« Je me souviens très bien de ce fameux jour où nous sommes tous partis de l’agence avec nos ordinateurs, nos classeurs et nos rouleaux sous le bras, juste avant le premier confinement. On s’est même pris en photo. Sur le moment, cette sorte d’exil nous a fait beaucoup rire. On prenait la situation avec légèreté puisqu’on ne savait pas combien de temps le télétravail allait durer. J’ai ensuite rapidement compris qu’en tant que cheffe d’entreprise, il fallait que je protège mes collaborateurs. Il était alors hors de question de revenir à l’agence.
C’est une situation que je continue de privilégier, car nous sommes en Ile-de-France où le virus n’a jamais cessé de circuler, nous avons été un certain nombre à le contracter. Toutefois, il est possible de se réunir une fois par semaine tous ensemble - nous sommes sept - dans le respect strict des gestes barrières [entretien réalisé avant l’annonce du reconfinement de la région, NDLR]. Nous passons en revue les projets, abordons les difficultés éventuelles et, surtout, retrouvons le sens du partage. Ce partage s’est traduit au sein de l’agence par mon association avec deux cheffes de projet, Noémie Roux et Valeria Cataldi. C’est la note optimiste que je retiens de 2020.
« Je porte depuis un regard différent sur la maîtrise d’un projet »
Le fait d’avoir été coupée du terrain de manière récurrente m’a donné envie de le connaître encore mieux, d’y rentrer par d’autres biais que la nature du sol ou l’ensoleillement. Je veux notamment parler du tissu local d’entreprises et de l’économie circulaire. L’an dernier, nous avons perdu un concours organisé dans le cadre des Jeux olympiques à Paris, mais je suis très contente du projet rendu car on a poussé extrêmement loin la question des circuits courts et du réemploi.
Je porte depuis un regard différent sur la maîtrise d’un projet. Le réemploi laisse une part des choses non contrôlable, puisqu’on ne sait pas totalement à quoi va ressembler le bâtiment au final. Ce lâché prise esthétique peut être perçu comme inquiétant par un architecte. En réalité, c’est formidable de laisser de la place à une forme d’inconnue, en fonction des ressources qui arriveront à être mobilisées pour le chantier. Je suis déçue de ne pas pouvoir mener jusqu’au bout ce projet pour les JO. Mais nous trouverons d’autres terrains de jeux.
« En situation d’urgence, on arrive à faire des exploits »
Je garde aussi en mémoire le jury de l’Equerre d’argent 2020 auquel j’ai participé en novembre dernier par visioconférence. Se posait là encore la question du rapport au sensible, qui est inhérent à notre métier d’architecte. Prendre connaissance des projets des confrères via des fichiers PDF que l’on déroule à l’écran, ce n’est décidément pas pareil qu’en réel. En revanche, la visio n’a pas éteint les convictions des membres du jury qui ont pu échanger, discuter et débattre. En situation d’urgence, on arrive à faire des exploits. J’espère que ce sera l’exploit d’une année seulement. »