« Je ne nous imagine pas rester spectateurs face à cette crise », Bruno Cavagné, président de la FNTP

Le guide rédigé par l’OPPBTP pose les premiers jalons indispensables à un redémarrage des chantiers dans de bonnes conditions de sécurité. Le président de la FNTP, Bruno Cavagné, salue cette publication qui fixe un cadre mais rappelle que la reprise sera progressive et dépendra de la configuration des travaux, des régions et des secteurs d’activités.

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Bruno Cavagné
Bruno Cavagné, président de la fédération nationale des travaux publics (FNTP)

Le guide a finalement été publié le jeudi 2 avril après de longs débats. Etes-vous satisfait de son contenu ?

Effectivement, ce document aura mis du temps à naître. Une première version en avait été validée par les organisations syndicales et envoyée au gouvernement. Ce dernier l’avait alors simplifié sans le faire valider par le ministère de la Santé. Nous avons donc retravaillé le texte qui, au final, ressemble à 95 % à sa version initiale.

C’est d’ailleurs pourquoi je suis un peu déçu qu’à part la CFDT, les autres syndicats n’aient pas voulu le signer (voir encadré). Il fixe pourtant un cadre dont nous avons besoin, avec des recommandations qui visent à sécuriser nos salariés et nos entrepreneurs pour qu’ils puissent relancer les chantiers progressivement. J’insiste bien sur ce dernier terme, car nous ne sommes pas dupes.

Pourquoi les autres syndicats n'ont pas signé le guide

 

"Nos organisations refusent une reprise du travail dans le BTP" et "dans les carrières, les tuiles et briques, les cimenteries, les négoces de matériaux", ont écrit dans un communiqué commun publié le 3 avril la CGT (1er syndicat de la branche du bâtiment), FO (3e), la CFTC (4e) et la CFE-CGC (5e).

Ces organisations syndicales estiment qu'elles ont été mises à contribution "quand tout était déjà plié", et que le guide "mettra de côté la santé et des vies en danger!".

"L'objectif de ce document est bien de faire reprendre l'activité en protégeant juridiquement les employeurs, en utilisant des formules comme +il est recommandé+, +dans la mesure du possible+, +selon disponibilité+ ou en jetant un doute sur la personne à qui incombe les obligations" telles que celle de nettoyer régulièrement les surfaces et installations communes, écrit l'intersyndicale.

"Nous aurions souhaité que ce guide permette la continuité des activités portant sur les travaux d'urgence et qu'un autre soit édité pour l'après-confinement. Nous n'avons pas été entendus", regrettent par ailleurs les quatre syndicats, en appelant les salariés à "utiliser leur droit de retrait (...) s'ils se sentent en danger".

 

Certains chantiers ne pourront pas redémarrer et la situation ne sera pas uniforme d’une région à l’autre. Dans l’Est de la France par exemple, il paraît évident que pour le moment cela reste difficile.

Ce guide doit être vu comme un outil de redémarrage. Un guide de bon sens. Au final, ce sera sur la base du volontariat, en leur âme et conscience et en discutant avec les salariés et leurs clients, que les chefs d’entreprises décideront de reprendre ou pas.

L’objectif est de relancer l’activité avec des salariés, en sécurité. Il n’est pas question de sacrifier ces derniers, comme certains ont pu le dire sur les réseaux sociaux. Cependant, le BTP est un secteur important et nécessaire à tous nos concitoyens. Je n’imagine pas que nous restions spectateurs alors que les soignants, les professionnels de la filière alimentaire ou les transporteurs sont à l’œuvre.

Quels ont été les principaux points d’achoppement durant l’élaboration du texte ?

La question des apprentis, de la prise de température et des masques ont fait débat. Dans ce dernier cas, certains syndicats ont pris une position jusqu’au-boutiste : sans masque pour tout le monde, pas de reprise. Partant de ce principe, il devenait inutile d’écrire le guide, car il était clair que nous ne pourrions pas fournir ce type d’équipement partout. Notre idée était d’identifier les opérations où ils étaient indispensables et celles où ils ne l’étaient pas. Je ne perds pas espoir de convaincre d’autres syndicats pour que chacun partage ce guide et cette envie de recommencer, même lentement, en sécurité et dans l’intérêt général.       

«  Nous travaillons sur des compléments, toujours avec l’OPPBTP, pour mettre à disposition des fiches pratiques en fonction des métiers. Les canalisateurs et les routiers devraient publier leurs documents dans le courant de semaine. »

Vous parlez d’un guide de bon sens, d’un cadre. Peut-il se suffire à lui-même ?

Il faut construire autour de lui. Nous travaillons actuellement sur des compléments, toujours avec l’OPPBTP, pour mettre à disposition des fiches pratiques en fonction des métiers. Les canalisateurs et les routiers, par exemple, devraient publier leurs documents dans le courant de semaine prochaine si tout se passe comme prévu. Associés au guide, ces compléments multiplieront les exemples de comportements et de situations pour accompagner au mieux les nombreuses entreprises, et pour qu’elles puissent s’organiser au-delà des seuls gestes barrières.

Reste que les attentes des acteurs de la filière étaient très grandes quant à l’arrivée d’un tel document. Un exemple, depuis hier soir, les pompiers de Paris sont très sollicités par les entreprises pour savoir quels sont les secours disponibles en Ile-de-France. Il y a donc bien une attente sur ce point, et ce sera le rôle des préfets que d’informer sur leurs sites des secours disponibles. Pour ce faire, le gouvernement vient de leur transmettre une circulaire afin qu’ils veillent à la poursuite et à la reprise des chantiers.

Comment abordez-vous les problématiques d’approvisionnement en matériaux et matériels indispensables à la conduite de travaux ?

C’est au chef d’entreprise de s’assurer que la chaîne est assurée. Inutile d’envoyer des gens sur les chantiers si l’on ne dispose pas du béton, des agrégats… Au sein de la fédération et en coordination avec le Medef, nous avançons sur  cette question de l’approvisionnement pour que, petit à petit, les fournisseurs soient opérationnels. Nous travaillons notamment avec l’industrie pour évaluer leur capacité de redémarrage. Je dois notamment appeler, cet après-midi Saint-Gobain pour faire le point. Si tout le monde veut que la filière redémarre, il faut se mobiliser. 

« La FNTP a pris une commande de 500 000 masques à destination des entreprises, et plus particulièrement celles de taille moyenne, qui devrait être livrée en fin de semaine prochaine dans les FRTP »

La fourniture d’équipements sanitaires et donc de masques est-elle également un sujet de préoccupation ?

Même si beaucoup de situations ne nécessitent pas le port de masques, cela reste un outil important dans bien des cas. C’est pourquoi, la FNTP a pris une commande de 500 000 masques à destination des entreprises, et plus particulièrement celles de taille moyenne, qui devrait être livrée en fin de semaine prochaine dans les FRTP.

Nombre de PME sont un peu désemparées devant cette pénurie car leurs fournisseurs habituels sont fermés et qu’elles ne peuvent s’appuyer sur des filiales à l’étranger. Les grands groupes, eux, ont davantage de leviers et se sont organisés en effectuant des commandes il y a une quinzaine de jours.

Peut-on comparer cette crise à celle de 2008 ?

Je ne pense pas. En 2008, la crise était avant tout d’ordre financier. Aujourd’hui, c’est l’humain qui est le plus important. Notre capacité à redémarrer les chantiers dépend surtout de notre faculté à convaincre nos compagnons qu’ils sont en sécurité afin qu’ils reviennent travailler sur les chantiers. D’autre part, cette crise soulève une autre problématique, à savoir celle de notre souveraineté industrielle. Des entreprises françaises sont régulièrement menacées de rachat par des sociétés étrangères. Alors que le gouvernement s’aperçoit de l’intérêt de maintenir notre tissu industriel, j’espère qu'il ne s'agira pas uniquement d'éléments de langage et que des actes concrets suivront.

Commencez-vous déjà à réfléchir à l’après confinement ?

C’est très compliqué de se projeter. Il subsiste de nombreuses inconnues. Est-ce que la période de confinement va durer ? A quelle vitesse allons-nous être capables de redémarrer nos entreprises ? Que décideront nos clients et notamment les collectivités locales avec les élections ?

Une fois ces interrogations levées, il faudra décider si l’on revient à une logique de rigueur budgétaire où l’investissement en fait les frais. Je pense notamment aux solutions qui seront à mettre en place pour assurer le financement de l’Afitf [Agence de financement des infrastructures de transport de France, NDLR], sachant qu'elle dépend pour partie de taxes prélevés sur les amendes radar et l’aérien. 

J’espère pour ma part qu’un plan d’investissements d’envergure sera lancé, faute de quoi nous pourrions plonger dans une crise économique profonde et durable. Il sera temps ensuite d’évoquer des assouplissements sur les heures supplémentaires, la prise de congés… pour une période d’un ou deux ans. Ce sera nécessaire pour rattraper ce qui aura été perdu en termes de productivité et donc de PIB.

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