Interview

« J’aime me confronter à la façon dont on produit la ville dans la vraie vie », Valérie Lasek, directrice générale de l’EPA Bordeaux Euratlantique

Depuis le 1er août, Valérie Lasek remplace Stéphan de Faÿ à la tête de l’EPA. Elle a démarré sa carrière en 2003 au sein du ministère de l’Ecologie, puis à l’Egalité des territoires et du logement avant d’être conseillère à l’aménagement, urbanisme et construction puis au renouvellement urbain au ministère des Droits des femmes, de la Ville, de la Jeunesse et des Sports. Valérie Lasek a effectué ses dernières missions à l'Anru, l’Epareca et l’Agence nationale de cohésion territoriale (ANCT) avant d’arriver à Bordeaux.

 

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Valérie Lasek
Valérie Lasek

Quelles ont été vos motivations pour candidater à ce poste ?

C’est une très belle opportunité quand on travaille sur les aménagements côté Etat, car il y a à la fois l’expertise sur les projets urbains et la possibilité d’avoir une équipe dédiée, et à taille humaine. C’est ce que j’avais envie de retrouver après l’intermède ANCT. Fonctionnaire du ministère de la Transition écologique, j’ai choisi les sujets d’aménagement et d’urbanisme assez vite en étant à la direction de l’urbanisme du ministère, j’ai traité des sujets de construction, puis du renouvellement urbain avec l’Anru. J’ai eu envie de passer à l’exécution des politiques publiques après avoir œuvré à leur conception. Travailler au sein d’un EPA me paraissait la manière la plus opérationnelle de le faire. Cette opportunité est rare car les directeurs généraux restent en général pour la durée du mandat qui leur est confié. Il y a eu une concordance entre mes envies et l’agenda de Stéphan de Faÿ.

L’EPA a démarré sa mission en 2010 et l’achèvera en 2030. Vous arrivez à une période charnière… Comment envisagez-vous les 10 prochaines années à ce poste ?

Euratlantique est vite passé à l’opérationnel après la mise en place des OIN, d’où cet effet de masse. Certaines choses ont été mises en place, mais il en reste à concevoir. Cela va faire partie des échanges que j’aurai avec les élus du territoire qui vont devoir apporter leur vision sur ce projet. Entre ce qui a été fait et ce qu’il reste à faire, il y a des ajustements souhaitables, possibles, des optimisations. Là où on pourra pousser les curseurs dans le sens souhaité par les élus, on le fera.

A quoi pensez-vous ?

Ce que je regarde le plus depuis mon arrivée, c’est la qualité des espaces publics car on est aménageur avant tout. Les espaces de respiration relèvent d’une préoccupation. Si on ne les pense pas en amont et que nous n’envisageons pas leur fonction urbaine, nous pouvons nous retrouver à ne gérer que des interstices. Ce n’est pas ce que nous souhaitons.

Compte tenu du travail qui a déjà été mené, la marge de manœuvre est-elle suffisante ?

Il est important de réfléchir à des échelles larges pour trouver des marges de manœuvre. Mais quand on sait que nous devons prévoir trois ans à l’avance des travaux à proximité des voies ferrées... Il y a des marges de manœuvre que nous n’aurons pas.

Que reste-t-il à faire ?

Sur la rive  droite, au-delà de la ZAC Deschamps-Belvédère, il y a la continuité vers la Souys, dont nous finalisons le programme. Et en devenir plus ouvert, ce sont les berges du côté de Bègles. Il y a des projets à construire avec une ZAC à définir. Mais à l’intérieur même de ce qui est en cours, il y a des ambitions à fixer, une réglementation qui évolue...

Que pensez-vous de ce quartier ? Quelle identité souhaiteriez-vous lui donner ?

C’est une grosse responsabilité car nous laissons une marque sur le territoire. C’est un territoire où tout ce qui touche à la thématique « refaire la ville sur la ville » prend tout son sens. Je n’avais jamais vu ça dans de telles proportions. La manière dont on travaille sur les prix de sortie est bien éprouvée ici. Spontanément, les promoteurs ne vont pas réserver 35% de leur programmation à du logement abordable…  Tous les EPA ne pratiquent pas cette régulation des prix, je trouve qu’elle est faite de manière indispensable et qu’elle produit ses effets. Et elle est tenue dans la durée. Ça fait partie des fondamentaux d’Euratlantique.

Il faut désormais ménager la vie dans ces quartiers et la manière dont ils sont accueillis par l’existant. Je suis attentive à la qualité de vie des habitants et à la valeur d’usage.  C’est ce qui doit guider nos échanges pour trouver des projets qui soient le meilleur compromis entre les exigences d’habitabilité, maintenant, et de responsabilité environnementale, à l’échelle d’un temps plus long.

Vous héritez de dossiers compliqués : le projet Saget et le quartier Amédée Sud pour lequel le maire Pierre Hurmic a demandé une révision. Comment allez-vous gérer cela ?

Je n’ai pas encore eu le temps de rentrer dans les dossiers, mais je peux comprendre la nécessité du droit d’inventaire de la nouvelle équipe municipale. C’est également le besoin de se réapproprier les raisons pour lesquelles le projet a été dimensionné de cette manière et de pousser les curseurs là où c’est important pour les élus. Saget sera un dossier très suivi par les équipes afin que les engagements soient tenus et que le projet ne se dégrade pas par rapport au niveau d’ambitions imposé. Et c’est de notre responsabilité de garantir un niveau de performances environnementales élevé, même si cela doit se faire au détriment d’autres paramètres. 

Vous arrivez à une période tendue entre l’EPA et la mairie…

Pour moi c’est une chance car cette situation a probablement fait fuir des aménageurs classiques qui auraient trouvé le contexte trop compliqué. J’ai pratiqué la contrainte d’un niveau d’exigence environnemental fort avec Cécile Duflot (ministre du Logement et de l'Égalité des territoires entre 2012 et 2014, NDLR) sur les performances énergétiques, la loi Alur… Et j’ai également pratiqué le travail avec les promoteurs. Je connais ces deux univers et nous devons les faire travailler ensemble. J’aime me confronter à la façon dont on produit la ville dans la vraie vie. Sans cela, on ne change pas fondamentalement les choses. On ne peut plus négliger les paramètres environnementaux – aujourd’hui, nous n’avons pas le choix –, et en même temps, je refuse aussi l’idée selon laquelle « un bon aménagement est un aménagement qui ne se fait pas », car on ne peut se passer de faire évoluer la ville.

La conception d’Euratlantique est amenée à évoluer ?

On apprend en fonction des contextes… Ainsi, il faut arrêter de se battre contre les éléments et nous allons devoir ajuster les modèles par rapport au risque inondations. On réfléchit à la perméabilité plutôt que de  construire des ouvrages défensifs contre l’eau : sur la Souys, ce sont d’abord des sujets hydrauliques qui ont été étudiés pour dessiner les espaces publics. La réversibilité des bâtiments est aussi un sujet, dans ce contexte post-Covid. La résilience doit faire partie de nos défis.

Vous évoquiez les exigences environnementales et justement un article de Rue89 Bordeaux pointe les effets néfastes de la construction bois, en prenant la tour Hypérion comme exemple. Qu’en pensez-vous ?

Cela fait partie des évolutions à grande échelle qui génère leurs propres effets négatifs, comme le photovoltaïque. La filière en construction est aujourd'hui dépassée par l’ampleur des commandes, donc forcément, il y a une attention particulière à avoir, mais il faut  éviter les raccourcis trop rapides. Il y a certes une vigilance nécessaire et ne pas uniquement fonctionner à coup de pourcentage, mais la critique ne doit pas être un frein à l’action. A l’impossible nul n’est tenu, mais il faut tenir ses objectifs.

Quel sera le premier dossier sur lequel vous allez vous pencher à la rentrée ?

On va parler assez vite du marché d’intérêt national (MIN), mais également d’Amédée et nous allons investir la rive droite.

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