Jeunes entreprises : les cinq leviers pour percer

C'est bien connu : les trois premières années sont celles de tous les dangers. Les jeunes dirigeants doivent tout faire simultanément : démarcher les clients, faire connaître leur produit, rassurer leur banque, parer les attaques de leurs concurrents. Une bataille de tous les instants que nous détaillent ces jeunes patrons.

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Obtenir ses premières références

«Nous commençons à avoir des clients connus qui nous servent de référence. Ca va mieux. Ces phases marketing durant lesquelles nous devons nous faire connaître mobilisent beaucoup de temps», assure Julien Troquet, gérant de Biobasic environnement, entreprise spécialisée dans la dépollution des sols. Il se souvient de son premier appel d'offres remporté en 2003 avec la mairie de Clermont-Ferrand. «Depuis, nous en avons gagnés d'autres.» De 40 000 euros en 2003 (de septembre à décembre), son chiffre d'affaires devrait grimper à 300 000 euros cette année.

Sans référence, point de salut. Les jeunes dirigeants le savent bien. «Nous inaugurons en octobre 2004 une installation pour pourvoir en eau potable deux villages au Sénégal. Nous avons conçu et suivi le chantier. Pour nous, c'est un marché de 50 000 euros. Mais au-delà du montant, c'est notre première référence, se réjouit Thierry Coulom, président d'Aquatrium spécialisée dans le traitement de l'eau. Nous avons un second chantier au Congo.» Pour Patrick Julien, gérant de Netagis, les choses sont claires! «Nous voulons avoir trois références avec de grands groupes pour lancer une commercialisation en 2005.» Jusqu'ici, l'entreprise proposait ses systèmes de cartographie via Internet aux collectivités. Elle veut offrir des composantes cartographiques au management de sites industriels. C'est dans ce cadre-là qu'elle vient de nouer un partenariat avec Airbus. «Il s'agit d'une collaboration technique, souligne Patrick Julien. Ils nous apportent leur environnement, nous leur apportons notre savoir-faire.» Total, Areva... sont d'autres «gros» industriels que cible le dirigeant, bien conscient qu'Airbus constitue une «référence qui va indéniablement aider au développement de Netagis». Il ne faut jamais se reposer sur ses lauriers. En un an, Philippe Dhervilly a multiplié par dix le chiffre d'affaires de sa jeune entreprise, ARD, et recherche encore des débouchés pour ses liants à base de matériaux naturels pour stabiliser les sols. «Nous travaillons beaucoup avec les collectivités locales. Je me tourne aussi vers d'autres maîtres d'ouvrage qui ont du foncier à mettre en valeur.»

Mais que tout est lent pour une jeune pousse. «Il y a une inertie formidable dans le bâtiment. Cela demande du temps pour imposer de nouveaux matériaux ou de nouveaux procédés», observe Stéphane Cinier, responsable du développement de Cinier radiateurs contemporains, qui propose des radiateurs design. «Nous ciblons les architectes et les décorateurs qui nous font remonter des affaires. Nous participons également à des foires en partenariat avec des installateurs.» Pour Cinier tout va bien. L'entreprise affiche des taux de croissance à deux chiffres depuis 2000. Jean-Louis Froehly, gérant de Diaxis, peine plus à imposer en France son nouveau concept de drainage des maisons individuelles qui a pourtant obtenu un avis technique du CSTB. «C'est difficile de changer les habitudes des entreprises du bâtiment. Pourtant, mon procédé est simple à mettre en oeuvre, il est léger, non polluant».

Embaucher pour se développer

Avec les premiers succès commerciaux, arrivent aussi les premières contraintes. La première d'entre elles : recruter. C'est souvent une condition pour se développer et faire face à la demande. Christophe Bousrez, dirigeant d'AK5, entreprise de la Marne spécialisée dans le balisage temporaire des travaux routiers, en sait quelque chose. «En janvier 2002, nous avons démarré à 3, dont moi. Nous sommes 9 aujourd'hui. J'ai embauché, en un peu plus de deux ans, 7 ouvriers routiers. De préférence, ils doivent savoir maçonner, faire des petits travaux. La plu- part sont des jeunes qui ont déjà travaillé dans le BTP via l'intérim. La moyenne d'âge est de 25 ans.»

La clé du développement passe souvent par le recrutement d'un professionnel confirmé, embauche coûteuse pour une PME. L'erreur n'est pas permise. Laurent Auret, fondateur de Neosens, société innovante spécialisée dans le développement de capteurs pour milieux aqueux et non-aqueux, ne regrette pas l'embauche de son directeur commercial, ancien directeur administratif et financier d'un grand laboratoire pharmaceutique. Il l'a fait entrer dans le capital de l'entreprise. «Cela a été un gros investissement pour nous, souligne-t-il, mais il était nécessaire d'avoir une personne dédiée à la gestion de notre cible ..grands comptes''.» Et les résultats sont là : Veolia, Atofina, Areva, l'Institut français du pétrole : toutes ces affaires se sont faites grâce au nouveau commercial. «En outre, précise Laurent Auret, nos recrutements successifs nous permettent de disposer d'un véritable fonctionnement d'entreprise, avec un responsable R&D, un directeur commercial, un responsable produit, une assistante administrative et un P-DG.» Pour accompagner le développement d'ARD, Philippe Dhervilly veut embaucher à la rentrée deux techniciens et deux commerciaux afin d'aller au-devant de ses clients. «Pour cela, nous attendions la publication du décret sur les jeunes entreprises innovantes pour bénéficier des exonérations de charges sociales.»

Un sou est un sou. La trésorerie est un autre problème récurrent de ces jeunes pousses. «Les premiers mois ont été difficiles du fait des délais de paiement dans le public, rappelle Laurent Jolia Ferrier, créateur et directeur d'Empreinte écologique, qui propose aux industriels et aux collectivités locales de leur calculer leur empreinte justement. Aujourd'hui, je suis dans une situation confortable : je peux me payer un comptable. C'est un vrai luxe, cela me permet de me consacrer au développement de l'entreprise.»

Faire entrer de nouveaux investisseurs

Financer sa croissance. Voilà une autre problématique récurrente de ces jeunes dirigeants, dont l'activité a bien démarré et qui regorgent de projets. L'une des solutions est de faire entrer de nouveaux investisseurs dans le capital. «Un acteur industriel de premier plan envisage de renforcer nos fonds propres, explique Charles Dubost, président de Thetis environnement, entreprise spécialisée dans la mise au point d'équipements de traitement des eaux. Cela nous permettra d'accélérer notre pénétration sur le marché mondial et de faire de notre générateur, Securox, un appareil aussi courant qu'un adoucisseur!»

La conquête - coûteuse - de marchés étrangers figure également parmi les priorités de Patrick Julien, fondateur de Netagis, société spécialisée dans la conception, la réalisation et l'exploitation de systèmes de cartographie sur Internet : l'entreprise a besoin de 500 000 euros d'ici à la fin de l'année pour financer sa stratégie de croissance en France et à l'international.

Autre «gouffre» pour la trésorerie : la recherche et développement. «En 2003, nous nous sommes beaucoup consacrés à la finalisation de nos produits, ce qui nous a conduits à une perte ..de fait'' de chiffre d'affaires», explique-t-on chez Tepeecal, société de conception et de commercialisation de sous-stations domestiques de chauffage et d'eau chaude sanitaire. Or cette entreprise a de gros besoins en fonds de roulement, car les sous-stations se font par «paquets», nécessitant de lourdes avances de trésorerie. Tepeecal s'est donc rapprochée de trois investisseurs institutionnels et d'un groupe d'investisseurs privés. Un premier versement a eu lieu «pour passer l'été correctement», et un second devrait être effectué cet automne. Au total ce sont 650 000 euros qui seront ainsi investis - les dirigeants fondateurs, qui apportent leurs brevets dans le capital, restent toutefois majoritaires.

Vendre son entreprise ou sa marque à un groupe

C'est leur esprit indépendant de «jeunes entrepreneurs» qui les a poussés à créer leur propre entreprise. Pourtant, certains ont fait le choix d'intégrer un grand groupe ou de vendre leur marque. Pourquoi? «Notre entreprise a grossi trop vite, analyse Daniel Lanois, fondateur de Stip (isolation de toitures) en juillet 2000. Il nous fallait de gros moyens pour pouvoir continuer.» Le 1er juillet dernier, Stip a été rachetée par son principal concurrent - belge - et s'appelle désormais «Unilin systems Sud». «Ils vont faire en deux ans ce que nous aurions mis 10 ans à réaliser», développe Daniel Lanois, aujourd'hui directeur d'usine. Des regrets? «C'est sûr que je ne suis plus le maître du système, analyse-t-il. Mais voir son bébé grandir ainsi, c'est vraiment très satisfaisant.»

Olivier Genin a fait un autre choix : fusionner son entreprise, Oil Services (entretien sur site des engins de chantier), avec une autre structure, Compagnie des moteurs et transmission (CMT), par le biais d'un contrat de location-gérance. Une orientation stratégique qui permet aujourd'hui à CMT - dont Olivier Genin est devenu le directeur opérationnel - de proposer une offre de maintenance complète à des clients que les deux entreprises avaient jusqu'alors en commun.

Pour Alain Sevanche, créateur, en avril 2000 de Isidom et de la marque Assisthome (conseil en amélioration de l'habitat), la situation était plus critique. «Au terme de notre période de recherche et développement de deux ans, nous ne trouvions plus d'argent. Il fallait renoncer à toute perspective de croissance rapide. Nous savions que notre petite structure, en avance sur son marché, pouvait intéresser un gros acteur.» C'est désormais Texeurop, filiale d'Europe assistance et de Texa, qui détient la marque Assisthome. Alain Sevanche a réussi à préserver une certaine indépendance, en étant pour l'heure «consultant» chez Texeurop.

Recourir à la croissance externe

L'inverse est plus rare. Racheter une autre société suppose d'avoir les reins solides. C'est le cas de Green and Garden, grosse PME francilienne (75 salariés, 4,1 millions d'euros de CA) d'entretien de jardins et d'espaces verts dirigée par Gonzague Dejouany. «Nous ciblons trois types de clients : les collectivités locales, les particuliers et les entreprises. En 2002 déjà, nous avons racheté une entreprise qui nous a permis de doubler notre taille et de nous développer auprès des collectivités locales. Compte tenu de la multiplicité des acteurs, nous devons encore grossir, soit en interne, soit en externe afin d'accéder à des marchés de plus grande importance.» Le jeune dirigeant n'exclut pas un nouveau rachat d'ici à la fin de l'année.

L'autre solution est de s'associer avec un partenaire légitime sur le segment de marché. C'est ce que fait Anne Petrov. Avec son entreprise, Energies locales, elle cherche à développer les démarches HQE dans le bâtiment. Mais loin d'en rester là, elle souhaite développer l'éolien. Elle vient à cet effet de créer avec une autre personne une seconde SARL, Energies vertes occitanes (EVO). «Notre objectif est de développer l'éolien en France et de mieux l'intégrer dans le paysage. Nous installons des parcs de 4 à 6 machines maximum.» La jeune PME a déjà à son actif plusieurs projets, dont l'installation de 4 machines sur le plateau de Levezou entre Millau et Rodez. Des projets qu'elle ne peut conduire seule. «Nous nous associons avec un développeur allemand, expérimenté, qui va couvrir les frais de développement, les études techniques et les mesures de vent.»

Michel Colombani a fait un tout autre choix pour Coveris, société bordelaise d'étude pour la réalisation de façades vitrées qu'il préside (8 salariés plus lui, 3,6 millions d'euros de CA). «Nous intervenons plutôt sur de gros chantiers, sur des façades complexes, techniques. Nous étudions et créons le matériau mais nous ne mettons pas en oeuvre. Or nous sommes sollicités sur des petits chantiers.» Michel Colombani va sauter le pas en 2005 : «Je vais créer une société de mise en oeuvre pour répondre à la demande sur les petits chantiers.» Sachant qu'il ne souhaite pas trop grossir : «Nous avons la chance de pouvoir sélectionner nos chantiers. Je veux rester près des clients et ne pas courir après le chiffre d'affaires.»

Avant d'embaucher deux techniciens et deux commerciaux supplémentaires, nous attendions la publication du décret sur les jeunes entreprises innovantes pour bénéficier d'exonérations de charges sociales. - PHILIPPE DHERVILLY, GERANT D'ARD

Nos nouveaux investisseurs nous imposent une contrainte : nous développer. Mais c'est une ambition que nous partageons, car nous croyons au potentiel de notre entreprise. - BRUNO GERARD, P-DG D'OXAND

Nous gérons aujourd'hui une quinzaine de projets, avec des maquettes virtuelles qui démarrent à 5 000 euros. C'était notre fer de lance : être capables de proposer des maquettes abordables. - VINCENT GUERIN, COGERANT DE MG DESIGN

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