La tâche de l’acheteur public s’alourdit constamment : il doit respecter les impératifs dictés par le Code des marchés publics, ainsi que par la jurisprudence nationale et communautaire, tout en étant contraint par des budgets serrés, et dans le même temps, manier les clauses sociales avec brio, atteindre les objectifs du Grenelle de l’environnement et devenir un pro de l’achat innovant. Comment, dans ces conditions, être un acheteur responsable ? C’est la question délicate, posée lors de la deuxième édition des Rencontres de l’achat public organisées par le Groupe Moniteur et achatpublic.info, le 13 juin à Paris.
Jusqu’ici, il n’était pas simple d’utiliser des critères environnementaux ou sociaux pour déterminer l’offre économiquement la plus avantageuse, dans la mesure où ceux-ci devaient être strictement liés à l’objet du marché. Un revirement de jurisprudence vient d’intervenir en la matière et ouvre ainsi une porte aux acheteurs publics. « Le lien avec l’objet du marché ne s’apprécie plus au regard de la nature du besoin visé par celui-ci », explique Franck Lepron, avocat associé chez UGGC, « mais en considération de l’objet et du périmètre du critère, lequel doit nécessairement se rapporter aux conditions d’exécution des prestations, être précisément défini et ne pas être discriminatoire ». Peuvent désormais être plus largement admis les critères « bilan carbone » (voir notre article pour en savoir plus) et « » (pour en savoir plus, voir notre article), pour sélectionner des entreprises sur la base de fondements environnementaux et sociaux. Ainsi l’état du droit a sensiblement été modifié au cours de ce premier trimestre 2013. « Les acheteurs publics vont pouvoir utiliser l’instrument que constitue la commande publique, comme un levier pour poursuivre des objectifs de politique économique qui dépassent la simple satisfaction immédiate de leurs besoins : je pense notamment à la lutte contre le chômage, au développement durable, à la protection de l’environnement, à l’aide à l’insertion des publics en difficultés, etc. », note l’avocat.
Gare à la pondération de la clause sociale
La souplesse offerte par la jurisprudence n’a pas supprimé pour autant toutes les questions pratiques que peuvent se poser les acheteurs, quant à la prise en compte de l‘insertion dans les marchés publics. Et notamment celle de savoir comment pondérer le critère social. Pour Nicolas Boulouis, conseiller d’Etat, « il convient d’être prudent quant à la pondération du critère d’insertion professionnelle des publics en difficulté : un taux de 15 % me parait être un seuil intéressant ». « On pourrait imaginer fixer un taux plus élevé, mais tout dépend du montant, de la durée du marché et de son objet », précise-t-il.
Autre point à surveiller, le suivi des engagements pris lors de la conclusion du marché. Ce pour plusieurs raisons. Pour respecter les conditions de la mise en concurrence initiale, et ainsi respecter l’égalité des candidats. Mais aussi pour faire en sorte qu’à terme, les emplois soient pérennisés, quelle que soit la structure concernée, entreprise ou structure d’insertion par l’activité économique (SIAE). Accoler un critère d’attribution au critère d’exécution, la fameuse combinaison « articles 14 + 53 » du Code des marchés publics, est l’outil adéquat pour penser la démarche d’insertion en amont de la réponse au marché tout en s’assurant du suivi au moment de l’exécution du marché.
Les bonnes pratiques du développement durable
Pour poursuivre les objectifs de développement économique, social et environnemental, l’acheteur public doit avoir à l’esprit l’ensemble des moyens à sa disposition. Et la boîte à outils est grande !
Ainsi la Ville de Paris a développé une méthode efficace pour mettre en place sa politique d’insertion. « La clause sociale est un vrai levier pour l’emploi des publics en insertion : en pratique, 488 528 heures, soit 304 ETP (équivalent temps plein) ont été réalisées en 2011 », souligne Laurence Herry, à la direction des achats de la Ville de Paris. Il y a plusieurs facteurs clés à ce succès : l’identification des marchés propices aux clauses sociales, ce dès la programmation des achats à réaliser ; la détermination d’un volume d’insertion adapté en tenant compte du secteur économique ; l’exécution de la clause sociale notamment via l’accompagnement et le suivi de l’entreprise attributaire par les facilitateurs. « Nous mettons des clauses dans les marchés avec une forte part de main d’œuvre, tels que bâtiment, travaux, voirie, espaces verts…, et cherchons à diversifier les secteurs concernés : surveillance, maintenance des systèmes incendies, etc. », précise Laurence Herry.
Autre bonne pratique en matière de développement économique : le conseil général de la Côte d’Or a mis en place une charte PME, dans laquelle le maître mot est la simplification. Au titre des actions menées, un recours systématique aux marchés passés selon une procédure adaptée (Mapa) sous les seuils européens, la mise en place d’accords-cadres sans limitation du nombre d’attributaires, ainsi qu’une assistance conseil à destination des entreprises et un droit de rattrapage systématique dans les procédures pour lesquelles une négociation est menée. « Résultat probant, puisque 80 % des marchés sont attribués à des PME », précise Catherine Lambert, directrice de la commande publique. « Depuis la mise en place de la charte, il y a trois ans, les entreprises nous ont largement sollicités : nous leur avons prodigué des conseils pour la constitution de dossier de candidature, mais surtout dans le cadre de la dématérialisation », relève Catherine Lambert.
Une sensibilisation nécessaire mais pas toujours suffisante
Malgré un engagement politique fort de certaines collectivités, les initiatives ne sont pas toujours suivies d’effets à la hauteur des attentes. C’est le constat de Didier Parein, coordinateur des achats de la Communauté de communes de la Hague où une opération d’information des différentes parties prenantes à l’acte d’achat (services opérationnels et élus) a été mise en place : « Le challenge consistait à sensibiliser à l’introduction de clauses, tant le service marchés qui élabore les dossiers du point de vue administratif, que les services opérationnels qui rédigent la partie technique des marchés » souligne-t-il. Ainsi, les actions se sont multipliées pour démystifier le développement durable : publication d’un guide de l’achat durable, signature d’une convention avec la maison de l’emploi et de la formation du Cotentin, etc., mais « face aux contraintes réglementaires, aux difficultés économiques et aux freins psychologiques, la démarche s’est rapidement érodée », regrette Didier Parein.