (Loir-et-Cher), Christophe Degruelle considère que cet axiome s’applique autant au BTP qu’aux collectivités territoriales.

Affaires courantes

Certes, l’ambiance d’incertitude qui prévaut depuis le soir du 9 juin ne l’a pas poussé jusqu’à l’arbitrage de ses homologues de Nice et Montpellier : Christian Estrosi et Michaël Delafosse ont repoussé leur prochain conseil métropolitain « à une date ultérieure ». A Blois, la prochaine réunion de l’assemblée reste convoquée le 2 juillet. « Les compétences administratives continuent à rouler », commente le président.

La poursuite des affaires courantes des collectivités se manifeste également dans la sollicitation des établissements financiers, à en croire Laurence Leydier, directrice du crédit de l’Agence France Locale : « A date, nous n’avons pas observé de ralentissement ou d’accélération du recours à l’emprunt des collectivités, suite à l’annonce du 9 juin. Les collectivités inscrivent leurs projets, investissements et levées de fonds dans un calendrier établi qu’elles se doivent de respecter », témoigne la représentante de la banque.

Etat illisible

Néanmoins, l’inquiétude monte, dans les collectivités qui préparent le montage financier de leurs politiques. « L’Agence de l’eau a dit non à notre projet de gestion intégrée des eaux pluviales. Avant de revenir à la charge, j’attends d’en savoir plus sur les intentions des agences de l’Etat », prévient Christophe Degruelle.

Son expectative s’applique au projet communautaire de reméandrement d’un cours d’eau et d’aménagement d’une zone humide : « Ces opérations bénéficient généralement de bons financements nationaux et européens. Mais le contexte nous contraint à l’attente », soupire le président.

A l’échelle du bassin de vie, l’avancement du schéma de cohérence territoriale subit le même sort, face à une question sans réponse : quel avenir pour le Zéro artificialisation nette ? « Partout où nous avons besoin de visibilité, nous sommes condamnés à attendre le 7 juillet », s’impatiente l’élu.

Inquiétude écologique

L’inquiétude suscitée par l’éventuelle victoire de l’extrême droite prévaut sur tous les projets liés à la transition écologique, alors même que les investissements locaux de l’exercice budgétaire en cours bénéficiaient, jusqu’au 9 juin, des promesses du fonds vert incarnées par le ministre Christophe Béchu.

Adjoint à la maire d’Avignon, Sébastien Giorgis confirme les craintes que lui inspire une éventuelle victoire du Rassemblement national : « Compte tenu de leur opposition radicale aux énergies renouvelables, ce n’est pas impossible qu’ils suspendent les politiques de l’Ademe, ce qui mettrait en péril nos différents projets de transition énergétique »….

Evénements reportés

Pour compléter le tableau, Christophe Degruelle confie sa préoccupation quant à l’avenir de l’intercommunalité : « Elle n’inspire pas de forte sympathie au Rassemblement national », euphémise le président d’Agglopolys, vice-président d’Intercommunalités de France.

Peu enclines à s’épancher sur leur sidération post-dissolution, les associations d’élus expriment parfois leur désarroi par des renoncements. Annoncées de longue date pour le 12 juin à l’hôtel de ville de Paris, les assises départementales de la route devaient consacrer le retour en force des départements dans le jeu institutionnel.

Le vent semblait souffler dans leur sens à la fin mai, après la remise du rapport sur l’avenir de la décentralisation. Son auteur Eric Woerth, ancien ministre, avait consacré la « collectivité des réseaux », aujourd’hui sans voix : « Nous vous informerons de la nouvelle date ultérieurement », se contente de préciser l’Assemblée des départements de France, joignant à ce message un emoji éploré.

Soulagement des bailleurs publics

Dans l’océan de frustrations qui submerge les collectivités locales depuis le 9 juin, un îlot de soulagement émerge de leur bras immobilier actif dans le logement social : Marcel Rogemont, président la Fédération des Offices publics de l’habitat (OPH), se dit « très heureux que le projet de loi présenté comme favorisant le logement abordable ne prospère pas ».

Selon lui, seuls « les riches des classes moyennes » auraient bénéficié des efforts de l’Etat en faveur du Logement locatif intermédiaire (LLI). Marcel Rogement exprime une condamnation sans appel du texte qui venait de passer un premier filtre au Sénat, et qui aurait eu pour conséquence de « construire à grands frais du logement locatif intermédiaire (LLI) pour les ménages qui ne peuvent pas se logerdans le social, faute d’offre ».

Pour le président des OPH, « les vraies couches moyennes », en particulier les travailleurs dits essentiels comme les infirmiers, pourraient être logées dans le parc HLM. Problème : « Le logement social est taxé sur son chiffre d’affaires, c’est-à-dire ses loyers. A part la Française des Jeux, aucun secteur économique n’est dans ce cas. C’est indécent », peste Marcel Rogement, en référence à la réduction de loyer de solidarité (RLS) qui grève les recettes annuelles des bailleurs sociaux de 1,3Md€.

Impatience des Villes de France

Cette prise de position contraste avec celle de Villes de France, consternée de voir « retarder la mise en place de dispositifs nécessaires pour développer l’offre de logements ». Souvent présidents d’OPH, les maires des villes moyennes redoutent l’impact social du blocage du processus législatif : « Le bâtiment a perdu 24 700 postes entre les premiers trimestres 2023 et 2024, dont 16 200 salariés », rappelle l’association.

Villes de France regrette aussi l’occasion manquée de mettre fin à l’insécurité des propriétaires, à la faveur des dispositions anti-squat du projet de loi. Enfin, l’association d’élus s’oppose à la préférence nationale dans l’accès au logement social, promue par le Rassemblement national : « une mesure dogmatique, idéologique et donc profondément irréalisable (…). Le logement social permet de loger les plus humbles », martèlent les villes moyennes.

Rare appel au dialogue

Soulagé par la suspension du projet de loi Kasbarian, le président des OPH n’en regrette pas moins l’arrêt des délibérations parlementaires qui « allaient dans le bon sens ». Exemple : la proposition de loi du député centriste de l’Ain Romain Daubié, qui visait à soutenir les projets de transformations de bâtiments non résidentiels en logements. Déjà votée par l'Assemblée nationale, le texte devait passer en commission mixte paritaire (CMP) aux alentours du 20 juin.

L’ancien député socialiste se dit par ailleurs prêt à plancher sur la crise du logement avec le Rassemblement national si le parti devait gagner les élections des 30 juin et 7 juillet : « En tant qu’artisans du pacte républicain, dont le logement social en est une composante essentielle, nous travaillerons avec ceux que les Français auront décidé de mettre au pouvoir. » Et avertit : « Il nous faut inlassablement lutter contre toute disposition visant à financiariser le logement social, quel que soit le prochain gouvernement. »

Déstabilisations boursières

Ce ton offensif contraste avec le silence de nombreuses organisations professionnelles du BTP sollicitées par le Moniteur. En plus de l’allergie au flou, les fluctuations boursières qui frappent les majors du secteur peuvent contribuer à expliquer la difficulté à commenter à chaud la perspective d’un changement de majorité parlementaire.

Dès le 10 juin, les actions d’Eiffage et de Vinci ont plongé de 5,48 et 5,37 %. Les analystes financiers mettent ce décrochage en relation avec une promesse formulée en 2022 par le Rassemblement national : la nationalisation des autoroutes.

Enthousiasme européen

L’Union nationale des entreprises du paysage (Unep) oppose un contrepoint remarquable au No Comment. « Si le BTP est en suspens, le paysage est vigilant et confiant », proclame son directeur des affaires institutionnelles Pierre Darmet.

L’actualité européenne renforce son optimisme, exprimé sous forme interrogative après la validation du règlement sur la protection de la nature par les ministres de l’environnement de l’Union, le 17 juin à Luxembourg : « Qui aurait parié sur le vote de cette loi européenne qui vise la restauration de 20 % des zones dégradées d'ici 2030, ainsi qu'une accélération de la végétalisation des villes  ? »

Selon Pierre Darmet, l’impulsion européenne continuera à tirer les investissements publics et privés vers le paysage, grâce à la directive CSRD. Il décrit le cercle vertueux en ces termes : « Les entreprises, qui représentent 25 % des marchés du paysage, doivent prouver leur engagement écologique, en particulier dans la biodiversité ». Il ajoute cette question : « Comment l‘Etat et les collectivités peuvent-ils se financer sans montrer « patte vertes » ? »

Urgence environnementale

Certes, la période de réserve préfectorale a différé la signature, le 13 juin à Perpignan, de la charte interprofessionnelle d’engagement sur l’eau, inspirée par l’Unep et soutenue par Valhor, l’association interprofessionnelle du végétal, de la fleuristerie et du paysage. « Mais dès le matin du 10 juin, le préfet des Pyrénées orientales a pris les devants pour veiller à ce qu’une nouvelle date soit définie », souligne Pierre Darmet.

Le directeur des affaires institutionnelles met les points sur les I : « L’urgence environnementale n’attend pas. Les professionnels du paysage, acteurs concrets de l’écologie, générateurs de valeur ajoutée et d’emploi, agissent et font partie des solutions, malgré les atermoiements institutionnels ». Pierre Darmet souligne le poids économique des 250 000 acteurs de la filière, « première entreprise écologique de France ».

Solutions paysagères

Le décryptage du 9 juin inspire un ton plus didactique aux paysagistes concepteurs et aux scientifiques réunis par le collectif Paysage de l’après-pétrole : ils identifient un « risque important que le paysage soit convoqué à l’appui d’argumentaires démagogiques, dont le moment particulier que nous vivons va accentuer la fréquence et l’intensité ».

Cette entrée en matière justifie l’argumentaire de l’association contre une vision fixiste du paysage. Mais comme l’Unep, le collectif juge que le contexte rend plus urgent que jamais le recours aux professions concernées, vectrices des solutions d’avenir : « Intimement lié à la transition écologique, le paysage est une méthode qui facilite le dialogue, apaise les conflits et rend cohérentes et adaptées aux territoires les différentes politiques  publiques ».

Le SOS des RER métropolitains

Le ton pédagogique inspire une autre association, née de l’une des perspectives les plus prometteuses ouvertes aux TP par la législature interrompue le 9 juin : Objectif RER métropolitains. « La carte de France qui se dessine à l'issue du vote des élections européennes, c'est celle des catégories populaires exclues, celle des déplacements longs pour des gestes élémentaires de la vie quotidienne, celle de la dépendance à une voiture particulière qui grève une part importante des budgets », analyse l’association née au début 2023.

« D’autres voies sont possibles », selon Objectif RER métropolitains. D’où son appel à inverser la tendance de la France à deux vitesses et surtout à ne pas gâcher la chance offerte par la loi du 29 décembre dernier sur les services express régionaux métropolitains, « à l'heure où le dérèglement du climat est devenu une réalité palpable et menaçante pour les générations qui viennent ».

Ingénierie et ouverture au monde

L’enjeu environnemental vient également en tête des motifs invoqués par une figure de l’ingénierie des infrastructures et du bâtiment : « A l’heure de l’urgence climatique, à l’heure de la crise énergétique et alors que notre pays a exprimé la souffrance de profondes fractures sociales et territoriales, faisons collectivement le choix de l’espoir et du progrès », enjoint Michel Kahan, président de Syntec Ingénierie.

Ce choix, selon lui, s’oppose à celui du repli identitaire : « Ne fermons pas la porte et laissons entrer la lumière comme nous faisons rayonner l’ingénierie française partout dans le monde », supplie le représentant de l’ingénierie française du BTP.

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