La position du second est toujours un peu cruelle. Dans la série des cinq Unités d’habitation de Le Corbusier, Marseille, première construite et première inaugurée le 14 octobre 1952, a raflé toute la notoriété. Tandis qu’elle était critiquée, rebaptisée « Maison du fada », citée et publiée à répétition, sa petite sœur achevée en 1955 à Rezé, dans la proche banlieue de Nantes (Loire-Atlantique), est plus méconnue. Et elle n’était pas non plus dans la sélection de bâtiments - laquelle a privilégié les prototypes - qui a postulé pour être élevée par l’Unesco au rang de Patrimoine de l’humanité. Pourtant, la « Maison radieuse » de Rezé n’a pas démérité. Visitée chaque année par cinq à sept mille personnes (ce chiffre n’inclut pas les admirateurs individuels), elle est passionnante tant pour sa variante structurelle que pour le modèle social qu’elle a généré.
Appartements traversants en duplex
Ses différences, l’immeuble les doit à son mode de gestion initial. Alors que, à Marseille, tout avait été permis par les crédits d’Etat, Rezé, construite pour le compte d’une société coopérative de logement, a ramené le concept d’Unité d’habitation au principe de réalité. Les contraintes économiques ont obligé à supprimer certains dispositifs - l’hôtel, la rue commerçante - et à voir un peu plus petit. Pour 52 m de haut, la Maison radieuse fait 19 m de large, contre 24 m pour la Maison du fada. Le célèbre système constructif de cette dernière, dit en « casier à bouteille », a été abandonné. Rezé « relève du château de cartes avec son assemblage de voiles de béton verticaux et horizontaux », explique l’historien d’art Gilles Ragot. Le souci de qualité est cependant demeuré : la majorité des 294 appartements, organisés sur 17 étages autour de 6 rues intérieures, sont en duplex et traversants. Et avec ses grands pilotis et ses loggias multicolores, l’immeuble cultive la même allure imposante que son aînée méridionale.
Ecole maternelle sur le toit
De plus, le bâtiment maintenant classé Monument historique, « a été bien construit et a depuis bénéficié d’un entretien convenable », note l’Architecte des bâtiments de France Etienne Bartczak. En 1997-1998, les claustras en béton préfabriqués, qui présentaient des éclatements, ont tous été remplacés tandis que les menuiseries ont été restaurées lors de la décennie suivante. Aujourd’hui, parmi les quelques chantiers à mener, il faut imaginer une solution pour installer des portes coupe-feu qui ne nuisent pas à l’aspect des rues intérieures.
La vie quotidienne, aussi, paraît conforme à ce qu’avait imaginé Le Corbusier. Martine Vittu, qui habite la Maison radieuse depuis ses neuf ans (en 1956), est la présidente de la Fédération européenne des associations d’habitants des Unités d’habitation. Elle rappelle que des dispositifs comme le hall d’accès unique ou l’école maternelle sur le toit devaient permettre un équilibre entre l’individuel et le collectif. « Il s’est instauré ici mieux qu’ailleurs. Et la vie associative et le lien social existent toujours », reconnaît la présidente. De plus, la « communauté corbuséenne » de Rezé, estimée à 800 âmes environ, présente une mixité sociale certaine.
Une fois le système coopératif supprimé par obligation légale, les appartements ont en effet été répartis entre propriétaires individuels et un bailleur social, qui gère encore à ce jour 52 % des logements. « Nous sommes mélangés dans l’immeuble, à la différence de Firminy où les logements sociaux sont regroupés, relève Martine Vittu. D’ailleurs, il y a quelques années, quand le bailleur social a mis des plaques sur la porte de ses locataires, nous les avons fait enlever. »







