Grand Prix de l'urbanisme : Simon Teyssou, façonneur d'extra dans l'ordinaire

A force de petits aménagements soignés, l'architecte sème de la qualité dans le monde rural, et d'abord dans sa région du Cantal.

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Simon Teyssou, fin 2023, au Rouget-Pers. Si l’architecte a désormais des projets hors d’Auvergne, ses attaches restent dans ce bourg du Cantal où il a son domicile et son agence, réunis dans un bâtiment qu’il a construit en 2014.

Dans les réalisations que l'architecte Simon Teyssou dissémine depuis plus de vingt dans le Cantal et alentour, on trouve souvent un banc où s'asseoir. Dans l'ancienne école de Mandailles-Saint-Julien transformée en lieu d'accueil et d'hébergement, les randonneurs en ont un à disposition pour se déchausser en face des casiers de l'entrée. Sur celui creusé dans le muret devant l'Espace Jean-Labellie, au Rouget-Pers, les enfants du centre de loisirs et les abonnés de la médiathèque peuvent prendre le soleil. Dans ce même bourg, à 25 km au sud-ouest d'Aurillac, il y a évidemment un banc à proximité de son grand bureau, dans les locaux de l'Atelier du Rouget-Simon Teyssou et Associés, établi dans les niveaux bas d'un petit immeuble en bois qu'il a construit en 2014. Et dans l'appartement situé au-dessus, il y en a encore autour de la table du séjour. Ils sont pratiques pour accueillir les enfants de la famille et glisser parmi eux les visiteurs de passage. Architectes et autres curieux viennent à la découverte des bâtiments et des aménagements de leur hôte, dont la presse spécialisée salue la qualité depuis une dizaine d'années. Cette attention accordée aux communes rurales et à leurs habitants, encore inhabituelle, vaut à Simon Teyssou une reconnaissance nationale. Le 20 décembre, le ministre délégué au Logement, Patrice Vergriete, lui remettra le Grand Prix de l'urbanisme 2023.

Elément naturel. La convivialité de ces bancs, l'architecte Jean-François Chavois en est un habitué depuis qu'il a écrit à son confrère à l'issue de l'une de ses conférences à Paris. « On ne se connaissait pas mais il m'a répondu que le mieux serait que je vienne le voir », se souvient l'invité. Ce dernier découvre alors un homme « qui observe une certaine distance. Mais qui est aussi disert », surtout lorsqu'il parle architecture et de cette volonté de prendre soin des territoires qui l'anime. « Dans cette période où je m'interrogeais sur ma propre pratique en Normandie, raconte Jean-François Chavois, il démontrait qu'il est possible de réaliser des choses minimes mais justes, d'être exigeant et de s'épanouir dans un territoire isolé. » Ce monde rural est l'élément naturel, vital peut-être, de Simon Teyssou. S'il est né à Paris en 1973, sa famille s'installe rapidement sur les terres d'origine du père, à Saint-Victor, dans le Cantal. L'esprit bohème de 1968 flotte sur la maisonnée. « Avec mon frère jumeau et ma sœur, nous avons reçu une éducation atypique, raconte-t-il. Notre ancrage local était contrebalancé par les voyages que nous faisions lors des grandes vacances. » Comme sa mère est américaine, la famille se rend régulièrement aux Etats-Unis. Ou alors elle sillonne l'Europe, le Maroc… Le reste de l'année, le quotidien est assez « rustique, mais dans le bon sens du terme », assure l'architecte. Chez ces écolos de la première heure, on se chauffe au bois et les enfants ont de quoi s'occuper avec le potager, les poules et quelques moutons. Simon Teyssou se voit devenir paysan. Quant à la vieille demeure de famille, elle est « en chantier permanent. Tout était fait à la main, avec l'aide de ceux qui passaient par là. » A l'écouter évoquer « ces gens qui venaient de partout et restaient des mois, comme cet Allemand de l'Est que mes parents ont un jour pris en stop et qui a habité avec nous pendant un an », on imagine une maison du bonheur. Et on croit comprendre d'où le discret architecte tient son sens de l'accueil, simple et généreux.

Ancien étudiant de l'école d'architecture de Clermont-Ferrand, Simon Teyssou en est le directeur depuis 2019

Escher et maisons paysannes. Dans la bibliothèque parentale, deux livres passionnent Simon Teyssou, « le premier sur les maisons paysannes d'Auvergne, l'autre sur l'œuvre d'Escher », l'artiste néerlandais notamment célèbre pour ses dessins d'étranges bâtisses. Dessiner, le garçon y passe lui aussi son temps et sa mère sait le lui rappeler quand il doit choisir son orientation, après le lycée. Il se retrouve alors à l'école d'architecture de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme). Si, depuis 2019, il dirige cette institution, à l'époque, il suit d'abord ses cours sans grande conviction. Jusqu'à ce qu'il découvre, à l'occasion d'un séjour en Ecosse, la notion de « régionalisme critique » développée par l'historien britannique Kenneth Frampton. Simon Teyssou est frappé par cette vision d'une architecture contemporaine qui synthétise la modernité et les traditions locales. Quand ses camarades de promotion aspirent à rejoindre de grandes agences citadines, lui entrevoit qu'une pratique sur ses terres est possible. Il ouvre son agence en 2000, d'abord à Clermont-Ferrand, puis il la transporte très vite au Rouget-Pers. La commande existe, souvent minuscule mais très diverse. Elle va de la transformation d'un presbytère à des aménagements d'espaces publics. Elle est parfois poussée par des politiques publiques en faveur du développement de gîtes ruraux ou de la redynamisation des villages.

« Très vite, les questions sont devenues urbaines. Même si j'avais eu un enseignement sur ces sujets en milieu rural en quatrième année d'études, j'ai plutôt appris en autodidacte, explique l'architecte. Mais élargir ma pratique m'est apparu une évidence. » Son ami Jean-François Chavois confirme : « Il suffit de regarder son compte Instagram, ses photos sont à 80 % des images de sols. Pour lui, c'est le socle de tout. Finalement, son travail est désormais plutôt tourné vers l'urbanisme, notamment avec son usage très efficace du plan-guide. » Ce type de programmation sur le temps long, Simon Teyssou le pratique en particulier chez lui, dans le bourg du Rouget.

Dessin à la main. Si ses projets l'emmènent aujourd'hui au-delà des limites de l'Auvergne, l'architecte n'oublie pas d'où il vient ni où il est. Il a souvent travaillé avec des territoires qui ne disposaient pas de gros budgets. « Faire avec les moyens du lieu, c'est accepter parfois une forme d'ordinaire », dit-il. L'architecte Franck Bassin, qui travaille avec lui depuis les débuts, ajoute : « Il dessine tout, à la main. Mais à la campagne, il faut le faire sans en avoir l'air, intervenir sans s'imposer. » Et savoir discuter avec les parties prenantes. Le maire du Rouget-Pers, Gilles Combelle, apprécie le dialogue qu'il a noué au fil des ans avec Simon Teyssou, et il reconnaît à l'architecte « d'avoir fait monter le curseur de nos exigences. En milieu rural, on croit peut-être qu'il faut d'abord penser utile. Mais il nous a montré que la qualité, le beau, cela pouvait aussi être pour nous.

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Espaces publics : Chaliers soigne son bord de route

Chaliers est « un village-rue sans épaisseur ». La description que fait Simon Teyssou de ce petit bourg du Cantal n'a rien de dépréciatif. C'est un fait. Perché en haut d'une crête, il aligne ses maisons au bord de l'unique route qui monte jusqu'à la mairie et s'arrête quelques mètres plus loin.

Après, il ne reste plus qu'à redescendre. Mais de là-haut, la vue plongeante sur les méandres de la Truyère vaut le détour. Depuis 2014, on peut profiter du panorama à partir du parking réalisé au pied de l'église, puis aller s'asseoir sur le muret de pierre, pensé comme une assise, devant la mairie.

L'Atelier du Rouget a saisi l'occasion des travaux qui devaient être menés sur les réseaux sous la voirie pour casser la continuité du ruban routier afin d'y ménager des pauses.

Trois placettes sont apparues, matérialisées notamment par des pavages et des maçonneries en pierres, dont certaines avaient été récupérées. « Nous souhaitions que l'aménagement s'installe dans la durée, en investissant dans la qualité matérielle d'endroits qui représentent une intensité d'usage », explique Simon Teyssou. Aussi précisément dessinés qu'ils étaient petits, les espaces publics de Chaliers sont vite devenus emblématiques du travail de l'architecte et de son attention aux lieux, si reculés et modestes soient-ils.

 

Centre-ville : Aurillac adoucit sa voirie

Pour les aménagements futurs de son centre ancien, la Ville d'Aurillac (Cantal) s'est procuré un catalogue de rues. Elle peut ainsi se baser sur le référentiel établi par l'Atelier du Rouget depuis 2019 et testé sur cinq voies dont la requalification était en cours de finalisation cet automne. L'ensemble se fonde sur des éléments communs : l'exclusion de l'automobile, des sols pavés soigneusement calepinés, de la végétation comme dans la rue des Frères-Charmes, avec un chapelet de petites noues suffisamment profondes pour collecter les eaux de ruissellement. Le référentiel prévoit trois scénarios convenant à des artères commerçantes de largeur variable ou à des voies plus résidentielles. En une série de croquis, l'atelier a imaginé comment « coloniser » les seuils pour étendre le domaine des boutiques ou des logements.

Ce travail de « frontage » envisage l'installation de tapis de dallages différenciés, de blocs d'assise ou de massifs plantés comme autant de moyens de tenir les passants à distance. « Dans les rues d'habitations, notamment, cela formerait des cours urbaines qui pourraient encourager les gens à s'approprier les pieds de façade et, même, rendre désirable le fait de vivre au rez-de-chaussée », estime Simon Teyssou.

 

Aménagement : petit à petit, Le Rouget s'invente une nouvelle cohérence

L'atelier de Simon Teyssou n'est pas seulement installé au Rouget-Pers. Il est aussi l'artisan d'une transformation ordonnée, à marche lente, de cette commune du Cantal. A l'issue de ses premiers chantiers, il a proposé d'établir un programme global, permettant d'articuler les opérations menées dans l'espace public. Depuis la première ébauche, en 2017, du plan-guide du parc du Rouget, toute intervention, même la plus modeste, s'effectue en cohérence avec la précédente.

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Et la suivante. L'Espace Jean-Labellie, qui réunit le centre de loisirs et la médiathèque, s'est ainsi construit dans la continuité de la requalification de l'ancien foirail ou des rives du plan d'eau.

Rue après rue, une trame de cheminements piétonniers se constitue. Traitées avec simplicité - sol gravillonné, plantations, piquets de bois, etc. -, « ces liaisons ont créé de la vie. Les gens ont délaissé la voiture au profit de la marche, que ce soit pour emmener les enfants à l'école ou pour faire leurs courses », constate Gilles Combelle, le maire du Rouget-Pers. Qui assure : « Aujourd'hui, je ne vois pas comment nous pourrions faire un projet sans nous référer au plan-guide. »

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