Dans votre rapport, vous chiffrez à 35 milliards de francs par an le coût d'une relance de la politique de la ville sur dix ans. Un tel effort financier est-il supportable pour les finances de l'Etat ?
JEAN-PIERRE SUEUR. Je n'ai pas parlé d'un effort de l'Etat, mais d'un effort public. Notre pays a su se mobiliser pour de grands projets : le plan autoroutier, le TGV, la fusée Ariane. Je propose aujourd'hui un effort du même type, sur dix ans, pour les banlieues, les quartiers périphériques, la ville. Non seulement c'est possible, mais c'est nécessaire. Il faudra, pour y arriver, obtenir la mobilisation de toutes les instances concernées.
Commençons par l'Etat : la politique de la ville représente aujourd'hui dans le budget de l'Etat 11 milliards de francs. On doit pouvoir faire davantage. Mais surtout, je propose que l'on réforme les dotations de l'Etat aux collectivités locales. Celles-ci représentent 250 milliards, dont 106 milliards pour la dotation globale de fonctionnement ; à l'intérieur de celle-ci, la dotation de solidarité urbaine, qui finance la politique de la ville, ne représente que 2 milliards. Soit moins de 2 % ! On doit faire mieux et davantage prendre en compte la politique de la ville et la rénovation urbaine dans la répartition de ces dotations de l'Etat.
Comptez-vous aussi sur un effort financier accru des collectivités territoriales ?
Sans aucun doute. Les départements peuvent incontestablement soutenir davantage la politique de la ville, leur apport aux investissements mis en oeuvre à ce titre ne représentant aujourd'hui que 3 % de l'ensemble. Il en va de même pour les régions, dont l'implication est très inégale. Nous avons proposé dans notre rapport que la réévaluation de la participation des régions et des départements soit l'un des enjeux forts de la négociation des futurs contrats de plan Etat-régions.
Une des propositions clés de votre rapport concerne le renforcement du rôle des agglomérations. Ce renforcement semble impliquer la création d'un nouvel échelon de collectivité territoriale, dans un paysage administratif déjà très compliqué. Comment surmonter cette difficulté ?
De plus en plus de décisions sont aujourd'hui prises au niveau de l'agglomération par les communautés urbaines, communautés de ville, communautés de communes, districts et Sivom. C'est vrai pour l'aménagement, l'environnement ; l'urbanisme, le développement, les transports, la voirie. C'est également le cas en matière de logement avec la généralisation des Programmes locaux de l'habitat. En ce qu'elle a de structurant, la politique de la ville et du développement urbain doit s'appuyer sur l'agglomération qui correspond aujourd'hui à l'aire urbaine réelle. J'ajoute qu'une part toujours plus importante de la fiscalité est prélevée par la structure d'agglomération. Cela pose, bien sûr, la question de la légitimité démocratique de ces instances.
C'est pour toutes ces raisons que nous avons proposé que l'on s'oriente vers une élection des assemblées d'agglomération au suffrage universel. Il ne s'agit pas d'ajouter un nouveau « niveau » : il existe déjà dans toutes les agglomérations et il est aujourd'hui incontournable. Nous ne proposons pas non plus d'ajouter une élection supplémentaire, puisque nous avons suggéré (parmi d'autres possibilités) l'hypothèse selon laquelle les représentants de l'agglomération au sein de l'assemblée départementale seraient désignés par les membres de l'assemblée d'agglomération. Ce système permettrait d'ailleurs de rééquilibrer la représentation des agglomérations urbaines au sein des départements, ce qui, de toute façon, est nécessaire.
Une de vos cinquante propositions concerne ce que vous appelez la « construction- démolition ». Quelles sont les conditions à remplir ou à réunir pour que de telles opérations s'avèrent efficaces et utiles ?
Beaucoup de quartiers relevant de la politique de la ville doivent être profondément transformés. C'est-à-dire que nombre d'opérations « construction-démolition » sont aujourd'hui pleinement justifiées. Elles requièrent des moyens financiers importants, et donc, l'effort sur le long terme qui a été évoqué précédemment.
Il importe toutefois d'être très précis à cet égard. D'abord, de telles opérations ne sont pas en elles-mêmes et à elles seules le remède miracle. Rien n'est pire que ces destructions spectaculaires de tours et barres assorties de discours qui donnent le sentiment que pour remédier au mal des banlieues, il suffi-
rait de supprimer les banlieues. Les problèmes sont d'abord ceux des êtres humains avant d'être ceux du bâti, même si le bâti est loin d'être neutre.
Ensuite, avant de démolir, il faut construire. Il faut donc se donner les moyens d'un effort de construction de grande ampleur.
En troisième lieu, les opérations ambitieuses de remodelage et de transformation profonde de quartiers entiers n'ont de sens et de chance de réussite que si elles ne sont pas confinées sur le territoire d'un quartier ou de la « zone » concernée. Il ne faut pas « refaire » ces quartiers sur eux-mêmes, comme si on voulait y confiner ceux qui y vivent.