Portrait

Grand prix de l'urbanisme : Claire Schorter, les pieds sur la terre

La fondatrice de l'agence L'Amour des quartiers voit récompensé son travail sur la ville non générique, humaine et résolument écologique.

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Claire Schorter dans le premier des îlots du quartier République, à Nantes. De 2017 à 2024, l'urbaniste et la paysagiste Jacqueline Osty (mandataire) ont assuré la maîtrise d'œuvre urbaine sur toute l'île de Nantes.

Urbaniste, elle l'est, c'est certain. Mais cela ne fait pas de Claire Schorter une citadine. Dans les villes comme Paris, elle ressent « un problème de sol. Trop d'enrobés. Il manque l'odeur de l'humus. » Cet ingrédient lui est indispensable, autant dans sa vie personnelle que pour les projets qu'elle développe. Dans la composition de ses travaux, la pleine terre a toujours un poids, que ce soit sous la forme de petite parcelle jardinée, de nature restaurée, de lisière forestière ou d'activité agricole préservée. Le jury du Grand prix de l'urbanisme, dont la cérémonie de remise a eu lieu le 18 décembre, a d'ailleurs salué ce qu'il a qualifié d'« ambition d'écologiser la fabrique de la ville. » La lauréate 2024 préfère parler de son « militantisme » en faveur de l'environnement et de la résilience des milieux. Mais n'est-ce pas le minimum que l'on peut attendre de tous ceux qui pensent la forme urbaine des décennies à venir, surtout quand les perspectives climatiques sont alarmantes ? « Elle est une écologiste ultra-convaincue », insiste alors sa grande amie, Anne Pezzoni, architecte associée de l'agence Archi 5. Qui va encore plus loin : « Je pense qu'elle travaille à l'amélioration du monde, profondément. » L'autre engagement affirmé par Claire Schorter est d'ailleurs « l'humain, la question du bien-vivre en ville. Et comment on réenchante celle-ci ». Cette attention à l'autre, également soulignée par le jury du Grand prix, l'urbaniste l'a forgée à partir de sa propre expérience. « J'ai eu la chance de vivre dans des quartiers qui m'ont plu… Et dans d'autres que je n'ai pas aimés. Je sais l'impact du cadre de vie sur l'épanouissement des gens. »

Une enfance périurbaine à l'orée de la forêt. Claire Schorter est une enfant de la grande banlieue, celle qu'on nommerait aujourd'hui le périurbain. Elle connaît la diversité « de ce chapelet de villes avec chacune leur identité ». Née en 1972 à Suresnes (Hauts-de-Seine), elle a en effet grandi dans l'Essonne, « des deux côtés de la forêt de Sénart ». Son père, un architecte, mais de la catégorie des artisans de la discipline, qui collait « ses zips [1] sur ses plans, était proche de ses clients et toujours sur ses chantiers », avait choisi avec grand soin l'endroit où installer sa famille. Elle habite alors un ensemble résidentiel moderniste à Brunoy, située à la fois à une distance raisonnable de Paris 20 minutes en RER - et à l'orée du bois. « Ce lieu était le paradis des enfants. Il n'y avait pas de clôture et nous y allions fabriquer des cabanes ou jouer avec la terre glaise entre copains », se souvient l'urbaniste. Alors qu'elle a 12 ans, sa famille déménage dans une maison dans la petite ville d'allure faubourienne de Soisy-sur-Seine, entre le fleuve et la forêt… mais pour le collège, puis le lycée, il faut se rendre à Evry. Elle se revoit arriver tous les jours par la station de bus sous la dalle de cette ville nouvelle « pas finie mais déjà vieillie ». Claire Schorter déteste tout : la végétation rare et les courants d'air, les trottoirs étroits et « les fontaines sans eau ».

Bac scientifique en poche, la jeune femme hésite entre deux orientations. Elle est à la fois fascinée par la génétique et attirée par l'architecture d'intérieur. Elle essaie de se « visualiser derrière une paillasse de laboratoire ou une table à dessin » et la deuxième image l'emporte. Elle intègre alors une école d'architecture - UP4 à Charenton-le-Pont (Val-de-Marne) - dans l'idée de bifurquer ensuite vers les Arts décoratifs. Ce qu'elle ne fera jamais.

« Au service de… » Dans l'atelier de Michel Conan, ses camarades et elle apprennent à décortiquer l'œuvre des plus grands, Frank Lloyd Wright ou Louis Kahn, mais sous l'angle de l'usage. Ils s'exercent à traduire les programmes en lieux de vie courante. Aujourd'hui, elle ne sait pas dire exactement ce qui, de l'exemple de son père « toujours au service de » ses commanditaires ou de cette formation « très tournée vers l'intérêt général, la bienveillance », l'a rendue si attachée aux aspirations des gens.

Diplômée en 1998, Claire Schorter s'engage sur la voie de l'urbanisme en agences, à commencer par celle de Paul Chemetov et Borja Huidobro, C+H+. Anne Pezzoni évoque leur rencontre, « lorsque nous sommes arrivées le même jour en stage. Nous étions fraîches et pimpantes, dans cette agence où il n'y avait que des hommes. J'y suis restée cinq ans et Claire, trois. Elle s'est tout de suite intéressée à l'urbanisme et s'est retrouvée sur des projets importants. J'ai alors observé sa culture de l'excellence, son travail toujours très juste. » Ces années 1990 marquent le début de la redécouverte des grands ensembles et de leur réhabilitation. De Paul Chemetov, Claire Schorter retient, là encore, la prise en considération de l'habitant. « Il était plutôt contre la démolition et disait : “On ne peut pas détruire la maison des gens, c'est aussi leurs souvenirs, leur histoire intime”. Mais il était aussi très critique sur ce qu'il appelait des rénovations “emplâtres sur une jambe de bois“.

« Je ne m'étais pas projetée dans la réparation de la ville.Et cela m'a passionnée. »

Jusqu'alors, je ne m'étais pas projetée dans la réparation de la ville. Et cela m'a passionnée », se remémore-t-elle.

« Savoir raconter un aménagement ». « Aujourd'hui, réparation est un mot qui revient sans cesse chez elle, remarque son cadet, Thibault Barbier, urbaniste et paysagiste de l'Atelier Georges qui travaille notamment à ses côtés sur la requalification d'une zone d'activités rennaise en déshérence (lire p. 54-55). Elle qui connaît parfaitement les mécanismes de la production de la ville, elle les utilise et les pousse aujourd'hui pour faire prendre aux projets une tournure sociale et écologique. » Cet apprentissage de la fabrique urbaine, Claire Schorter l'a poursuivi à l'agence Reichen et Robert & Associés. Auprès de Bernard Reichen, elle apprend notamment à transformer un projet en récit. « Un aménagement prend tellement de temps, qu'il faut savoir établir une stratégie, savoir le raconter », explique-t-elle. Là encore, elle prend part à des projets immenses.

Mais elle ressent le besoin d'interroger son travail, de repositionner sa pratique sur les modes de vie. Elle le fait d'abord en 2011, en s'inscrivant au DPEA (diplôme propre aux écoles d'architecture) « architecture et philosophie » de l'Ensa Paris-La Villette. Deux ans plus tard, elle crée sa propre agence qui, en 2017, devient LAQ, pour « L'Amour des quartiers. » Ce nom, né d'un choix de son équipe, précise-t-elle, traduit l'objectif et la responsabilité qui en découle : faire de « l'architecture du quotidien, en défendre la qualité », de même que la méthode : « Aller sur le terrain, rencontrer les élus, les habitants… » Thibault Barbier reconnaît justement à Claire Schorter une capacité « à dire les choses simplement, sans jargon mais aussi à susciter la parole, à installer la négociation. Ainsi, elle parvient à embarquer tout le monde, la maîtrise d'ouvrage et les autres parties prenantes ». En bâtissant sur l'île de Nantes, l'architecte Raphaël Gabrion avait la sensation « qu'avec elle, tout allait toujours bien se passer et que, si nous n'étions pas d'accord, il était possible de discuter ». Anne Pezzoni mettrait probablement cela sur le compte de la « folle énergie positive » de son amie.

(1) Films plastiques auto-adhésifs et préimprimés, pour délimiter les zones programmatiques.

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