La crise du logement, une crise structurelle et multifactorielle

Il est maintenant admis par tous que le logement traverse une crise sérieuse dont la sortie sera sans doute progressive et plus tardive que la seule amélioration de facteurs conjoncturels. La hausse brutale des taux d'intérêt a été un marqueur commode pour justifier la décroissance rapide de la production et de la commercialisation de logements neufs indispensables à la régulation de l'ensemble du marché. C'est en réalité un facteur déclenchant et aggravant d'une crise bien plus profonde qui germait depuis pas mal de temps, se nourrissant de la superposition de facteurs structurels qu'une amélioration de la conjoncture économique aura bien du mal à effacer.

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Les crises majeures précédentes ont été révélatrices d'un certain manque de maturité des marchés et de la tentation des banques d'accompagner des réussites trop rapides. Tout d'abord, celle des marchands de biens dans les années 1990 qui pouvaient se revendre plusieurs fois la même promesse de vente en une seule journée entraînant l'éclatement d'une bulle principalement parisienne. Mais aussi, celle d'une crise d'endettement immobilier des ménages américains et du financement international anarchique de fonds spéculatifs en 2007-2008. Un tout qui amènera les banques à réduire drastiquement l'accès au crédit.

Le contexte actuel est très différent. Le marché est beaucoup plus mature et bien régulé avec peu de stocks de logements invendus. Dès lors, quels sont les facteurs dont l'agrégation conduit au blocage violent du marché ?

L'offre et la demande, un rendez-vous contrarié

Depuis plus de vingt ans, et plus particulièrement ces dernières années, le marché immobilier français a subi les conséquences cumulatives liées à des facteurs par nature différents, mais dont la consolidation se fait sur le temps long. Ce, tant au niveau de l'offre que de la demande, de par :

- l'augmentation rapide des coûts du foncier dans les zones tendues - la rareté entraînant les surenchères d'opérateurs soucieux de préserver leur développement ;

- l'augmentation très rapide des coûts de construction du fait d'une industrie peu structurée en dehors du gros œuvre et de prétextes multiples comme la réponse à des réglementations nouvelles permanentes, parfois exagérées et peu anticipées, ainsi que la volonté de s'inscrire dans des modes constructifs plus vertueux ;

- les exigences parfois très excessives d'élus bien intentionnés (ou malthusiens) à travers des chartes promoteurs dont la plupart des critères sont inflationnistes ;

- le refus d'appliquer les possibilités offertes par le Plan Local d'Urbanisme (PLU) en exigeant la limitation des hauteurs ou des surfaces au sol pour certains élus ;

- la suppression de la taxe d'habitation qui vient priver les communes de recettes indispensables pour réaliser les équipements accompagnant les nouveaux logements et pousse à minimiser les autorisations nouvelles ;

- le zéro artificialisation nette (ZAN) des sols à venir.

Tous ces facteurs ont une incidence directe sur un coût de production accentué par la rareté de l'offre et la longueur souvent déraisonnable des délais de montage et de production. Selon les territoires, les prix de l'immobilier ont augmenté de 1,6 à 3 fois plus vite que les revenus en vingt-deux ans. Preuve que la crise actuelle est avant tout une crise de solvabilité des ménages !

Les taux d'intérêt pas seuls en cause

La baisse historique des taux d'intérêt pour les crédits immobiliers jusqu'à un taux assez symbolique autour de 1 % a eu pour principal effet de stimuler la demande. Principalement celle des investisseurs individuels et des primo-accédants qui, en effaçant en partie la forte inflation des coûts de leur plan d'investissement, profitaient de mensualités de remboursement de crédit supportables. Des phénomènes conjoncturels majeurs sont toutefois venus perturber cet équilibre fragile.

S'il était prévisible que ce non-sens économique de taux parfois négatifs ne pourrait durer indéfiniment, il n'était pas possible de prévoir la temporalité d'une augmentation très brutale causée par la crise sanitaire mondiale due à la COVID-19 et, dans la foulée, les bouleversements économiques engendrés par la guerre en Ukraine. Le taux moyen observé pour un crédit immobilier sur vingt ans est passé de 1 % en janvier 2022 à 4,3 % en décembre 2023. En ajoutant à cela une crise erratique des approvisionnements pour un certain nombre des matériaux indispensables à la construction tels que le bois, l'acier ou le cuivre, mais aussi le renchérissement des coûts de transport et la brutale flambée des prix de l'énergie, l'industrie immobilière se retrouve confrontée à une crise multifactorielle aux conséquences fortement inflationnistes. Alors même que l'ensemble des surcoûts ne peut pas être intégralement répercuté sur le prix final d'un logement que les acquéreurs ne peuvent plus financer.

Aide à l'acquisition : l'État se désengage

Dans ce contexte particulièrement difficile, le gouvernement a décidé de réduire l'accès au Prêt à Taux Zéro (PTZ) en supprimant la possibilité pour les acquéreurs de maisons individuelles neuves d'en profiter - même si le PTZ devrait profiter davantage aux candidats à l'accession de logements collectifs. Autre décision, celle de mettre définitivement un terme, fin 2024, au dispositif Pinel qui permettait de vendre environ 50 % de la production des nouveaux logements collectifs à des investisseurs individuels. Ce dispositif est accusé, sans beaucoup d'éléments probants, d'être la cause de tous les maux, de l'inflation aux malfaçons… Le tout, en oubliant les recettes fiscales générées et le rôle essentiel de ce mécanisme fiscal, comme de ceux qui l'ont précédé, pour créer une offre substantielle de logements locatifs alors que les investisseurs institutionnels ont largement abandonné le logement - classe d'actifs peu rentable et trop taxée.

Le retrait de mesures jugées coûteuses sans aucune proposition alternative, ainsi que l'absence d'affichage d'une volonté politique en faveur du logement après l'échec d'un Conseil national de la refondation (CNR) qui a montré les limites de la concertation quand il n'y a pas de stratégie, laisse l'ensemble des acteurs de la filière logement, mais surtout tous ceux qui ont besoin d'un logement nouveau, dans une situation très inconfortable, sans équivalent dans l'histoire récente et avec des effets très négatifs qui seront ressentis pendant quelques années au moins.

Demain, une grave pénurie de logements

Si un chiffre précis des logements manquants est difficile à établir, un consensus existe autour de 400 000 à 450 000 logements neufs indispensables chaque année pour loger les nouveaux foyers, et répondre aux besoins insatisfaits ainsi qu'à la destruction nécessaire de logements non réhabilitables. Ce chiffre ne pourra être que très marginalement réduit par la mobilisation de logements vacants ou la limitation des locations meublées touristiques.

Les livraisons 2023 seront en retrait d'environ 30 % sur des chiffres déjà largement insuffisants. Quant à la suite sur les deux prochaines années (au moins), elle s'annonce encore pire ! Les transactions dans l'ancien, en baisse de 18 % d'après les notaires, ne peuvent, malgré un niveau qui reste assez élevé, satisfaire la demande nette de logements. Bien sûr, les besoins sont très variables selon les territoires et aucun chiffrage sérieux n'est aujourd'hui disponible. Le plus inquiétant reste évidemment le déficit considérable frappant les logements sociaux avec des bailleurs étranglés entre la hausse des taux d'intérêt et des coûts de construction, les ponctions de l'État avec la réduction du loyer de solidarité (RLS), l'obligation d'engager leurs fonds propres dans la rénovation accélérée du parc, et le peu de propositions en vente en l'état futur d'achèvement (VEFA) du fait de la baisse massive de la production par les promoteurs, qui affectera tout le marché ces prochaines années.

Des causes multiples nécessitent des solutions nouvelles

Une baisse attendue des taux d'intérêt en 2024 sera très probablement progressive, mais sans revenir au niveau de 2021. Ce ballon d'oxygène permettra à quelques milliers de candidats à l'accession de redevenir finançables, à la condition expresse que les prix proposés ne progressent plus. Dans le neuf en revanche, il n'est pas vraisemblable d'envisager une baisse des prix compte tenu de la contrainte des coûts de construction que personne n'imagine voir diminuer à moyen terme. Les foyers dont la demande de logements est la plus criante (primo-accédants, nouveaux foyers, demandeurs de logements sociaux) seront les principales victimes d'un marché dont les prix ne peuvent significativement baisser du fait des coûts de production qui ne se régulent pas et n'apportent pas une offre suffisante, tant pour l'accession que pour la location. Par ailleurs, une action visant à limiter les coûts du foncier serait très délicate à mettre en place et ne pourrait concerner que les zones tendues. La cause ? Dans la grande majorité des villes françaises, le poids du foncier, très réduit, ne constitue pas un frein significatif.

Partant de là, il va bien falloir imaginer des solutions nouvelles, sans doute variées et adaptées aux situations territoriales. Une amélioration conjoncturelle ne pouvant résoudre une crise structurelle dépendante de facteurs multiples et de situations régionales disparates.

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