Grand Paris Express : «Le chantier du lot 16-1 avance sur tous les fronts»

Le 20 février 2018, la Société du Grand Paris (SGP) a attribué à Eiffage le lot 1 de la ligne 16, entre Saint-Denis-Pleyel et Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis). Ce marché, d’un montant de 1,84 milliard d’euros HT, comprend la construction de près de vingt kilomètres de tunnels et de quatre gares. Alain Truphémus, directeur de projet adjoint ligne 16 à la Société du Grand Paris, et Pascal Hamet, directeur du projet ligne 16-lot 1 chez Eiffage Génie civil, font le point sur ce chantier hors normes.

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A gauche, Alain Truphémus, directeur de projet adjoint ligne 16 à la Société du Grand Paris, et, à droite, Pascal Hamet, directeur du projet ligne 16-lot 1 chez Eiffage Génie civil.

Quel est aujourd’hui l’état d’avancement du chantier ?

Alain Truphémus : Le chantier avance bien sur tous les fronts. Ce lot de génie civil comprend 25 ouvrages : quatre gares (Saint-Denis-Pleyel, La Courneuve-Six-Routes, Le Bourget RER et Le Blanc-Mesnil), la boîte (parois moulées et radier) de la gare Stade de France, quatre entonnements, et 16 ouvrages annexes. Les parois moulées sont terminées sur une quinzaine de ces 25 ouvrages.

Pascal Hamet : Nous avons réalisé environ 85 % des travaux de fondations spéciales. Il reste principalement deux ouvrages à terminer : les parois moulées de la gare Stade de France et le puits Agnès à Aubervilliers, d’où s’élancera le tunnelier de la ligne 15. Les travaux qui ont démarré fin septembre-début octobre s’achèveront au printemps 2020. Par ailleurs, un premier tunnelier a commencé à creuser, à la mi-octobre, entre le puits Braque, sur les terrains PSA à Aulnay-sous-Bois, et Le Blanc-Mesnil.

Quel est le calendrier du lot 16-1 ?

P. H. : Le marché d’Eiffage se termine en novembre 2023.

A. T. : Le lot attribué à Eiffage, qui englobe génie civil et systèmes (pose des voies ferrées, des caténaires, des passerelles le long des voies, etc.), ne représente pas l’ensemble de l’opération. Il restera encore quelques prestations à réaliser dans les tunnels — signalisation, tirage de câble, etc. — ainsi que tous les travaux de corps d’état secondaires pour l’aménagement des gares. Les quatre appels d’offres sont en cours avec un objectif d’attribution cette année et un démarrage des prestations dès cette année.

« Simplifier les interfaces en tunnel entre génie civil et systèmes »

Pourquoi avoir associé génie civil et systèmes ?

A. T. : Le lot 16-1 doit être mis en service pour les Jeux olympiques de 2024. Compte tenu de l’enjeu particulier de ce planning, il nous est apparu que cette solution permettrait de simplifier les interfaces en tunnel entre les travaux de génie civil et les travaux de systèmes.

P. H. : Cette association induit une plus grande souplesse pour l’entreprise. En fonction de la disponibilité des tunnels creusés, nous adapterons l’intervention de nos collègues sur la partie ferroviaire. Cela supprime des tâches de co-activité et entraîne une plus grande simplicité de fonctionnement. On devrait se diriger vers une méthode similaire pour les lignes 15 est et 15 ouest, qui seront construites en conception-réalisation. Les entreprises auront encore un peu plus de prestations à piloter et à cordonner, mais moins d’interfaces à gérer.

Le deuxième tunnelier, qui s’élancera en ce début 2020, passera sous le faisceau ferroviaire du Landy, à Saint-Denis, d’une largeur de près de 300 m. Ce franchissement nécessite-t-il la mise en place de dispositions particulières ?

A. T. : C’est un point d’attention particulier car il faut garantir la sécurité des circulations ferroviaires au-dessus du tunnelier en train de creuser. Cela demande un travail d’anticipation important notamment par la mise en place d’une auscultation de l’ensemble des voies ferrées pour être en mesure d’alerter instantanément les services de la SNCF en cas de détection de mouvements de sol supérieurs à ceux autorisés, qui sont de quelques millimètres. Nous travaillons de manière très étroite avec la Mission de sécurité ferroviaire mise en place spécifiquement par la SNCF pour accompagner les travaux du Grand Paris Express. Nous ne sommes absolument pas inquiets. La technique du tunnelier à pression de terre qui va être utilisée permet tout à fait de respecter les seuils sans devoir interrompre la circulation des trains. En revanche, les tunneliers devront fonctionner 24 heures sur 24 et sept jours sur sept au passage sous les voies ferrées.

« Des ouvrages de dimensions exceptionnelles réalisés dans des environnements contraints »

P. H. : Trois tunneliers passeront sous les voies ferrées du Landy : deux à l’été 2020 — celui de la ligne 14 et celui de la ligne 16 — et le troisième, celui de la ligne 15 évoqué plus haut, un an plus tard. Ils traverseront ensuite la gare Saint-Denis-Pleyel.

Quels sont les autres points d’attention du chantier ?

A. T. : La gare Saint-Denis-Pleyel, justement. C’est un chantier hors normes. Outre les trois tunneliers qui vont la traverser, elle s’étend sur 2 ha et représente 50 000 m2 de surface de plancher. Près de 300 000 m3 de matériaux vont être évacués lors des travaux de terrassement. De plus, elle s’insère dans un environnement complexe du fait de la proximité des voies ferrées du Landy et du futur chantier du franchissement urbain Pleyel avec lequel nous allons devoir partager des emprises. Si on élargit un peu le périmètre, de nombreux autres chantiers vont être menés dans le secteur Saint-Denis-Pleyel et pas des moindres — la construction du village olympique, la création d’un échangeur sur l’A86, la rénovation de la tour Pleyel, la réalisation du quartier Les Lumières-Pleyel… — avec le souhait des maîtres d’ouvrage de voir les projets aboutir à la même échéance, c’est-à-dire en 2024. Cette co-activité génère une complexité importante qui nécessite un travail étroit avec tous les donneurs d’ordres. La coordination est assurée par la Solidéo (Société de livraison des ouvrages olympiques) et son assistant à maître d’ouvrage interchantiers.

P. H. : La gare Saint-Denis-Pleyel se situe aussi non loin du Stade de France, ce qui implique la mise en place d’une gestion spécifique du chantier les jours de matchs ou d’événements culturels. D’un point de vue technique, cet ouvrage, outre ses dimensions hors normes, descend jusqu’à 54 m de profondeur. Pour résister aux déformations, les parois périphériques ne consistent pas juste en un pan vertical mais sont en forme de « T ». Sur la plus grande longueur de la gare, nous avons des portées de 120 m. Il faut donc construire des préfondés intermédiaires constitués de barrettes de parois moulées, qui sont elles-mêmes renforcées avec des structures métalliques lourdes. On a un peu tendance à banaliser les ouvrages du Grand Paris Express, qui ont démarré il y a maintenant trois ans, à considérer qu’ils sont devenus une routine. Ce n’est pas le cas. Ils restent des ouvrages de dimensions exceptionnelles réalisés dans des environnements contraints.

D’autres ouvrages présentent-ils une complexité particulière ?

A. T. : La construction de la gare du Bourget RER est également assez complexe du fait de son positionnement dans un triangle formé par le RER B, l’ex-RN2 et la grande ceinture fret de Paris, sans compter la présence, en souterrain, d’une canalisation du Siaap (Syndicat interdépartemental d’assainissement de l’agglomération parisienne). Cette implantation nous a conduits à concevoir un ouvrage dont les parois moulées forment un cercle parfait. Autant, lorsqu’un tunnelier arrive perpendiculairement à une paroi moulée, cela ne pose pas de difficultés, autant lorsqu’il « percute » une paroi moulée de manière biaise, il faut prendre un certain nombre de précautions. Et le découpage des voussoirs, après la réalisation du tunnel, se révèle assez délicat.

P. H. : On peut ajouter qu’une petite rue, qui traverse l’emprise, empêchait de réaliser la totalité des parois moulées dans la continuité. Nous avons donc dû basculer cette voirie pour ne pas interrompre le trafic automobile.

« Environ 70 % des voussoirs posés dans les tunnels du lot 16-1 seront en béton fibré »

Le chantier du lot 1 de la ligne 16 donne-t-il lieu à des innovations ?

A. T. : Nous allons mettre en œuvre des voussoirs en béton fibré. Ce matériau n’est pas innovant en soi, mais la France accuse beaucoup de retard dans ce domaine. A l’étranger, il est fréquemment utilisé depuis maintenant quelques décennies. Dans le cadre de l’appel d’offres de ce lot 1, la plupart des candidats avaient proposé une variante avec des voussoirs en béton fibré. Nous n’avons pas pu la retenir au stade de la signature du marché mais, accompagnés par le Centre d’études des tunnels (Cetu) et l’Institut français des sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux (Ifsttar), nous avons poursuivi les études avec le groupe Eiffage. Nous espérons pouvoir conclure un avenant dans les semaines qui viennent. En revanche, pour le lot 2 de la ligne 16, attribué à Salini Impregilo associé à NGE, le choix du béton fibré a été fait au moment de la contractualisation.

P. H. :Chez Eiffage, nous avons mis au point un procédé de béton fibré haute performance pour les ouvrages d’art. Jusqu’à maintenant, nous n’avions pas pu le transposer dans les voussoirs car les maîtres d’ouvrage n’étaient pas prêts à se lancer dans cette démarche. Au moment de la signature du marché avec la SGP, nous avons entamé des discussions pour savoir s’il était opportun de mettre en œuvre cette innovation compte tenu de l’enjeu majeur qui est celui du respect des délais. Au regard des études menées, de tous les essais auxquels nous avons procédé, nous sommes en mesure de garantir que les voussoirs en béton fibré que nous allons produire seront conformes aux attentes du maître d’ouvrage. Nous lançons la fabrication dès à présent. Celle-ci est assurée par l’usine Bonna Sabla de Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines). Environ 70 % des voussoirs posés dans les tunnels du lot 16-1 seront en béton fibré, soit un volume de 140 000 m3 sur 200 000 m3 au total.

A. T. : La Société du Grand Paris a une forte volonté d’innover, dans un double objectif : une plus grande vertu écologique et la recherche d’économies. Ce but est atteint avec l’usage du béton fibré, moins consommateur d’acier. Si les développements en cours sur les lots 1 et 2 de la ligne 16 portent leurs fruits, ils pourront être dupliqués sur les lignes 15 est et 15 ouest et apporter globalement une optimisation du projet du Grand Paris Express. Cette recherche d’économies fait partie de la feuille de route qui a été fixée par le Premier ministre à la SGP.

A part le béton fibré, d’autres innovations vont-elles être mises en œuvre ?

P. H. : Depuis la fin septembre, nous faisons tourner 30 camions au gaz pour évacuer les déblais jusqu’aux exutoires. Là non plus, ces véhicules ne constituent pas une innovation, sauf que, pour pouvoir circuler sur des routes peu ou pas carrossables avec parfois des pentes assez fortes, ils développent plus de puissance que ceux qui étaient jusqu’alors disponibles sur le marché. Par ailleurs, nous allons tester un procédé de caractérisation des matériaux baptisé « Carasol », pour « caractérisation rapide des sols ». Cette méthode permettra d’analyser les déblais extraits par les tunneliers en quelques heures, alors qu’aujourd’hui nous attendons cinq à sept jours les résultats des analyses effectuées en laboratoires. Lorsque Carasol aura été breveté, nous pourrons évacuer les déblais beaucoup plus rapidement et donc réduire les installations de stockage des terres. Ce qui constitue un réel avantage en tissu urbain dense, où les emprises de chantier sont souvent assez exiguës.

« Près de 400 millions d’euros sous-traités à des PME sur le lot 16-1 »

La SGP a fixé une clause de 20 % du montant des marchés attribués à des PME. Cet objectif est-il difficile à respecter ?

P. H. : Nous avons déjà atteint 80 % de l’objectif en ayant réalisé 25 % du chantier. Dès la réponse à l’appel d’offres, nous avons associé plusieurs PME. L’une d’elles réalise la moitié des terrassements et des transports ; une autre produit la moitié des armatures. Le béton prêt à l’emploi est aussi fabriqué par une PME… Et toutes les prestations de gardiennage, nettoyage de nos installations sont assurées par des petites et moyennes entreprises. C’est l’assemblage d’une multitude de travaux, de savoir-faire, qui permet de tendre vers l’objectif.

A. T. : Sur un marché de la taille du lot 1 de la ligne 16, cela représente près de 400 millions d’euros de prestations à sous-traiter à des PME.

Et qu’en est-il de l’objectif de 10 % d’heures d’insertion ?

P. H. : Cet objectif est plus facile à atteindre que le précédent. A date, nous avons effectué 180 000 heures d’insertion sur les 500 000 heures à réaliser. Nous avons demandé aux huit entreprises sous-traitantes en charge des travaux de fondations spéciales de s’impliquer dans la démarche. Ces dispositions d’insertion sont inscrites dans l’ADN d’Eiffage depuis une quinzaine d’années. A cette époque, le Groupe a créé une école à Bernes-sur-Oise (Val-d’Oise), en partenariat avec l’Afpa qui met en place un grand nombre de formations qualifiantes. Actuellement, nous sommes en train d’y former une trentaine de pilotes de tunneliers qui prendront les commandes des six engins qui creuseront sur le lot 16-1. Comme les tunneliers ne vont creuser que pendant deux ans alors que les travaux s’étalent sur six ans, nous leur donnons une formation polyvalente pour qu’ils puissent ensuite s’adapter à d’autres métiers sur le chantier : travaux préparatoires, génie civil, terrassement, etc.

Avez-vous pu tirer des enseignements des premiers travaux sur la ligne 15 sud ?

A. T. : Ces deux opérations se suivent de manière trop rapprochée pour que la ligne 16 ait pu bénéficier d’un retour d’expérience de la ligne 15 sud au moment de bâtir les marchés. Cependant, nous procédons à des retours d’expérience en cas d’accidents de chantier pour améliorer la sécurité. Nous avons un enjeu de timing sur le lot 1 de la ligne 16 compte tenu des JO de 2024, mais la préoccupation première de la SGP reste la sécurité : celle des compagnons, des riverains et des usagers du réseau ferré à proximité duquel nous travaillons. Il n’est donc pas question d’arbitrer entre cette sécurité et les délais.

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