Quand bien même nous réussirions à tenir tous les objectifs de baisse des émissions de 55 % en 2030 et de neutralité carbone en 2050, […] la pente globale sur laquelle nous sommes engagés ne permet pas de respecter l'accord de Paris », a récemment acté le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu. Autrement dit, l'espoir de limiter le réchauffement planétaire à + 1,5 °C en 2100 par rapport à l'ère préindustrielle, soit + 2 °C en moyenne en France métropolitaine, s'est définitivement évanoui. Ce seuil sera atteint dès les années 2030, et ce, quels que soient les efforts pour réduire les émissions mondiales de gaz à effets de serre, indique le Groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat (Giec) dans son sixième rapport.
Cette conclusion scientifique a incité le gouvernement à travailler sur la base du scénario de hausse des températures le plus pessimiste. Il prévoit leur stabilisation d'ici à la fin du siècle pour atteindre + 3 °C à l'échelle mondiale et + 4 °C à celle de la France métropolitaine. C'est sur ce modèle que s'élabore actuellement le troisième plan national d'adaptation au changement climatique (Pnacc-3), annoncé pour la fin de l'année. Il devra répondre à une question essentielle : quels moyens mettre en œuvre pour nous préparer à cette nouvelle donne ?
La prise de conscience de 2022. Bien que complexe, le défi peut être relevé, insiste François-Marie Bréon, physicien-climatologue au Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement. « La France doit faire sa part en continuant d'abaisser ses consommations énergétiques et par là même, ses émissions de CO2. Mais l'atténuation demeure une problématique globale et politique qui se discute à la table des grands sommets internationaux. A l'inverse, l'adaptation est locale, nous pouvons mettre l'accent dessus sans attendre de rallier d'autres parties », estime-t-il.
Cette accélération suppose un changement profond de logiciel car cette démarche est longtemps restée un impensé de la transition climatique. Elle était vue comme un aveu d'impuissance face à des émissions de gaz à effet de serre qui n'ont cessé d'augmenter dans le monde au cours de la dernière décennie (56 gigatonnes équivalent CO2 en moyenne par an), même si le rythme est deux fois moins rapide que lors de la décennie précédente. L'année 2022, la plus chaude jamais enregistrée en France depuis le début du XXe siècle selon Météo France, aura été celle de la prise de conscience. Une « annus horribilis » qui a donné l'occasion d'éprouver l'urgence à adapter les territoires, et en premier lieu les environnements urbains.
Reste maintenant à adopter des démarches plus résolues et massives. Nombre de spécialistes, tels que Rémi Babut, chef de projets Logement au sein du laboratoire d'idées The Shift Project, regrette, par exemple, que les solutions passives susceptibles d'améliorer le confort d'été (protections solaires, isolation…) demeurent « les grandes oubliées des politiques d'aides publiques ». De même, les experts sont quasi unanimes pour considérer que la végétalisation de l'espace urbain ou la désimperméabilisation de sols sont autant de leviers encore sous-employés pour lutter efficacement contre les îlots de chaleur. Une nouvelle ingénierie fondée sur la connaissance des arbres et des sols est nécessaire, ainsi qu'un « changement de culture de la part des professionnels du bâtiment », estime Rémi Babut. Et de citer l'exemple des architectes du patrimoine « qui devront considérer certaines pistes, comme la peinture en blanc des toitures parisiennes ».
Une forte hausse de la sinistralité sécheresse. Evidemment, adapter réclamera des milliards d'euros annuels d'investissements, mais le coût de l'inaction serait encore plus insurmontable, avec notamment des conséquences assurantielles qui sont aujourd'hui prises en compte dans les réflexions du futur Pnacc-3. France Assureurs anticipe, par exemple, un triplement du coût de la sinistralité sécheresse à l'horizon 2050, principalement dû au phénomène de retrait-gonflement des sols argileux. En France, 10,4 millions de constructions légères, soit 54 % du parc, sont ou seront exposées à ce risque. « Il va falloir réaliser des actions préventives pour éviter d'avoir à renforcer structurellement les constructions, ce qui s'avère coûteux en argent et en carbone », avertit Rémi Babut.
Plus que jamais, il s'agit d'être efficace, en prenant toujours garde à la « mal-adaptation », et en n'hésitant pas à réinterroger certains projets qui n'ont pas été pensés pour réduire la vulnérabilité des territoires et peuvent en amplifier l'exposition.