La réversibilité des immeubles ne va pas de soi dans un secteur habitué à des usages à long terme, inscrits dans les autorisations (documents d'urbanisme, contraintes environnementales fixées en fonction de l'usage, etc. ) et dans les documents contractuels (titres d'occupation des locaux). Pourtant, la mutabilité des fonctionnalités du bâtiment est une réponse évidente à l'obsolescence des parcs de bureaux et à la raréfaction du foncier disponible pour les logements. Dans ce contexte d'urbanisation croissante, le besoin d'adaptabilité des bâtiments à de nouveaux usages se fait pressant et pose la question de la légitimité d'exigences réglementaires différenciées selon la destination de l'immeuble et notamment concernant les enjeux sanitaires.
À ce titre, la qualité de l’air intérieur (QAI), longtemps considérée comme une préoccupation mineure, devient un enjeu majeur dans le secteur du bâtiment. En effet, la présence dans l’air intérieur de nombreuses substances, dont certaines sont cancérogènes, associée au temps passé dans des espaces clos en font une préoccupation de santé publique. Ce temps passé est évalué en moyenne à 70 à 90 %, qu’il s’agisse du domicile, du lieu de travail, d’enseignement, des moyens de transport, etc. Ainsi, le bâtiment réversible qui répond certes à tous les enjeux de la ville de demain doit également adresser la question de l’impact sanitaire des changements d’usage du bâti, notamment en termes de qualité de l’air. En France, on estime à 19 milliards d’euros par an le coût de la mauvaise qualité de l’air intérieur. Il est donc important de mettre en œuvre des actions pour améliorer la qualité de l’air intérieur, que ce soit dans les locaux professionnels ou non.
La qualité de l'air, une réglementation précise et contraignante pour les locaux professionnels
L’aménagement des locaux de travail fait l’objet d’une réglementation précise et bien établie. En matière d’aération, le Code du travail impose que l’air soit renouvelé de façon à maintenir un état de pureté de l'atmosphère propre à préserver la santé des travailleurs et à éviter les élévations exagérées de température, les odeurs désagréables et les condensations. Pour les locaux à pollution non spécifique, dans lesquels la pollution est liée à la seule présence humaine à l'exception des locaux sanitaires, l’aération par ventilation naturelle est autorisée lorsque le volume par occupant est égal ou supérieur à 15 mètres cubes pour les bureaux et à 24 mètres cubes pour les autres locaux. Si le volume par occupant n'est pas atteint, la ventilation permanente est obligatoire, ce qui nécessite l'existence d'aménagements spécifiques pour la ventilation autres que les fenêtres, au moins pendant la période où la température extérieure oblige à maintenir les fenêtres fermées. Dans ces mêmes locaux, l'aération peut également être assurée par ventilation mécanique, le débit minimal d'air neuf à introduire par occupant est alors fixé réglementairement (25 m 3 /heure pour les bureaux).
Pour les locaux à pollution spécifique, dans lesquels des substances dangereuses ou gênantes sont émises sous forme de gaz, vapeurs, aérosols solides ou liquides, autres que celles qui sont liées à la seule présence humaine ainsi que les locaux pouvant contenir des sources de micro-organismes potentiellement pathogènes et les locaux sanitaires, les règles sont plus contraignantes. Des valeurs limites admissibles de concentration de poussières, gaz, aérosols, liquides ou vapeurs doivent être respectées pour préserver la santé et la sécurité des travailleurs. Ces valeurs concernent les poussières sans effet spécifique, c'est-à-dire les poussières qui ne sont pas en mesure de provoquer seules sur les poumons ou sur tout autre organe ou système du corps humain d'autres effets qu'un effet de surcharge. D'autres substances font l'objet de valeurs réglementaires ou indicatives à ne pas dépasser : les valeurs limites d’exposition professionnelles (VLEP).
Le maître d'ouvrage entreprenant la construction ou l'aménagement de bâtiments destinés à l'exercice d'une activité professionnelle doit ainsi respecter certaines règles pour satisfaire aux objectifs assignés par le Code du travail en matière d'aération et d'assainissement des locaux de travail. La qualité de l’air représente un enjeu de taille pour les employeurs en terme hygiène et sécurité au travail au regard du temps passé par les employés sur leur lieu de travail. Et la reconnaissance du « syndrome du bâtiment malsain » en juin 2013 par l'Institut National de Veille Sanitaire expose de plus en plus les employeurs au titre de leur obligation de préserver la santé et la sécurité de leurs salariés, a fortiori sur leur lieu de travail*.
La qualité de l'air dans les locaux non professionnels : des politiques publiques incitatives
Les logements doivent bénéficier d'un renouvellement de l'air et d'une évacuation des émanations afin que les taux de pollution de l'air intérieur du local ne constituent aucun danger pour la santé et que puissent être évitées les condensations, sauf de façon passagère. La prise de conscience collective de l’impact potentiel sur la santé d’une mauvaise qualité de l’air s’est traduite par la création, en 2001, de l’observatoire de la qualité de l’air. Il a pour but d’accroître la connaissance scientifique de l’exposition à la pollution de l’air intérieur.
Les politiques publiques françaises de soutien à l’amélioration de la qualité de l’air, initiées dans le cadre du Grenelle de l’environnement, sont de natures diverses, allant des dispositifs réglementaires concernant la surveillance de la qualité de l’air dans certaines catégories d’établissement recevant du public, à l’étiquetage, en passant par les dispositifs de recherche et de sensibilisation de nombreux acteurs. De manière générale, la politique publique concernant la qualité de l'air au sein d'un logement est plus incitative que coercitive.
Le plan d'actions sur la qualité de l'air intérieur, élaboré et publié en 2013, fait désormais partie intégrante du Plan National Santé Environnement 2015-2019 (PNSE 3) et comporte des actions visant notamment à :
- accroître la surveillance de la qualité de l’air dans les établissements recevant du public, notamment ceux abritant des personnes vulnérables. Cette obligation de surveillance, introduite par la du 12 juillet 2010 est applicable depuis le 1 er janvier 2018 pour les écoles maternelles, élémentaires et crèches ; à compter du 1 er janvier 2020 pour les accueils de loisirs et les établissements d’enseignement du second degré et du 1 er janvier 2023 pour les autres établissements recevant du public visés par le Code de l’environnement ;
- développer l’étiquetage relatif aux émissions de polluants volatils, obligatoire depuis le 1 er janvier 2012 pour les produits de construction et de décoration destinés à un usage intérieur. Sont concernés les revêtements de sol, mur ou plafond ; les cloisons et faux plafonds ; les produits d’isolation ; les portes et fenêtres et les produits destinés à la pose ou à la préparation des produits susmentionnés. Ce nouvel étiquetage est le premier en matière de santé environnementale ; il constitue un critère de sélection pour les usages des matériaux de construction et de décoration et permet de sélectionner les produits les moins nocifs pour leur environnement intérieur. Cet étiquetage obligatoire vient en complément de l’interdiction de mise sur le marché de produits de construction et de décoration émettant plus de 1 µg/m 3 en composés cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques de catégories 1 et 2, applicable depuis le 1 er janvier 2010 ;
- assurer une meilleure information du public sur les bonnes pratiques permettant d’améliorer l’air intérieur dans son logement : les meubles, par les choix de colles, peintures ou produits de traitement, peuvent être une source importante de pollution de l’air intérieur et de risque sanitaire. L’agence française de sécurité sanitaire (ANSES) a en effet mis en évidence de nombreuses substances pouvant être émises par les meubles dont certaines sont cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques, et en particulier le formaldéhyde. Un étiquetage des meubles, à l’image de l’étiquetage sanitaire des produits de construction et de décoration est envisagé à compter du 1 er janvier 2020 et de manière plus large, est préconisé le développement de l’étiquetage pour tous les produits susceptibles d’émettre des polluants dans l’air intérieur ;
- introduire de nouvelles valeurs guides pour l’air intérieur (VGAI), obligation introduite par la loi du 1 er août 2008 sur la responsabilité environnementale. Une valeur guide pour l'air intérieur définit un niveau de concentration de polluants dans l'air intérieur dans le but d'éviter, de prévenir ou de réduire les effets nocifs sur la santé humaine. Ont été fixées des valeurs-guides réglementaires pour le radon, l’amiante, le formaldéhyde , le benzène et le monoxyde de carbone. L’ANSES, depuis le début de ses travaux en 2004, a expertisé et proposé des VGAI pour une dizaine d’autres polluants de l’air intérieur. A partir des VGAI de l’Anses, le Haut conseil de la santé publique (HCSP), sur saisine du ministère chargé de la santé, formule des propositions afin d’appuyer les pouvoirs publics dans l’élaboration de valeurs repères d’aide à la gestion dans l’air des espaces clos et afin d’éclairer les gestionnaires du risque sur les niveaux de concentration à partir desquels des actions sont à entreprendre. Ainsi, pour le trichloroéthylène, le Haut Conseil de la santé publique définit une valeur repère de la qualité de l’air égale à 2 ?g/m 3 pour l’air intérieur des immeubles d’habitation ou locaux ouverts au public et recommande que soit reconsidérée la VLEP indicative, applicable aux locaux de travail, qui est de 405 mg/m 3 (Avis de l’HCSP du 6 juillet 2012). Ou encore, concernant les particules, l’HCSP recommande que « soient rapidement reconsidérées » les VLEP aux poussières inhalables et alvéolaires de l’atmosphère au travail, qui sont dans un ratio d’environ 500 par rapport aux valeurs repère pour les environnements intérieurs (Avis de l’HCSP en date du 14 juin 2013).
La réversibilité des immeubles doit tenir compte des enjeux sanitaires liés au changement d’usage, notamment en termes de qualité de l’air.
Dans un contexte de la rénovation des bâtiments existants et de construction de bâtiments basse consommation, il est indispensable de tenir compte, lors de la réhabilitation ou de la conception des enjeux de qualité d’air intérieur.
À l’initiative de l’agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), une méthode de management de la qualité de l’air lors de la construction ou de la rénovation d’un bâtiment a été élaborée, le MANAG’R , afin de définir un cadre de référence commun à l’ensemble des métiers de la construction. Le déploiement de la méthode vise à replacer la santé au cœur de l’acte de construire et à décloisonner l’aspect efficacité énergétique et celui de la qualité de l’air intérieur. Elle apporte aux maîtres d’ouvrage, aux maîtres d’œuvre et aux entreprises de mise en œuvre des outils d’aides à la décision et de contrôle, pour limiter durablement les émissions de polluants à la source.
En neuf comme en rénovation, l’obtention d’une bonne qualité d’air nécessite par ailleurs de limiter les émissions de polluants dans les locaux par le choix de matériaux, d’équipements ou de produits à faible impact sur la qualité de l’air, et dans le même temps d’informer les occupants sur les usages et les comportements idoines (aération, stockage de produits, utilisation d’appareils à combustion, etc.).
L’intégration de ces données et l’anticipation des évolutions réglementaires (prise en compte des valeurs guides à venir par exemple) permettrait par ailleurs de faciliter la réversibilité des immeubles. Au vu des évolutions en cours, il revient aux maîtres d’ouvrage d’anticiper l’émergence de nouvelles normes de construction pour un bâtiment sain.
Si la France fait figure de bonne élève en matière de qualité de l’air dans les bâtiments avec le PNSE 3 marquant une volonté forte de poursuite des actions réglementaires, incitatives ou de communication, la Cour des comptes européenne, considère, dans son rapport spécial – Pollution de l’air : notre santé n’est toujours pas suffisamment protégée — du 11 septembre 2018, que les actions engagée par l'UE pour protéger la santé humaine contre la pollution atmosphérique au sens large sont insuffisantes et propose près de 20 recommandations pour renforcer les dispositions de la directive sur la qualité de l'air.