Dans les années 60, l’espace public a été envahi par l’automobile au détriment du cadre urbain et du confort des usagers. Mais les problèmes de pollution et de circulation sont devenus tels que les villes repensent aujourd’hui leur réseau de transport en favorisant les modes de déplacement doux. « D’un lieu de passage privilégiant l’automobile, la rue doit maintenant devenir un lieu de vie à part entière. Une réelle évolution des mentalités est en cours pour que la voiture ne soit plus toute puissante », remarque Daniel Janssens, vice-président de Lille Métropole.
La question d’un meilleur partage de l’espace public devient essentielle. Parce que c’est un élément incontournable de la requalification des villes mais aussi un vecteur d’image et d’amélioration du cadre de vie, l’impact auprès des habitants est de taille. « Les principes que nous mettons en place visent à prendre en compte toutes les diversités de culture, d’usage et d’attentes de la population. Il s’agit de rechercher au-delà des réponses fonctionnelles, le confort, le beau, la rencontre, l’art, la mixité, le sens », explique Jean-Louis Azéma, directeur du service espaces publics à la communauté urbaine de Lyon. L’espace public tend donc aujourd’hui à renouer avec sa vocation initiale, celle de la sociabilité. Cette recherche se traduit notamment par l’installation de nouveaux types de mobilier visant à favoriser la convivialité mais aussi par un éclairage public mieux maîtrisé.
Eclairer mieux mais pas plus. Longtemps envisagée dans une approche technicienne, sécuritaire et commerçante, la lumière permet aussi de modifier la perception d’un espace. « En matière d’éclairage, précise l’architecte-urbaniste Dominique Gautier, il n’y a pas de normes mais des recommandations fixant des minimums fonctionnels et sécuritaires qui ne sont pas forcément qualitatifs. Il est possible d’éclairer mieux sans éclairer plus : avec une lumière plus proche du piéton, en recalibrant la hauteur des mâts ou avec l’utilisation de sols réfléchissant pour diminuer la consommation ».L’éclairagiste Laurent Fachard qui a notamment participé au plan Lumière de Lyon, déplore quant à lui la seule « vision diurne de la ville » et s’interroge : « Pourquoi ne pourrait-on plus se balader la nuit ? Les collectivités sont souvent en retard sur la demande des citadins. »
Mieux connaître les usages. Déterminer les besoins et les usages potentiels de l’espace public, lieu de mixité par excellence, concentre toutes les difficultés. La communauté urbaine de Lille organise des « rencontres de l’espace public » où sociologues et philosophes sont invités afin d’envisager l’espace public autrement que sous son aspect purement technique. Ces concertations se font de plus en plus nombreuses. « Organisés en amont, explique Dominique Gautier, les ateliers constituent un outil qui nous permet de connaître des usages qu’on ignorait ou des cheminements insoupçonnés. Pour les usagers, c’est une façon de s’approprier le projet. »
Pour Annick Bayle, architecte-urbaniste, « la rue n’est plus simplement fonctionnelle. Les scénographes ont de plus en plus un rôle à jouer dans la programmation de l’espace public avec la montée en puissance de l’événementiel dans ce domaine. » Pour ne pas figer les situations, l’heure est la flexibilité. Au-delà de la traditionnelle place du marché, la flexibilité s’étend jusqu’à la voirie et apparaît comme un enjeu majeur. « Il est important de calibrer une chaussée de façon à ce qu’elle puisse évoluer dans le temps. Il faut vraiment raisonner en termes d’usages potentiels », expliquent Bernard Althabegoïty et Annick Bayle.
L’aménagement réalisé en 2004 par l’architecte-urbaniste Pierre Gangnet pour la rue Faidherbe à Lille est significatif de cette nouvelle tendance. « Par sa géométrie variable, cet aménagement constitue une approche renouvelée de l’espace public, commente Catherine Martos, directrice d’études à l’agence de développement et d’urbanisme de Lille Métropole. Il illustre de façon exemplaire la volonté politique, inscrite dans le plan de déplacements urbains, d’un meilleur partage de la rue au profit des circulations douces. » Les trottoirs généreux de 9 m de largeur sont surélevés de seulement 2 cm pour une transition en douceur avec la chaussée. Le mobilier y est amovible et les bancs disposés à la perpendiculaire. Non sans rappeler le concept de la Rambla de Barcelone, le projet met ainsi l’accent sur la valeur d’usage et offre un espace praticable par tous.
Rendre la ville accessible. Parce qu’il est par essence le lieu même de la mixité, l’espace public se doit d’être accessible à tous. Plutôt qu’une contrainte, il est possible d’envisager différemment cette exigence afin de mieux l’intégrer au projet dès la conception. « L’accessibilité de la ville aux personnes à mobilité réduite va de toute façon dans le sens d’une meilleure praticabilité et d’un confort accru pour tous », rappelle Dominique Gautier. « Une personne à mobilité réduite n’est pas nécessairement en fauteuil. C’est aussi la personne âgée qui a du mal à se relever ou un enfant qui a du mal à s’orienter », précise Patrick Borderie, responsable des aménagements urbains à la direction tramway de la communauté d’agglomération de Nice.
Lutter contre la profusion de mobilier urbain. Longtemps considéré comme obsolète, le tramway est aujourd’hui le moyen de transport collectif privilégié par la plupart des villes françaises. Face à la profusion des projets, « la demande de personnalisation se retrouve presque systématiquement dans chaque appel d’offres », constate Xavier Allard, directeur du département design chez Alstom Transport.
Générateur d’aménagements, la création d’un tramway sous-tend la question du mobilier urbain, lui aussi envisagé comme un vecteur de personnalisation. « Un des problèmes majeurs, c’est l’accumulation des objets dans l’espace public, regrette Bernard Althabegoïty. Avec le temps, on rajoute des éléments sans jamais en enlever. On assiste parfois à un remplissage, voire à une cacophonie qu’il faut questionner. Qu’est-ce qui est nécessaire et qu’est-ce qui est superflu ? ». Une solution consiste à « associer le plus souvent possible les équipements ou utiliser des supports existants pour alléger le mobilier », souligne Patrick Borderie. Pas toujours évident au regard de la multiplicité des intervenants et des compétences qui rendent la conception de l’espace public de plus en plus complexe. « Il faut faire évoluer les méthodes en amont et consacrer beaucoup de temps à la programmation ; c’est un point extrêmement important, souligne Catherine Martos. Et c’est un rôle qui appartient au maître d’ouvrage. »



