Immobilier : promoteur-rénovateur, un métier prometteur

De plus en plus d'acteurs sont séduits par le relais de croissance que représente la réhabilitation d'immeubles. Un choix qui leur permet en outre de décarboner leur activité.

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A Arcachon, Idéal Groupe est à la manœuvre pour l’opération « Belle Epoque », la réhabilitation d’un ancien hôtel particulier qui abritera 31 appartements pour une livraison début 2025.

Le marché du logement neuf est secoué par la remontée des taux qui désolvabilise les particuliers. Au recul des crédits immobiliers accordés s'ajoutent d'autres difficultés : des autorisations à construire en baisse, l'impératif de sobriété foncière et l'extinction fin 2024 du Pinel, censé stimuler la demande. Le gouvernement incite à lever le pied sur les constructions neuves, plus émissives en carbone que la reprise de l'existant. Le rythme souhaité par le Secrétariat général à la planification écologique (SGPE) est ainsi compris entre 302 000 et 360 000 nouveaux logements par an, bien loin de l'objectif des 500 000 logements que les professionnels mettent depuis longtemps en avant. « Cette diminution contribuera à réduire les émissions liées à la construction ainsi qu'à celle de l'artificialisation » des sols, justifie ce service placé sous l'autorité de Matignon. Entre août 2022 et juillet 2023, 331 000 logements ont été mis en chantier. Un chiffre en hausse de 13,2 % sur un an.

« Petit marché de 20 000 opérations par an ». Le gâteau est donc appelé à rétrécir. Et son partage entre promoteurs s'annonce compliqué. « Si le logement devrait repartir à la hausse d'ici cinq ou dix ans, la décroissance du bureau et la fin des nouveaux projets commerciaux supposent de toute façon de trouver des relais de croissance. On pense au recyclage urbain et à la réhabilitation, mais les volumes ne sont pas exceptionnels », anticipe Vincent Desruelles, directeur d'études à l'institut Xerfi. « A l'échelle nationale, cela reste un petit marché, de 15 000 à 20 000 opérations par an », estime Pierre Vital, cofondateur d'Idéal Groupe, promoteur diversifié dans la réhabilitation, la transaction ou encore la gestion locative. Très présent à Bordeaux (Gironde) où le maire écologiste Pierre Hurmic œuvre à « la reconstruction de la ville sur la ville », le promoteur-rénovateur échange de plus en plus avec des foncières, dont « les bâtiments ont été amortis en dix ans, mais commencent à se vider, à ne plus être rentables », témoigne Pierre Vital. Ces propriétaires de bureaux et d'hôtels se trouvent à un moment charnière. « Soit ils investissent des millions d'euros pour remettre l'immeuble à niveau sur le plan énergétique et de sa fonctionnalité, soit ils le vendent et nous le transformons », résume-t-il.

Pour Histoire & Patrimoine, le moment est venu de se jeter à l'eau. « Fin septembre, nous lancerons Jouvence, une offre commerciale complémentaire à notre cœur de métier », annonce Rodolphe Albert, président de cette filiale du groupe Altarea spécialisée dans la rénovation de bâtiments patrimoniaux. Deux segments de marché sont ciblés. D'un côté, la transformation de bureaux et bâtiments industriels ou religieux en logements, à condition que les propriétaires concèdent une décote.

De l'autre, les logements délabrés et les passoires thermiques. Au programme : changement du système de chauffage et des fenêtres, isolation, plomberie, électricité… Chaque chantier visera au minimum l'étiquette D du diagnostic de performance énergétique (DPE) pour que le bien rénové ne soit plus visé par une interdiction de mise en location, pour un investissement compris entre 1 200 et 1 500 euros/m². « Etant en concurrence avec les foncières locales et les marchands de biens, nous regardons les villes de premier plan où le coût de rénovation est moindre par rapport au foncier », indique Rodolphe Albert.

Histoire & Patrimoine avance un objectif de 2 000 lots rénovés d'ici 2025. Cette montée en puissance suppose 80 recrutements de développeurs, ingénieurs, commercialisateurs…

« Nous regardons les villes de premier plan où le coût de rénovation est moindre par rapport au foncier. » - Rodolphe Albert, président d'Histoire & Patrimoine (Altarea)

Actuellement, la filiale d'Altarea peut s'appuyer sur 150 salariés consacrés à la rénovation de bâtiments patrimoniaux ainsi que sur 120 administrateurs de biens qui travaillent pour l'ensemble du groupe. Les trois premières opérations estampillées Jouvence doivent être livrées d'ici la fin de l'année à Bordeaux, à Cannes (Alpes-Maritimes) et Hyères (Var).

Levier de décarbonation. De son côté, Linkcity monte une offre d'accompagnement juridico-technique dédiée, qu'elle envisage de présenter au Salon de l'immobilier d'entreprise (Simi) en décembre prochain. Dans son viseur : les collectivités, l'Etat, les investisseurs et les utilisateurs de bâtiments à valoriser. Le promoteur souhaite en parallèle que 30 % des permis de construire déposés cette année cochent la case « réhab' », soit 12 à 15 projets. En dix ans, il n'a réalisé que 25 réhabilitations lourdes, à l'image du collège Truffaut, un bâtiment du XIXe siècle à Lyon (Rhône). Livrée début 2023, l'opération a consisté en une démolition intérieure, un désamiantage, un ravalement des façades et à un aménagement intérieur. L'économie carbone générée s'est élevée à 40 % par rapport à une construction neuve (hors terrassement et gros œuvre), selon Linkcity. « La réhabilitation est un levier de décarbonation, juge Nathalie Monvel, directrice programme des projets urbains en Ile-de-France. Or, nous devons réduire nos émissions de CO2 de 40 % d'ici 2030 par rapport à 2019. » Sur ce marché, la filiale de Bouygues Construction part avec un avantage. « Nous travaillons avec les filiales de Bouygues Bâtiment France, qui met à notre disposition un service technique pour mesurer le risque et la faisabilité économique du projet de réhabilitation », souligne Nathalie Monvel. Linkcity privilégie les immeubles mono- propriétaires. « Par expérience, il faut compter plus de cinq ans avant de mettre d'accord les copropriétaires, puis de lancer les travaux », o bserve-t-elle. Sont appréciés les bâtiments conséquents dans les grandes métropoles. « Dans les petites communes, l'opération est rentable quand il existe un potentiel de surélévation ou qu'il reste du foncier disponible à proximité, pour ajouter une dose de neuf », ajoute-t-elle.

D'autres promoteurs ont senti le vent tourner et tablent sur une croissance de la réhabilitation. Le francilien Emerige enchaîne ainsi les projets de reconversion d'envergure : du programme mixte Morland, livré à Paris (IVe ) en mai 2022, au centre d'art situé sur l'île Seguin à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine), en lieu et place de l'ancienne usine Renault. Le chantier a démarré en août 2022 pour une livraison prévisionnelle en avril 2026.

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Ingénierie financière Quartus, lui, met en avant une vingtaine d'opérations sur son site internet, dont un tiers sont des réhabilitations, d'Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne) à Nantes (Loire-Atlantique). Ce virage pris pendant la pandémie s'est traduit cette année par la création d'un fonds dédié à l'achat d'immeubles à réhabiliter, en partenariat avec une banque nationale et un acteur de la régénération urbaine. « Sans ce fonds, chaque achat d'actif pèserait trop lourd sur nos comptes, insiste Emmanuel Launiau, le président du groupe. Car la structure financière des promoteurs repose sur l'achat de foncier avec en général 10 % de fonds propres, une fois les autorisations obtenues. Dans le cas d'un bâtiment à réhabiliter, il faut 50 % de fonds propres jusqu'à l'obtention des autorisations. Or, deux ans environ s'écoulent entre la promesse de vente et l'achat. » Endosser ce risque n'est pas à la portée de tous les promoteurs. Il ne faut donc pas s'attendre à une ruée vers ce marché. « Néanmoins, la progression en 2022 du chiffre d'affaires d'acteurs comme Quartus montrent que c'est la bonne voie », observe Radmila Pineau, économiste au sein du groupe Ecole supérieure des professions immobilières (ESPI).

Quartus compte faire passer la part de réhab' dans son chiffre d'affaires de 25 % en 2022 à 40 % en 2026. « C'est énorme car la compétence artisanale de la restructuration, liée aux contraintes techniques de la transformation de l'existant, est incompatible avec la stratégie de volumes, témoigne Emmanuel Launiau. Cette création de valeur, les clients particuliers acceptent de la payer. » A condition qu'ils obtiennent leurs crédits… Enfin, le prix d'acquisition du foncier, seule variable d'ajustement, doit être acceptable pour le promoteur. « Nous ne pouvons plus toucher à la marge, confie-t-il. En ce moment, elle est rarement supérieure à 3 ou 4% avant impôts. »

 

Nexity mise sur la rénovation des copropriétés

« Nexity, c'est aussi un syndic », a rappelé Véronique Bédague, P-DG du groupe, aux fournisseurs invités à son « Salon construction & rénovation » en juin dernier. Le premier promoteur français espère embarquer dans le marché porteur de la rénovation de logements un maximum d'énergéticiens et autres partenaires car « derrière, il y a du business », observe Karine Olivier, directrice générale du pôle services aux particuliers (syndic de copropriété, gestion, location et transaction). Pour Nexity, cela se traduit par des honoraires travaux via deux offres.

La première repose sur un partenariat avec Urbanis. Concrètement, la société de conseil se met au service des copropriétaires en tant qu'AMO : présentation d'un devis, vote, obtention des aides… La deuxième, baptisée Casbâ, s'adresse aux bailleurs privés dont le logement étiqueté E, F ou G est visé par une interdiction de mise en location.

Sur les 200 000 immeubles gérés par Nexity, plus de 80 ont été rénovés depuis 2018. Les travaux de 520 copropriétés sont en cours ou à l'étude.

« Les promoteurs nationaux sont avantagés », Radmila Pineau, économiste au sein du groupe Ecole supérieure des professions immobilières (ESPI)

« La transformation du bâtiment existant peut réserver quelques surprises et donc retarder la livraison. De ce point de vue, les promoteurs nationaux sont avantagés pour porter ce risque grâce à leurs fonds propres. Mais les acteurs locaux ont aussi leur mot à dire, de par leur proximité avec les élus et les propriétaires de bâtiments à valoriser, et leur approche opportuniste. »

 

L'entreprise Macoretz renverse aussi son modèle

D'ici quelques mois, il ne faudra plus qualifier Macoretz de constructeur de maisons individuelles, mais d'entreprise spécialisée dans la rénovation. « En 2021, environ 70 % de notre chiffre d'affaires provenait de la construction neuve, explique Xavier Lebot, directeur général de la Scop basée en Loire-Atlantique. En 2024, cette proportion correspondra à la rénovation, à la réhabilitation lourde ainsi qu'à l'extension/élévation. » Sur ce marché en croissance, à l'inverse de celui du neuf, le dirigeant multiplie les projets pour profiter de cette dynamique.

Alors que sa clientèle se compose actuellement à 90 % de particuliers, Xavier Lebot veut d'abord se reposer sur les bailleurs sociaux : « Nous développons une offre Reso - pour “réhabilitation en site occupé” - avec un tiers financement et une contractualisation de la maintenance sur trente ans. » Mais la Scop n'abandonne pas son cœur de cible. « Nous travaillons activement à une offre sous forme de bouquets de travaux destinée aux particuliers. » Pour ce faire, Xavier Lebot s'est rapproché de l'association Dorémi, qui l'épaule aussi sur l'obtention des aides MaPrimeRénov' et des certificats d'économies d'énergie.

Enfin, Macoretz se rapproche des promoteurs afin de nouer des partenariats dans le domaine de la réhabilitation lourde. « Soit nous achetons nous-mêmes une maison ou un immeuble à rénover pour les revendre ensuite, soit nous constituons un partenariat avec un investisseur en lien avec une agence immobilière, qui mettra ensuite en location le bien rénové. » Pour une entreprise qui envisage de réaliser 26 M€ de CA en 2023, il s'agit d'investissements importants. Mais son dirigeant compte bien jouer sur sa connaissance du territoire et multiplier les démarches auprès d'acteurs tant publics que privés. La Scop va d'ailleurs aussi investir dans un outil industriel de 1 000 m2 pour développer l'isolation thermique par l'extérieur en ossature bois.

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