La mise en œuvre opérationnelle du changement d'usage d'un immeuble réversible, entre utopie et réalité

À l'ère de la transition énergétique et écologique des territoires au service d'une trajectoire vers la neutralité carbone à l'horizon 2050, la réutilisation des sites plutôt que leur démolition-reconstruction est une alternative légitime et récurrente. C'est notamment le cas à Paris, où la carence en logements nécessite d'envisager une transformation de bâtiments de bureaux, alors même qu'il y a plusieurs décennies, le processus inverse était de mise. Le bilan environnemental intuitivement favorable vis-à-vis d'une opération de démolition-reconstruction, voire de construction neuve n'est pas simple à établir. S'ajoute à cela une problématique simple : tout bâtiment est-il réellement réversible ?

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L'Atelier parisien d'urbanisme (Apur) indique dans son rapport de janvier 2014 intitulé « La transformation de bureaux en logements à Paris de 2001 à 2012 » que, durant cette période, une centaine d'opérations de ce type ont été réalisées chaque année.

Depuis, plusieurs maîtres d'ouvrage comme la Régie immobilière de la Ville de Paris (RIVP) ou Élogie-Siemp, ont entrepris des opérations de restructuration de grande ampleur :

- ELOGIE-SIEMP a missionné l'équipe De Jean & Marin-Alterea-Gamba pour réhabiliter et transformer un immeuble de bureaux (les anciens locaux de la direction du patrimoine de la Ville de Paris) sis quai de la Rapée (Paris 12), en logements sociaux, commerces et locaux de la direction de la propreté et de l'eau de la Ville de Paris ;

- La RIVP travaille avec l'équipe FBAA-H2O-Alterea pour restructurer en logements les bâtiments sis rue Saint-Dominique (Paris 7), constituant l'îlot Saint-Germain, ancien site du ministère de la Défense.

Un bilan environnemental positif

Le premier impact d'une opération de restructuration consiste naturellement en la possibilité de conserver et de valoriser le patrimoine bâti.

Par ailleurs, les analyses de cycle de vie réalisées pour ce type de projet, malgré la difficulté de définir des hypothèses robustes sur l'ensemble des matériaux, démontrent une économie d'émission de tonnes de carbone du simple au double lorsqu'une opération est restructurée par rapport à une opération de déconstruction-reconstruction. Concrètement, cela permet de réemployer sur place certains matériaux lorsque leur état le permet et que les conditions sont remplies pour pouvoir assurer le projet. Par exemple, les dalles sur plot peuvent être déposées, nettoyées, remises en place ; les anciennes portes de bureaux remplissent le rôle des portes de caves privatives ; les appuis de fenêtre en pierre deviennent des revêtements muraux de qualité pour les locaux poubelles ; les pierres de façade sont déposées, nettoyées, puis reposées en façade en lieu et place des pierres cassées.

Ces interventions peuvent toutefois s'avérer complexes d'un point de vue assurantiel et, en l'état du marché, si elles ne permettent pas de réaliser d'importantes économies financières, elles permettent de valoriser les pistes d'économie circulaire grâce à du réemploi in situ et méritent d'être systématiquement étudiées.

En tout état de cause, il est bon d'avoir en tête que l'empreinte carbone d'une opération neuve se répartit globalement en trois tiers équivalents : l'empreinte du gros œuvre, celle du second œuvre et celle des lots techniques.

Maîtriser la structure du site : impératif n°1

L'un des points-clés indispensables pour réaliser une opération de transformation est de maîtriser la structure du site afin que celle-ci puisse soutenir la future charge d'exploitation. Ainsi, la transformation de bureaux en logements, avec une diminution des charges d'exploitation, présente moins de difficulté qu'une réversibilité inverse. Pour autant, mener une campagne de sondages le plus en amont possible du projet est indispensable. Il est nécessaire de réaliser des sondages sur les planchers, les murs, au niveau des liaisons de dalles, pour identifier les charges récupérables, ainsi que de vérifier les fondations.

L'évolution de l'usage implique également la création d'éléments nouveaux, tels les ascenseurs, et induit la nécessité de réaliser des études géotechniques pour dimensionner les nouvelles fondations associées. Malgré l'allègement des charges d'exploitation, des renforcements structurels peuvent s'avérer nécessaires. Il peut arriver que la réglementation laisse place à des interprétations divergentes, ce qui induit parfois des situations où le bureau de contrôle peut avoir des positions plus contraignantes que le bureau d'études (tenir compte de la flèche entre le plancher initial et le plancher équilibré par exemple). L'ajout de poutres métalliques peut alors s'avérer indispensable pour les planchers de grandes portées et problématique en cas de hauteur existante insuffisante. Sur les opérations citées précédemment, les renforcements réalisés n'ont pas été contraints par une hauteur sous plafond trop faible, fort heureusement.

Malgré l'ensemble des sondages, des surprises peuvent toujours arriver pendant le chantier, telle la découverte d'une cavité importante provoquée par l'érosion liée à la proximité de la Seine qui nécessite un comblement au béton difficilement anticipable dans le bilan environnemental…

En fin de compte, les travaux de reprises structurelles peuvent représenter entre 20 % et 25 % du montant total de l'opération. De fait, les bâtiments du début du XXe siècle présentant des murs de refends en leur centre sont plus délicats à traiter en termes de réversibilité que des bâtiments des années 1960 constitués de structures poteau-poutre avec façade porteuse.

En tout état de cause, une vigilance constante doit permettre d'éviter la création de nouvelles pathologies qui pourraient être induites par le projet d'évolution du bâtiment.

Déplombage et désamiantage : des contraintes à ne pas minorer

La deuxième contrainte technique fondamentale en restructuration lourde, dont le poids financier varie sur ces opérations de 3 % à 5 % du montant total des travaux, est l'opération préalable de déplombage et désamiantage. Non seulement les opérations de curage doivent être réalisées en amont des travaux, mais, sur l'une des opérations, la caisse régionale d'assurance maladie d'Île-de-France (Cramif) a décelé que le déplombage en phase curage avait été insuffisant, ce qui a induit la nécessité de recourir à une nouvelle campagne de tests et à un nouveau déplombage avant les travaux. De plus, le plomb s'était immiscé dans les planchers qu'il a fallu également déplomber.

L'acoustique, autre contrainte, est étroitement liée à la structure. Selon l'usage, une confidentialité particulière peut être à respecter : les sondages structure sont alors particulièrement importants pour adapter les prescriptions acoustiques permettant un aménagement présentant un confort acceptable. En l'occurrence, le percement des hourdis briques pour mettre en place les faux plafonds acoustiques est délicat.

Enfin, l'alimentation en fluides des sites est un sujet à part entière, et il peut s'avérer délicat de raisonner en anticipant des réversibilités futures. Ainsi, la dépose de tous les équipements fluides spécifiques, tels des groupes électrogènes dédiés aux précédents usages du ministère, ne peut être évitée. Parfois, la réutilisation des sous-stations CPCU existantes, en cas de puissance adaptée, peut être opportune mais cela n'est pas toujours réalisable. Il est à noter que la création de sous-stations CPCU peut permettre d'anticiper la prochaine réversibilité.

Toutefois des équipements très spécifiques, tels les systèmes de sécurité incendie ou de ventilation, sont tellement différents d'un usage à l'autre, que les installations sont à refondre totalement. La réversibilité future n'est d'ailleurs pas acquise puisque, dans le cas d'un passage de ventilation naturelle à une ventilation mécanique ou dans le cas d'une évolution de ventilation mécanique adaptée à un usage de logement vers une ventilation mécanique adaptée à un usage de bureaux, les futures gaines pourraient être trop importantes pour une hauteur sous plafond donnée.

Des choix induits par les certifications environnementales

De la même manière, le choix des émetteurs de chaleur (planchers chauffants), induit ici par la certification environnementale exigeant une part de murs libres pour le stockage des locataires, peut être incompatible avec une future réversibilité… Quant à l'électricité, il faut tout déposer et tout refaire à neuf. Il peut s'agir des équipements de câblage comme des équipements lourds : le ministère disposait d'un local transformateur dédié non récupérable qui a dû être remplacé par deux nouveaux locaux transformateurs. Cela a provoqué des contraintes structurelles spécifiques mais également la nécessité de rendre ces locaux accessibles, alors même qu'il était interdit de modifier la façade sur rue (servitude, contrôle d'accès, etc). En tout cas, l'expérience montre que tous les concessionnaires sont impactés par un programme de réversibilité. Anticiper la prise de contact dès la phase de diagnostic, ainsi que garder trace des échanges avec les interlocuteurs, est vital pour la bonne marche de l'opération.

La façade un élément à ne pas négliger

À l'opposé d'un projet neuf, d'autant plus sur un patrimoine protégé, les façades sont des éléments fondateurs du projet d'aménagement intérieur. Le travail sur plan pour créer les logements, obtenir le bon clair de vitrage, aménager et faire plomber les salles d'eau prend nécessairement ancrage sur cette façade existante, parfois emblématique. Ainsi, les façades peuvent être à l'origine de compromis nécessaires sur le nombre de logements et les typologies initialement envisagés en phase programmatique par le maître d'ouvrage.

Sur des bâtiments moins en vue, il est possible de créer des portes-fenêtres en taillant le béton là où l'on souhaite en installer, ou encore de boucher certaines ouvertures pour retravailler le rythme de la façade. Il peut également être envisagé la création d'exo-structures et de balcons induisant alors une refondation de poteaux béton pour les créer lorsqu'il est impossible de venir se fixer sur les dalles existantes. Mais cela peut aller avec de nouvelles surprises, telle la découverte de poutres retroussées sur une autre opération.

Cela étant, l'existant peut s'avérer être l'occasion d'identifier un potentiel de réadaptation de l'usage. En l'occurrence, l'architecte peut tirer parti de l'architecture actuelle pour optimiser son projet : sur l'Îlot Saint-Germain, FBAA a ainsi pu créer des logements complémentaires grâce à une surélévation rendue possible par la configuration existante.

Par ailleurs, l'impossibilité de mettre en place certains ascenseurs peut parfois induire la nécessité de limiter le nombre de logements « personne à mobilité réduite » (PMR) prévus, même si tous les logements peuvent être conçus comme étant adaptables PMR.

Enfin, au-delà des contraintes techniques structurelles, acoustiques, sécurité incendie viennent s'ajouter des contraintes juridiques notamment liées aux modifications de servitude qui découlent du projet de réversibilité.

Le traitement juridique du changement d'usage

Deux types de servitudes sont à distinguer. Les servitudes liées à l'insertion de commerces et de bureaux dans des bâtiments de logements, sans lien direct avec une opération de réversibilité en tant que telle, sont à traiter. Mais le changement d'usage vient également modifier les servitudes de passage avec les voisins, comme la création de voies échelles pour les pompiers. Ces éléments devraient être traités au moment de la cession du terrain au moyen du document relatif aux servitudes. Cela étant, force est de constater que tout ne peut être géré au moment de la vente, car des précisions sont apportées au moment de la conception du projet et notamment au moment du diagnostic. En effet, le document de servitudes permet par exemple d'expliquer quel réseau alimente quels volumes ou lots, mais il est difficile de maîtriser l'exhaustivité des installations techniques existantes avant la réalisation du diagnostic du maître d'œuvre, qui permet de découvrir, contre toute attente, mais surtout de préciser des passages de réseaux électriques des voisins sur le site.

En synthèse, il est vrai qu'une opération de réversibilité amplifie les surprises que peut présenter une réhabilitation simple. Cela étant, en anticipant les contraintes évoquées ci-dessus dès les premières phases du projet, l'opération sera réussie et réellement efficace.

Il est également vrai que la réversibilité restera probablement partielle, dans le sens où il est quasi utopique de pouvoir rendre 100 % réversible un bâtiment, ne serait-ce que par l'inadéquation des équipements techniques eux-mêmes ou par des impossibilités techniques engendrées par la réalité du site. Pourtant, de futurs logements en plein cœur de Paris, accessibles, présentant toutes les commodités que ne peut présenter une future nouvelle zone d'aménagement concerté (ZAC), des logements aux standards du neuf pour 150 000 euros hors taxes de travaux, un bilan environnemental intéressant sont autant d'éléments qui compensent les difficultés opérationnelles liées à des projets de réversibilité. De fait, tout patrimoine devrait faire l'objet d'une étude de faisabilité technique, environnementale et économique permettant d'identifier le potentiel de réversibilité du site, car le bilan devrait s'avérer souvent intéressant !

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