Alors le parcours de l’eau avait toujours été qu’au cours des siècles, un sujet d’attention, relevant du confort, de la qualité de vie, de l’esthétique, voir les exemples de Venise, Cordoue, Istanbul, etc. Cette attitude relevant du bon sens avait disparu depuis une cinquantaine d’années, pour faire place à des pratiques drastiques d’évacuation de l’eau de pluie. Jusqu’à récemment, en effet, l’eau de pluie qui tombait sur un terrain, était conduite dès que possible dans un tuyau pour une évacuation de plus en plus rapide hors de la parcelle. Les services techniques géraient les ruissellements comme un problème, un désagrément. Or cette pratique établie depuis 20 ans n’est plus possible, d’une part en raison de l’extension des villes, de la densification des territoires, et d’autre part, parce que la technique actuelle ne répond pas aux volumes des précipitations dont les régimes ont tendance à apparaître plus violents, plus concentrés. Par ailleurs, les épisodes successifs de sécheresse exigent d’économiser l’eau, donc les pratiques évoluent nécessairement.
Afin d’optimiser la gestion naturelle des eaux pluviales, les noues, fossés, surfaces d’infiltration et de tamponnement participent à l’organisation des espaces publics. Dépassant leur vocation première d’ouvrages techniques, ces dispositifs constituent des surfaces vivantes, supports de faune et de flore spécifique, qui contribuent à la qualité d’usage et à l’esthétique des espaces publics.
La solution économique et efficace consiste à conduire les eaux de ruissellement dans des tranchées drainantes, des fossés absorbants enherbés, ou encore des petites pièces d’eau plantées, des flaques éphémères ou des bassins ludiques. Ces techniques favorisent à la fois une infiltration lente de l’eau dans le sol, importante pour la reconstitution de la nappe phréatique, et une évaporation en surface qui augmente l’humidité de l’air et améliore le microclimat.
Les techniques de microstockage se développent à travers, des fossés et noues, des espaces verts inondables, des chaussées réservoirs.
Dans les villes où les surfaces imperméabilisées sont très importantes, il est devenu indispensable de favoriser l’évaporation des eaux de pluie et leur infiltration naturelle. Pour diminuer le volume à traiter, éviter la saturation des réseaux existants et réguler le débit des cours d’eau, il est important de gérer les eaux de pluie directement sur la parcelle. Cette gestion alternative de l’eau repose sur des objectifs plus larges que l’assainissement classique et fait appel à des moyens variés parmi lesquels : la semi-perméabilité des parkings et des voiries secondaires, la création de capacité de rétention en surface – places publiques, terrains de sports, espaces verts – pour retenir, infiltrer ou évaporer l’eau des pluies exceptionnelles. La réalisation de circulations d’eau en surface permet à l’eau de se charger en oxygène et sa qualité biologique s’améliore. L’augmentation des zones humides des cours d’eau a pour but de contenir les eaux de surface en cas de crue et d’éviter les inondations et la pollution des rivières.
En outre, les divers modes de capture et de transport de l’eau représentent des opportunités de création d’agréments visuels et récréatifs.
Planification
La limitation de plus en plus fréquente des rejets d’eaux propres au réseau imposée par les outils de planification est un facteur déterminant pour le choix d’une gestion alternative. Les aménageurs sont donc incités à apporter des solutions techniques aux problèmes de ruissellement. Dans ce domaine, on tend de plus en plus vers des ouvrages alternatifs intégrés : stockage des eaux à ciel ouvert, écoulement gravitaire, etc.
Eléments principaux des techniques alternatives de gestion des eaux pluviales, les noues mises en place pour le recueil des eaux de pluie, offrent de nouvelles surfaces d’espaces verts, contribuant à une gestion intelligente des eaux pluviales en évitant la pose de coûteuses canalisations. De même que les bassins de stockage et d’infiltration des eaux pluviales, elles participent réellement à la qualité paysagère d’un lieu. Ces techniques sont adaptées pour la gestion des eaux pluviales de lotissements, ZAC, ou parcs d’activités, pour traiter les espaces imperméabilisés, le long des bâtiments, de voiries. Elles permettent de ralentir l’évacuation de l’eau. Elles assurent des fonctions de rétention, de régulation, d’écrêtement qui limitent les débits de pointe à l’aval. Une noue est un large fossé, peu profond avec un profil présentant des rives à pentes douces. Elles permettent l’écoulement lent et le stockage de l’eau à l’air libre. La mise en place d’un drain sous la noue peut permettre de faire circuler l’eau sous la surface du sol, par percolation, à travers un milieu poreux. Les revêtements s’adaptent aux caractéristiques du site : surfaces enherbées ou minérales (pavés, enrochements). L’eau est collectée soit par l’intermédiaire de canalisations (dans le cas de la récupération des eaux de toiture, par exemple), soit directement après ruissellement sur les surfaces adjacentes. L’eau est évacuée vers un exutoire (réseau, puits ou bassin de rétention) ou par infiltration dans le sol et évaporation. Dimensionnés en fonction de calculs hydrauliques, les surfaces d’infiltration et les volumes de stockage doivent répondre aux différentes normes de sécurité (risbermes plantées de faible profondeur, quais avec garde-corps, etc.). En zone résidentielle, les surfaces d’infiltration peuvent absorber les hydrocarbures résiduels des eaux de voiries, on utilise alors des plantes hydrophiles et dépolluantes. Ces espaces participent ainsi à la biodiversité et peuvent être conçus de manière à faciliter les continuités des corridors biologiques.
En outre, on perçoit enfin l’intérêt de l’eau de pluie pour remplacer l’eau du réseau pour l’arrosage, le nettoyage du matériel des espaces verts. Sur la dalle de la Porte des Lilas, actuellement en chantier, un projet de l’agence Territoires, l’eau de pluie est récupérée dans une mare et un réservoir qui assurent l’alimentation du système d’arrosage, même en cas de sécheresse temporaire. La flaque d’eau est désormais un événement plus maîtrisé, qui répond à un dessin et un objectif.
Les exemples qui suivent illustrent ces techniques alternatives dans différentes conditions de site ou d’échelle, avec des variations sur l’importance des volumes d’eau à gérer.
A Winterthur, Vetsch et Nipkow ont exploité le principe de la flaque miroir pour animer et rafraîchir l’espace très minéral de cette friche industrielle réhabilitée. De même, le jardin des eaux pluviales de Blackstone à Harvard de Landworks Studio et la démarche Green street project à Portland, montrent qu’il est possible d’adapter à un système de récupération d’eaux de pluie, un tissu urbain et des infrastructures existants et contraints dans leurs dimensions. Le premier aménagement porte sur un ancien site industriel, qui comporte une série de noues et de dépressions plantées conçues pour retenir les ruissellements. Il est en mesure de capturer et nettoyer 90 % des eaux pluviales annuelles et d’empêcher les eaux de ruissellement polluées de se déverser directement dans la rivière voisine. A Portland, Oregon, un système de collecte et de rétention d’eaux pluviales dans le profil du trottoir est développé depuis plusieurs années par les services municipaux. Distribués le long de la chaussée, des bassins en réseau intégrés dans le trottoir, collectent 60 % des eaux pluviales annuelles, et ne contraignent pas pour autant le passage des piétons ni la circulation des automobiles.
L’Allemand Hermann Dreiseitl s’est spécialisé dans les projets misant sur la récupération et la mise en scène de l’eau dans les espaces publics. A Oulu en Finlande, comme à Fornebu en Norvège, il dessine de nouveaux parcours pour l’eau de ruissellement dont il ralentit ainsi le débit et l’exploite pour créer des dispositifs ludiques dans les parcs qu’il aménage. L’agence AdP Dubois vient de livrer à Grenoble le parc de Ouagadougou. Le thème de l’eau sert de fil conducteur à l’animation du jardin. Les eaux de ruissellement du nouveau quartier de la ZAC Teisseire sont récupérées dans des noues et alimentent des fontaines, bassins, jets d’eau, jusqu’à une grande prairie inondable franchissable par des passerelles. A Mulhouse, les paysagistes de Territoires chargés de l’aménagement du parc Vauban-Neppert, une opération de 150 logements conçus par ANMA, réalisent une série d’impluviums qui collectent l’eau des toitures du bâti périphérique au parc, animent le lieu, lui donnent un sens avec des essences qui expriment la teneur en humidité du sol selon la topographie.
Cette intégration se traduit aussi par une plurifonctionnalité des dispositifs de stockage. Il s’agit là de rendre les espaces publics inondables, afin de dégager en surface, des lieux de stockage des eaux pluviales. Tout l’espace urbain peut servir de support à des inondations maîtrisées : aires de jeux, terrains de foot ou encore parkings. Cette insertion urbaine des dispositifs combine les savoirs de l’ingénieur hydraulicien, de l’urbaniste et du paysagiste.
Comme le souligne Etienne Voiriot, paysagiste de l’agence Territoires : « Ces préoccupations ont tendance à transformer les pratiques des paysagistes et des architectes. Le dessin des projets évolue car la question est de savoir comment retarder le passage en canalisations, donc comment conserver l’eau en surface, comment mettre en scène l’eau de pluie avec son aspect éphémère, son odeur, sa brillance. »






