"On ne peut pas avaler une augmentation prix de plus sur le carburant !". Cela fait quelques jours seulement qu'Antoine Kula, président de Pivetta BTP, implanté à Thourotte (Oise), a eu vent de la suppression du taux réduit de TICPE sur le gazole non routier (GNR), dont bénéficiait le BTP, dans le Projet de loi finances 2019. Et l'information a du mal à passer.
"Notre carnet de commandes est plein jusqu'en juin prochain. Voilà très longtemps que n'avions pas eu d'aussi belles perspectives, nous permettant peut-être de réinvestir dans du matériel. Et ce bol d'air serait annihilé par la suppression de l'avantage sur la TICPE ?", s’agace le dirigeant, encore incrédule.
Impact sur les bénéfices
Chez Ramery TP, à Erquinghem-Lys (Nord), l'heure des comptes a déjà sonné : la mesure gouvernementale pourrait coûter 700 000 euros à l'entreprise l'an prochain, soit 0,5 % de son chiffre d'affaires.
Bernard Duhamel, directeur général délégué de l’entreprise, a consulté le Projet de loi de finances 2019 du gouvernement, puis tenté de le traduire dans les faits. En 2019, les opérateurs de travaux publics n'auraient plus le droit au GNR et devraient utiliser du gazole ordinaire. "Techniquement, la conversion de nos cuves et de nos engins ne sera pas compliquée, indique-t-il. Mais passer de 1 euro à 1,5 euro le litre de carburant impactera durement les entreprises, notamment celles qui réalisent des terrassements et grands travaux d'aménagement. Il faut rappeler que la marge moyenne dans notre secteur d'activité n'est que de 1,5 %", alerte-t-il.
Absence de concertation
Personne n'a vu venir ce coup, jugé brutal, rappelle le dirigeant de Ramery TP, qui est aussi président de la Fédération régionale des Travaux Publics (FRTP) des Hauts-de-France (620 adhérents).
"La mesure a été décidée sans concertation". Et, selon lui, en contradiction avec le renforcement des crédits pour l'entretien des infrastructures inscrit dans la future loi d'orientation des mobilités (LOM).
"Ce qu'on nous accorde d'une main, on nous le reprend de l'autre. Et par voie de conséquence, les travaux supplémentaires prévus ne se feront pas, et les infrastructures ne seront pas mieux entretenues".
Incertitudes nombreuses
Dans l'immédiat, la question des contrats déjà conclus préoccupe les deux dirigeants. "Nous travaillons souvent sur des marchés pré-estimés par nos clients. Si nous y ajoutons un surcoût, cela signifiera de nouvelles négociations ou de nouveaux appels d'offres", s'inquiète Antoine Kula.
S'agissant des marchés publics, l'Insee, chargé du calcul de l'indice des prix, "va avoir du boulot" pour intégrer le futur tarif des carburants, estime Bernard Duhamel. "Quid des marchés privés ? Et quelle ligne les chefs d'entreprises doivent-ils adopter pour les contrats qui seront discutés d'ici à la fin de l'année ? Il appartient au gouvernement, a minima, de lever les ambiguïtés financières", réclame le président de la FRTP.
Antoine Kula est dépité. "Cela fait des années que la profession souffre, que les entreprises se replient, que les jeunes et les personnels qualifiés fuient le métier. Comment comprendre qu'on nous complique encore la tâche alors que, dans une économie qui tourne, nous pourrions créer beaucoup d'emplois ?"
Les TP lancent des opérations escargots
La mobilisation contre la hausse annoncée de la taxe sur le gazole non routier pour le BTP gagne du terrain dans le secteur des travaux publics. Des entreprises de TP vont par exemple mener des opérations escargots dans l’ancienne Champagne-Ardenne, ce lundi 5 novembre, en signe de protestation, annonçait mardi 30 octobre la FNTP.
« Nous avons toutes les raisons d’être inquiets pour l’avenir », répète la Fédération, annonçant les opérations escargots dans les quatre départements de Champagne-Ardenne, ainsi que des manifestations devant les préfectures, le matin du 5 novembre.
La FNTP met l’accent sur la région Champagne-Ardenne, car elle juge que le secteur y sera particulièrement touché : elle prévoit que sa marge baissera de plus de moitié et que « de nombreuses entreprises n’y survivront pas », notamment les PME. Le secteur des TP regroupe près de 250 entreprises dans cette région.